Le néant et le politique

Harold Bernat

L’accession à la pré­si­dence d’Emmanuel Macron fait cou­ler beau­coup d’encre et, par­mi les nom­breux ouvrages d’une qua­li­té inégale (manière euphé­mi­sante de pas­ser sous silence le sto­ry­tel­ling nau­séa­bond qui cache les enjeux), le livre d’Harold Ber­nat, agré­gé de phi­lo­so­phie, sort des sen­tiers bat­tus et bous­cule. Pour Ber­nat, Macron, en qui il voit « une bouillie idéo­lo­gique syn­cré­tique mana­gé­riale », sym­bo­lise l’ère de la fin de la poli­tique : consen­sus mou à la place des contra­dic­tions et des conflits, mort des idéo­lo­gies autres que celle-là même qui domine et a pour elle l’é­vi­dence des pro­pos vides de sens, rejet comme rin­gards des sym­boles autour des­quels se struc­tu­raient nos socié­tés (la droite, la gauche, par exemple). En cela, Emma­nuel Macron est éga­le­ment un des meilleurs hérauts des poli­tiques de l’extrême centre, concept déve­lop­pé par Alain Deneault et « orien­ta­tion poli­tique ter­mi­nale des démo­cra­ties mar­chandes ». Pour Ber­nat, nous sommes entrés dans une ère de régres­sion qui est le règne du simu­lacre et de la simu­la­tion : « repré­sen­ter des idées poli­tiques, un par­ti, s’ins­crire dans une his­toire, une filia­tion idéo­lo­gique, autant de risques que notre temps ne veut plus cou­rir ». Et ce, dans « un monde uni­la­té­ral dans lequel les gagnants retirent aux per­dants les mots de leur propre révolte » à l’aide des ven­tri­loques de la vacui­té mana­gé­riale. Ber­nat, dans un style incan­des­cent, pul­vé­rise aus­si la mon­tée de cette socié­té civile (ou « si vile ») qui ne se can­tonne qu’aux classes supé­rieures et s’oppose au peuple, et qui est éga­le­ment syno­nyme de la mon­tée de l’insignifiance. Un constat acca­blant pro­pice à une prise de conscience salutaire.

Olivier Starquit

Le néant et le politique
Critique de l’avènement Macron,
Harold Bernat
L’Échappée, 2017

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