Ce nouvel opus d’Alain Deneault rassemble vingt textes rédigés ces deux dernières décennies et couvrant des thèmes variés allant de la violence des multinationales aux nouvelles formes prises par la censure en passant par une critique du droit et des « poursuites-bâillons » pour se conclure par un superbe texte sur ce que veut dire être engagé aujourd’hui.
La violence des multinationales incite notamment l’auteur à se demander si ces dernières n’ont pas pris les rênes du pouvoir en lieu et place des États de droit et qui en instrumentalisent tous les ressorts (législatif, exécutif et judiciaire).
Ces diverses contributions permettent également d’approfondir l’approche du philosophe québécois de ce qu’il nomme l’extrême centre. A savoir un système politique où la « gouvernance expulse du champ politique le lexique des peuples » et vise à appliquer à la chose publique des modalités dévolues à l’entreprise privée. Où une « élite saillante » se disant dépositaire de la rationalité impose une culture du chiffre (la quantophrénie) comme seule grille de lecture. Et où le problème n’est pas le recours aux chiffres mais au fait qu’ils sont imposés sans débat. Un rôle semblable étant dévolu à la gouvernance qui vise à remplacer la politique par une gestion qui ne souffrirait aucune discussion. Une médiocratie qui pousse à être médiocre, à ne pas sortir du lot et partant à s’autocensurer.
Un livre salutaire où l’on retrouve la plume acérée et vive d’Alain Deneault, à lire précisément au moment où « les glaciers fondent, le désert avance, l’État social s’écroule, le vocabulaire politique part à la dérive ». Et qui nous dit que faire face à cela : « Faire mal et faire de tous les mots en vogue les objets de notre traitement critique ». Du miel pour l’esprit tout simplement.
Olivier StarquitFaire l’économie de la haine
Essai sur la censure
Alain Deneault
Ecosociété, 2018