Bucarest, fin des années 2010. Dans le quartier de la Gara de Nord, erre un petit peuple de la misère, comme souvent autour de ces lieux de transit où se croisent la bourgeoisie internationale conquérante en goguette et la pauvreté ultra locale. La photographe Isabelle Detournay filme au plus près ces « gueules cassées de la vie », et dresse la chronique intime et sur plusieurs années d’une vie dans le froid, le dénuement et l’ennui. Dans la débrouille, les maladies et les déambulations. On pourrait de prime abord avoir envie de demander à la réalisatrice pourquoi se pencher sur une pauvreté à l’étranger quand on en a une à domicile. Mais, à mesure qu’on avance dans le docu, on comprend. Non seulement, il s’agit ici d’une rencontre authentique entre une réalisatrice et ses protagonistes. Mais aussi, filmer la misère en Roumanie, permet, via un effet d’exotisme, de regarder de nouveau en face cette pauvreté que, précisément on ne regarde plus lorsqu’elle est à côté de chez nous. Elle nous met le nez dedans, impossible d’y échapper. Elle nous reste en tête Ilinca avec qui Isabelle Detournay se lie d’amitié, Melinda sa pote de galère, Nicoleta, travailleuse pauvre qui trime au Subway de la gare et qui donne son titre au docu. Ou encore Nella, autre « rescapée du naufrage ». Un portrait sensible de la pauvreté au travers du parcours de ces « quatre femmes qui luttent à mains nues » avec la vie dixit la réalisatrice. Pour montrer à l’écran les gens de la rue et pour casser « l’indifférence totale d’une grande gare européenne ». C’est réussi.
Pendant que Nicoleta travaille
Isabelle Detournay
AJC/GSARA, 2022