Exploser les codes du « film social » (c’est-à-dire principalement de film sur le travail) n’est pas fréquent, ni commode. Et c’est tout le bonheur de ce long métrage dont les 3 heures passent comme une lettre (de licenciement) à la poste. L’Usine de rien (A fabrica de nada en VO) est signé de Pedro Pinho mais en réalité réalisé par le collectif Terratreme, sorte de coopérative cinématographique lusitaine.
Une nuit, la direction d’une compagnie fabricant des ascenseurs tente de délocaliser les machines de leur usine située dans la banlieue de Lisbonne. Les ouvriers qui surprennent la manœuvre empêchent le démantèlement complet. On leur annonce finalement un plan de restructuration. À peine ont-ils eu le temps de s’organiser et d’occuper l’usine que direction et administrateurs se volatilisent pour de bon, rendant impossible, faute d’adversaires, toute négociation. L’autogestion alors décidée permettra-t-elle de s’en sortir et de résister au capitalisme ? Joué par des acteurs, dont certains sont eux-mêmes d’anciens ouvriers d’une usine qu’ils avaient repris en autogestion de 1975 à 2016, L’Usine de rien tape dans plusieurs registres : docu-fiction, collage expérimental, documentaire de parole politique, comédie musicale… Il permet d’appréhender à la fois le conflit social et l’émancipation par la lutte ; la difficile communication et conciliation d’intérêt entre la petite bourgeoisie culturelle et la classe ouvrière ; mais aussi les difficultés à imaginer une sortie du capitalisme. Surtout par les temps qui courent où la « crise » est devenue un modèle dominant pour gouverner.
Une intrigue supplémentaire se noue peu à peu au récit. Un mystérieux cinéaste argentin manœuvre et agite les ouvriers : arrivera-t-il à ses fins ? C’est-à-dire réaliser un docu « pour faire pleurer dans les festival français sur les mignons petits Portugais »… Une chose est sûre, le Portugal, qui a subi la troïka et ses purges néolibérales, pour finalement s’en défaire partiellement grâce à une coalition des gauches radicale et sociale-démocrate, a produit avec ce docu-fiction une profonde et plaisante réflexion sur la conflictualité sociale et le capitalisme contemporain.
L’Usine de rien
Pedro Pinho, 2017