Quand un metteur en scène s’attaque au biopic d’une femme profondément meurtrie par le rôle de mère et d’épouse qu’elle a dû endosser au détriment de celui de femme et poétesse, on est tenté de s’interroger sur la pertinence du projet, la légitimité du propos et de celui qui le porte. Et comme féministe, il est vrai qu’on serre un peu les dents… Pour autant, Sylvia est une pièce magistrale, une production impressionnante, un message poignant et une réussite théâtrale.
Le pari était risqué. Raconter la vie de Sylvia Plath — poétesse américaine emprisonnée dans un rôle trop petit pour elle, en détresse face à ces injonctions de la société des années 50 d’être une femme comme on doit l’être et pas comme on veut l’être — sans en obtenir les droits et donc sans citer ne fut-ce qu’une ligne de son œuvre en aurait découragé plus d’un·e. Et pourtant aujourd’hui encore, il est important de remettre dans la lumière le destin tragique de cette artiste majeure qui finira par mettre fin à ses jours, trahie par un monde qui ne la comprenait pas et surtout par un mari – Ted Hugues – trop occupé à briller pour voir que sa femme s’éteignait peu à peu. La pièce se joue comme un tournage de film dont les différents décors se modifient face au public dans une chorégraphie parfaitement orchestrée. Simultanément au jeu des 9 comédiennes qui incarnent tour à tour Sylvia Plath, Juliette Van Dormael à la photographie nous donne à voir l’envers du décor, on assiste à la captation en direct des scènes jouées : l’image est magnifique, l’effet bluffant ! Tout ce ballet cinémato-théâtral est accompagné en live par An Pierlé et son quartet dont les musiques oscillent entre rock et jazz, colère, tristesse et profonde mélancolie. Plus qu’un accompagnement musical, l’ensemble anime la pièce et le travail des comédiennes.
Les moyens déployés par Fabrice Murgia attisent forcément les convoitises dans cette production XXL, mais l’émotion et le message envoyés par Sylvia sont là, indéniables, inévitables et puissants. Ils laissent en nous une profonde tristesse face à toutes les Sylvia qui vivent dans cette société d’hommes et dont la seule place est dans l’ombre de leur mari, de leur collègue ou de leur patron. Presque 70 ans plus tard, force est de constater que les femmes luttent encore pour choisir la place qui est la leur et au moins pour cela, allez voir Sylvia.
Sylvia
Une pièce de Fabrice Murgia
Cie Artara / Studio Théâtre national, 2018