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Organisation communautaire et radicalité

Entretien avec Saul Alinsky

En 1972, Saul Alins­ky, acti­viste radi­cal états-unien « dont la mis­sion, la pas­sion, le plai­sir et le sport consistent à ‘’orga­ni­ser des com­mu­nau­tés’’ » accorde un entre­tien-fleuve à… Play­boy. Un véri­table tes­ta­ment poli­tique puisqu’il meurt quelques mois après l’interview. Celle-ci, réédi­tée par les Edi­tions du com­mun, s’avère aujourd’hui une superbe porte d’entrée sur l’approche et les stra­té­gies du célèbre com­mu­ni­ty orga­ni­zer. Dans un style très agréable à lire – Alins­ky est un radi­cal doté non seule­ment d’une éton­nante intui­tion poli­tique mais aus­si d’un sens de l’humour rare par­mi ses pairs – le texte déve­loppe des réflexions sti­mu­lantes sur l’organisation com­mu­nau­taire, ce sport de com­bat per­ma­nent pour débus­quer les meilleurs tech­niques à même de faire céder les domi­nants. Ce qui en fait une véri­table « boite à outils poli­tiques » (sui­vant les mots d’Yves Cit­ton qui signe la pré­face du bou­quin). On y (re)découvre des actions d’anthologie (shit-in à l’aéroport de Chi­ca­go, fart-in à l’opéra…), ce qui per­met de rêver à leur décli­nai­son adap­tée à nos temps trou­blés… C’est aus­si un inté­res­sant exer­cice d’autoportrait poli­tique où Alins­ky retrace son propre par­cours et appren­tis­sages des rap­ports de force avec les auto­ri­tés de toutes natures et des grandes règles de l’action collective.

Mais qu’est-ce que le com­mu­ni­ty orga­ni­zing ? Par­fois appe­lé syn­di­ca­lisme de ter­rain, c’est le contre-pou­voir local que peut mettre en place un groupe d’habitant·es ou de citoyen-nes pour faire échouer des déci­sions iniques ou émer­ger des mesures pro­fi­tables à eux dominé·es. Loin des mani­fes­ta­tions inof­fen­sives vite cir­cons­crites mais aus­si du « ça ne marche pas » démo­bi­li­sa­teur sou­vent affu­blé à l’action col­lec­tive (du moins avant les gilets jaunes), il s’agit d’innover dans la lutte, de créer des outils d’action sur mesure par, pour et avec les groupes concer­nés. Plus orien­tée dans la praxis que ne l’est l’éducation popu­laire, sa grande cou­sine euro­péenne, l’organisation com­mu­nau­taire croit aux ver­tus de la reprise du contrôle de sa vie dans et par l’action directe. C’est-à-dire par l’arrachage de petites et grandes vic­toires en tout genre : amé­lio­rer la salu­bri­té des loge­ments, faire modi­fier des règle­men­ta­tions dis­cri­mi­nantes d’un maga­sin ou d’un ser­vice public, faire chan­ger les pra­tiques toxiques de grandes com­pa­gnies… Le tout en uti­li­sant les élé­ments de mobi­li­sa­tion essen­tiels pour Alins­ky que sont « l’imagination, la léga­li­té, l’enthousiasme et, sur­tout, l’efficacité ». De quoi capa­ci­ter les citoyen·nes et nous rap­pe­ler que le véri­table enne­mi, c’est sur­tout le sen­ti­ment d’impuissance. (AB)

Entretien avec Saul Alinsky Organisation communautaire et radicalité
Éditions du commun, 2018