Utilisé à tort et à travers, le terme de populisme est habituellement utilisé pour discréditer son adversaire politique. Peut-on se revendiquer comme « populiste » ?
Ce n’est pas facile, du moins si on maintient populisme comme une position politique caractérisée par le marketing. Une politique qui ne s’inspire non plus d’une idéologie, d’une classe sociale, d’une position « objective » vis-à-vis des intérêts, d’une analyse politique de la situation politique mais qui s’inspire seulement de « ce qui vend bien » à l’heure actuelle. Il y a très peu de populistes qui se revendiquent de la sorte. Mais voilà une deuxième caractéristique du populisme : les populistes se revendiquent de la démocratie pure – « je suis celui qui écoute les gens et parle leur langage » — et d’un élitisme anti-élitaire – « je suis l’anti-establishment, je suis le peuple ».
À l’inverse beaucoup de partis, de gauche comme de droite, se revendiquent comme étant populaire. Pourquoi ce terme pourtant connoté de gauche est également utilisé par des partis de droite ?
Cela dérive de ce que je viens de dire. Le populisme n’est pas la même chose que le populaire, et encore moins « la démocratie ». C’est une distinction essentielle, comme celle entre vulgaire et vulgarisé. Dans la politique, populaire sert comme antithèse d’élitaire. Il n’y a rien de mal à cela, au contraire. Une authentique représentation du populaire caractérise non seulement la tradition socialiste mais la tradition générale des « hommes d’Etat » ceux et celles qui servaient « l’intérêt général » (le « common wealth » en anglais) et qui savaient sortir, de temps en temps, de leur camp idéologique pour résoudre des crises majeures.
L’utilisation de ces termes à gauche, à droite et surtout au centre montre combien nous avons perdu le sens historique de ces mots. Il n’y a plus, ou presque plus, d’examen des mots qu’on utilise par rapport à leur valeur historico-politique. Les mots sont devenus, trop souvent, des instruments d’un blabla pseudo-politique. Un exemple : à l’époque, Steve Stevaert se défendait contre les accusations de populisme en disant : « Est-ce un mal d’être populaire ? Les gens m’aiment, me trouvent fiable, et voilà qu’on m’appelle populiste. » J’ignore s’il comprenait bien la distinction entre populaire et populiste mais il la comprenait assez bien pour utiliser ces deux mots dans un jeu de langage.
À l’heure du « tout à l’austérité » et alors qu’il semble que le Traité européen sur la stabilité (TSCG) s’imposera à l’ensemble des pays membres et les obligera à des contraintes budgétaires fortes, les peuples ont-ils encore des marges de manœuvre dans les sociétés européennes ?
En tant que peuples bien sûr. En tant qu’individus ou des groupes d’intérêts spécifiques non. On subit actuellement une attaque gérée par la Commission européenne contre le peuple. Le pouvoir est du côté de la Commission. Mais la Commission a une faiblesse car presque par accident, l’Europe a été équipée d’une structure fondamentalement démocratique : le Parlement. Cela veut dire un point de rassemblement pour les masses du peuple. À travers ces institutions démocratiques, un contre-pouvoir est possible.
Mais à deux conditions. D’une part, il faut une unité européenne du peuple et mener le combat à l’échelle européenne et non plus nationale. D’autre part, nous avons besoin d’une offensive énorme sur le plan de l’information et de formation politique des gens. Depuis 2008, et en fait depuis plus longtemps encore, le peuple a été victime d’une absence d’information sur des faits pourtant essentiels dans leur vie. En effet, il y a beaucoup plus de gens qui savent combien de goals a marqué Lionel Messi cette saison-ci que de gens qui comprennent leur avenir social. Une action efficace est possible seulement si les gens en comprennent l’enjeu, ainsi que les grands mécanismes du système que l’on doit changer.
On évoque souvent une résurgence des nationalismes en Europe. Est-ce un phénomène important et à quoi est-il dû selon vous ?
Important au vu de ce que je viens de dire : il nous faut une échelle européenne, sinon mondiale, pour combattre ce système, et non pas une échelle nationale. Notons que le nationalisme n’a jamais disparu de la scène européenne et que la phase actuelle n’est pas exceptionnelle ni plus dramatique qu’avant. Bien sûr, on voit des partis nationalistes gagner des élections comme la N‑VA chez nous ; mais nous en voyons perdre aussi, comme Monsieur Wilders aux Pays-Bas. Le nationalisme a toujours été là, a toujours eu les mêmes intérêts : ceux des élites économiques et bourgeoisies nationales.
Cela n’a pas changé et ne changera pas. Le nationalisme de la N‑VA, par exemple, demande un protectionnisme national flamand, qui favoriserait la Flandre dans une compétition interrégionale à l’échelle européenne : compétition fiscale, compétition dans la flexibilité du travail, du climat d’investissement. À travers le nationalisme des symboles tels : la langue, la culture, le drapeau, nous apercevons toujours un nationalisme du dollar.
Par quel moyen le peuple pourrait-il être mieux entendu ou récupérer du pouvoir ?
Le peuple doit commencer par lui-même : organisations grassroots [qui partent du terrain, NDLR], acquisition et circulation des idées et des infos sur l’échelle des réseaux existants. On sous-estime la puissance des ces mécanismes simples et, soi-disant, proto-démocratiques. Mais ils fonctionnent et ont une influence considérable. Pour vous donner un exemple : il y a 10 ans, un petit comité de jeunes belges attachés au mouvement de Seattle crée « Indymedia », un site web de « nouvelles ». À l’époque, il y avait peu de gens qui prenait cela au sérieux. Hé bien, aujourd’hui ce médium s’appelle « De Wereld Morgen », et attire près de 180.000 lecteurs par mois. Des textes publiés sur ce site sont lus parfois 20.000 fois — autant que des opinions dans, par exemple, « De Standaard ». Voilà une machinerie efficace et puissante issue du grassroot. Commencez donc là où vous pouvez commencer, où vous avez de l’autonomie et de l’espace pour vous-même : dans votre propre foyer, votre quartier. N’attendez pas les autres, commencez maintenant ! Les autres vous suivront…