Cinq ans après Théorie du drone, Grégoire Chamayou revient avec un essai de philosophie politique qui se lit comme un thriller haletant, dans lequel il passe au crible toutes les stratégies mises en œuvre depuis les années 70 pour aboutir à un modèle de société où l’Etat serait fort avec les faibles et faible avec les forts.
En effet, face aux revendications croissantes et variées (ouvrières, ethniques, écologiques) formulées dans les années 70, le monde des affaires va tâcher de trouver la parade : cela passe du contrôle managérial à la promotion du dialogue entre parties prenantes plutôt que le conflit avec des organisations syndicales, sans oublier la libéralisation des services publics qui permet de modifier les comportements des consommateurs et de dépolitiser leurs demandes.
Il dresse aussi la filiation entre ce libéralisme autoritaire (qui n’est selon Chamayou pas un oxymore mais plutôt un pléonasme) et les théories de Carl Schmitt, juriste et philosophe , membre du parti nazi, souligne les accointances entre Friedrich von Hayek et la dictature chilienne et esquisse comment, suite au constat de la Commission Trilatérale sur la crise de la démocratie, les élections ont été dévitalisées par la constitutionnalisation (et partant le verrouillage) des politiques économiques (et le spectre de la construction européenne illustre parfaitement ceci).
Un ouvrage vertigineux et foisonnant qui expose les stratégies développées pour veiller à ce que la peur change de camp. Un ouvrage qui montre aussi que ce qui a été fait peut être défait, à condition de connaitre l’histoire et de revenir à la promotion de l’autonomie individuelle et de l’autorégulation sociale dans leur version non néolibérale, c’est-à-dire sous la forme de l’autogestion.
Olivier StarquitLa société ingouvernable
Une généalogie du libéralisme autoritaire
Grégoire Chamayou
La Fabrique, 2018