Une autre vie est possible

Jean-Claude Guillebaud

Décé­dé, il y a peu, Sté­phane Hes­sel met­tait en garde contre le risque d’im­puis­sance que peut res­sen­tir toute une géné­ra­tion face à la situa­tion actuelle : « C’est à cela, rétor­quait l’au­teur des petits opus­cules Indi­gnez-vous ! et Enga­gez-vous !, qu’il faut trou­ver une réac­tion. Il ne suf­fit pas de savoir que ça va mal, il faut savoir com­ment aller dans la bonne direction. »

Le der­nier livre de Jean-Claude Guille­baud est en soi une réponse. Il se pré­sente comme un anti­dote au para­digme, pro­fon­dé­ment ancré, de l” « ines­poir », aux dis­cours de l’im­puis­sance et des contraintes. « L’es­pé­rance, pro­pose cet ex-grand repor­ter, essayiste et pen­seur de la néces­saire « refon­da­tion du monde » (titre d’un de ses nom­breux ouvrages récents), est une dis­po­si­tion de l’âme, une sen­si­bi­li­té qu’il faut mettre en mou­ve­ment ». Citant Saint-Exu­pé­ry : « L’a­ve­nir, tu n’as pas à le pré­voir, mais à le per­mettre ». Convo­quant un « opti­misme du pro­jet » (et non un quel­conque opti­misme béat), il revi­site le pen­seur com­mu­niste ita­lien Anto­nio Gram­sci qui oppo­sait, en les joi­gnant, « l’op­ti­misme de la volon­té » au « pes­si­misme de l’intelligence ».

S’at­ta­chant à démon­trer que la flamme de l’es­pé­rance, entre­te­nue dans les marges du corps social, ne s’est en fait jamais tota­le­ment éteinte, il montre néan­moins le souffle dévas­ta­teur qu’a exer­cé sur elle la pen­sée ou l’im­pen­sé du TINA néo­li­bé­ral (There Is No Alter­na­tive) : sorte de « dyna­mi­tage » énorme du rap­port à l’a­ve­nir dans les esprits et dans la socié­té. Et une socié­té sans ave­nir per­çu autre que mena­çant est une socié­té qui « se dur­cit ». Et sur laquelle « s’ouvrent alors les portes de la peur et du mépris ».

Pour y répondre, Guille­baud entend désa­mor­cer « l’im­pres­sion d’af­fron­ter des menaces, des dan­gers, des fata­li­tés sans recours, ni remèdes ». Car, sou­tient-il, effort de mémoire pro­bant à l’appui, chaque socié­té humaine et chaque géné­ra­tion nou­velle ont trou­vé devant elles « autant de rai­sons d’es­pé­rer que de désespérer ». 

Cet essai est à lui seul une for­mi­dable flamme qui éclaire en les unis­sant le pré­sent et les voies d’un autre ave­nir pos­sible. Signé par un homme qui se vit, à son tour, après tant d’autres, comme un dépo­si­taire de la flamme, de l’es­pé­rance. Laquelle, écrit-il joli­ment, a plus à voir avec « le petit matin et son appé­tit d’a­ve­nir, son éner­gie », avec « l’i­dée d’un recom­men­ce­ment, d’une remise en route, d’une infa­ti­gable renais­sance », qu’a­vec le Grand soir.

Marc Sinnaeve

Une autre vie est possible
Comment retrouver l’espérance
Jean-Claude Guillebaud
L’Iconoclaste, 2012

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