Journaliste, sociologue, philosophe, Wolfgang Sofsky est fasciné par le pouvoir, la terreur et la guerre. Le citoyen de verre aborde la terreur ambiante du cauchemar climatisé que nous vivons actuellement et qui s’opère au moyen des outils de plus en plus développé et omniprésent de surveillance. Nous autres, devenus « citoyens de verre », au temps d’une « transparence » érigée comme étalon des rapports humains, vivons dans une ère de soupçon générale où c’est la discrétion même qui paraît suspecte. Comme toujours avec Sofsky, l’écriture imagée mêle récits fictionnels et analyse sociologique. Elle permet de saisir dans toutes ses dimensions un dispositif qui, non seulement érodent les libertés, mais déchirent également les liens entre les individus.
Contrairement à beaucoup d’auteurs, ce n’est pas tant à Big Brother (ni même à ses « petits frères », les entreprises tenant à jour d’énormes fichiers de données sur ses clients) qu’il s’attaque. Il cible plutôt notre manque de réflexes et de défense sphère privée. Et de rappeler que : « Celui qui croit qu’il n‘a rien à cacher a déjà renoncé à sa liberté et refuse de mener son existence sous sa propre égide. » Que donnons-nous contre un confort et une sécurité supposés meilleurs ? Nous sommes complices de l’installation de l’exigence de transparence. Nous n’y trouvons rien à redire, au contraire : « On n’a pas peur d’être observé mais de ne pas l’être ». Sofsky utilise l’histoire de la vie privée, « un bien rare qui a été difficile à acquérir », le rapport au corps, l’approche de la proxémie afin d’évaluer ce qu’est le territoire physique et moral de la personne et les transgressions qu’il subit. Ou encore d’autres aspects liés à cette question comme la pudeur, l’hygiène et l’habitat, la propriété privée ou le respect des zones sensorielles. Décrivant une époque où l’impudeur s’est imposée, et où la nudité ne choque plus personne, Sofsky signe un portrait de l’individu actuel qui facilite le travail d’un État « aux oreilles et aux yeux gigantesques et à la mémoire longue » inquisiteur et soupçonneux à l’égard de ses citoyens.
Aurélien BerthierLe citoyen de verre, entre surveillance et exhibition
Wolfgang Sofsky
L’Herne, 2011