On perd souvent de vue l’importance de la musique contestataire pour transmettre une culture de lutte, l’énergie de la dissidence ou tout simplement pour son rôle fédérateur. C’est parfois la répression qui nous rappelle son importance comme celle qui touche le Grup Yorum sorte de coopérative de musicien·nes basée à Istanbul jouant un folk-rock turcophone marqué par la musique traditionnelle. Leurs morceaux sont des protest-songs anticapitalistes, antiautoritaires et en faveur des droits de tous les peuples qui composent le pays.
Créé en 1985 pour protester contre le coup d’État militaire de 1980, habitué aux descentes de police, à la destruction de leurs instruments — qui ornent ici la pochette — , à l’interdiction et à la censure avec laquelle il n’a cessé de ruser, le collectif a sorti 20 albums. Très populaire auprès de la jeunesse turque et du mouvement social, leur dernier opus, İlle Kavga (« Combat nécessaire ») est sorti l’année dernière dans un contexte tendu. Car après la police, l’armée, la justice, les universités et les médias, les partis d’opposition, la culture fait les frais de cette vaste purge qui réduit à peau de chagrin les contre-pouvoirs en Turquie.
Depuis 2015 et la reprise en main violente du pouvoir par Erdogan, assister à l’un de leurs concerts peut suffire à la justice turque à vous incriminer, concerts d’ailleurs limités ou sabotés, car le gouvernement les a désignés comme soutenant le terrorisme d’extrême-gauche. Lorsque cet album sort début 2017, une grande partie des membres du collectif sont en prison (et le sont toujours à ce jour) ou doivent vivre dans la clandestinité.
Le Grup Yorum aura-t-il la souplesse de continuer à porter une voix malgré tout dans un pays en voie accélérée de dictaturisation ? En espérant en tout cas qu’ils ne finissent pas comme l’une de leurs grandes sources d’inspiration, Victor Jara, les doigts coupés par les fascistes.
Aurélien BerthierGrup Yorum
Ille Kavga
Kalan Ses Görüntü, 2017