LIP, des héros ordinaires

Laurent Galandon et Damien Vidal

C’est quoi une usine ? Des murs ou des tra­vailleurs ? Et à qui appar­tient-elle ? Ses tra­vailleurs ou ses patrons ? En avril 1973, les ouvriers de l’usine de fabri­ca­tion des montres LIP à Besan­çon découvrent l’existence d’un plan de licen­cie­ment. En réponse à ces menaces et mani­gances patro­nales, l’occupation est déci­dée. Ce conflit social, qui mar­que­ra for­te­ment l’imaginaire social de l’après-68, ver­ra bien­tôt « les Lip » se mettre en auto­ges­tion pen­dant plu­sieurs mois en sui­vant le mot d’ordre « C’est pos­sible ! On fabrique, on vend, on se paie ! ». Bien au-delà des consignes syn­di­cales, ils vont faire vivre une uto­pie et faire fonc­tion­ner une usine par eux-mêmes. His­toire de prou­ver que la richesse est créée avant tout par les tra­vailleurs et qu’on peut se pas­ser d’une direc­tion, sur­tout quand celle-ci est plus occu­pée à sabo­ter l’affaire qu’à la faire tour­ner. Sub­ver­sif dans sa forme et dans sa pro­po­si­tion, ce conflit a été féro­ce­ment com­bat­tu par le pou­voir d’alors qui pré­fé­rait sabo­ter l’affaire plu­tôt que voir se répandre la pos­si­bi­li­té auto­ges­tion­naire. Cette BD pro­pose de faire le récit des évè­ne­ments et de leur inten­si­té autour d’une trame nar­ra­tive fic­tive ‑l’émancipation pro­gres­sive en tant que femme et tra­vailleuse de Solange, une LIP — qui recon­tex­tua­lise au pas­sage la situa­tion de la femme des années 70. Le noir et blanc et le des­sin sobre laissent toute la place aux évè­ne­ments même si on peut regret­ter un manque de rythmes dans le récit d’évènements pour­tant intenses. Y est par­ti­cu­liè­re­ment inter­ro­gée la mince fron­tière entre léga­li­té et légi­ti­mi­té avec le rap­pel de la séques­tra­tion des patrons, de la mise en lieu sûr d’un tré­sor de guerre fait de plu­sieurs mil­liers de montres, et bien sûr d’une usine qui se met à tour­ner pour le compte des ouvriers. On y retrouve aus­si les soli­da­ri­tés mul­tiples qui se sont tis­sées à l’époque puisque c’est la ville entière qui se mobi­lise, et plus lar­ge­ment la classe ouvrière fran­çaise pour qui rai­sonne cette réqui­si­tion d’usine, qui réus­sit la jonc­tion avec les luttes pay­sannes du Lar­zac. Ce récit de lutte est pré­cé­dé d” une pré­face de Jean-Luc Mélen­chon, habi­tant alors Besan­çon. Retour ou décou­verte sur ce beau conflit qui a bel et bien vu l’imagination au pouvoir.

Aurélien Berthier

LIP, des héros ordinaires
Laurent Galandon et Damien Vidal
Dargaud, 2014

 

 

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