Steak Machine

Geoffrey Le Guilcher

Jour­na­liste indé­pen­dant, Geof­frey Le Guil­cher a mené l’enquête au sein d’un abat­toir indus­triel bre­ton (rebap­ti­sé Mer­cure). Muni d’un faux CV et d’une fausse iden­ti­té, il s’y est fait embau­cher pen­dant 40 jours, tra­vaillant au dégrais­sage des car­casses, l’une des étapes de l’effrayante chaîne de mort. Rap­pe­lons que c’est en obser­vant l’organisation du tra­vail dans les abat­toirs de Chi­ca­go, mise en œuvre dès la fin du 19e siècle, qu’Henry Ford eut l’idée de ses lignes d’assemblage… Et c’est tout l’intérêt de ce petit livre remar­quable que de s’intéresser aus­si à la condi­tion des tra­vailleurs dans cet uni­vers indus­triel déshu­ma­ni­sé. Étant don­née la docu­men­ta­tion sans appel pro­duite par l’association L214, mon­trant la cruau­té du trai­te­ment infli­gé aux ani­maux, Le Guil­cher a choi­si de com­prendre pour­quoi des hommes et des femmes par­ti­ci­paient à ce sys­tème. Le constat est sans appel. Dési­reux de s’adapter aux demandes de la grande dis­tri­bu­tion (et des consom­ma­teurs… en bout de chaîne), les direc­tions d’abattoirs mettent une pres­sion énorme sur leurs employés, les pous­sant à com­mettre l’innommable. « Tant que la cadence sera absurde pour les hommes, il n’y aura pas de viande propre, pré­cise l’auteur. Tant que les ani­maux seront abat­tus en quan­ti­tés indus­trielles, com­ment les ouvriers pour­ront-ils les trai­ter autre­ment que comme de simples numé­ros ? » Ayant pas­sé du temps avec cer­tains de ces tra­vailleurs en dehors des heures de bou­lot, le jour­na­liste montre aus­si l’impact de cette cadence infer­nale sur leur san­té phy­sique et men­tale. « Les consom­ma­teurs de viande peuvent-ils rai­son­na­ble­ment deman­der à quelqu’un d’égorger, comme chez Mer­cure, 400 ani­maux par jour et d’être en même temps éveillé à la souf­france ani­male ? »

Denis Dargent

Steak Machine
Geoffrey Le Guilcher
Goutte d’Or, 2017

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