Jan Blommaert

« Populisme », « populaire » : jeux de langage ?

Photo : CC BY-ND 2.0 Sasha Y. Kimel

Jan Blom­maert est pro­fes­seur de Langue, de Culture et de Glo­ba­li­sa­tion à l’Université de Til­burg (Pays-Bas). Il est entre autres l’auteur de « La crise de la démo­cra­tie », « La redé­cou­verte de la socié­té » et « Le tra­vailleur à 360 degrés ». Nous l’avons inter­ro­gé sur les notions de « popu­laire » et « populisme ».

Utilisé à tort et à travers, le terme de populisme est habituellement utilisé pour discréditer son adversaire politique. Peut-on se revendiquer comme « populiste » ?

Ce n’est pas facile, du moins si on main­tient popu­lisme comme une posi­tion poli­tique carac­té­ri­sée par le mar­ke­ting. Une poli­tique qui ne s’ins­pire non plus d’une idéo­lo­gie, d’une classe sociale, d’une posi­tion « objec­tive » vis-à-vis des inté­rêts, d’une ana­lyse poli­tique de la situa­tion poli­tique mais qui s’ins­pire seule­ment de « ce qui vend bien » à l’heure actuelle. Il y a très peu de popu­listes qui se reven­diquent de la sorte. Mais voi­là une deuxième carac­té­ris­tique du popu­lisme : les popu­listes se reven­diquent de la démo­cra­tie pure – « je suis celui qui écoute les gens et parle leur lan­gage » — et d’un éli­tisme anti-éli­taire – « je suis l’an­ti-esta­blish­ment, je suis le peuple ».

À l’inverse beaucoup de partis, de gauche comme de droite, se revendiquent comme étant populaire. Pourquoi ce terme pourtant connoté de gauche est également utilisé par des partis de droite ?

Cela dérive de ce que je viens de dire. Le popu­lisme n’est pas la même chose que le popu­laire, et encore moins « la démo­cra­tie ». C’est une dis­tinc­tion essen­tielle, comme celle entre vul­gaire et vul­ga­ri­sé. Dans la poli­tique, popu­laire sert comme anti­thèse d’éli­taire. Il n’y a rien de mal à cela, au contraire. Une authen­tique repré­sen­ta­tion du popu­laire carac­té­rise non seule­ment la tra­di­tion socia­liste mais la tra­di­tion géné­rale des « hommes d’E­tat » ceux et celles qui ser­vaient « l’in­té­rêt géné­ral » (le « com­mon wealth » en anglais) et qui savaient sor­tir, de temps en temps, de leur camp idéo­lo­gique pour résoudre des crises majeures.

L’u­ti­li­sa­tion de ces termes à gauche, à droite et sur­tout au centre montre com­bien nous avons per­du le sens his­to­rique de ces mots. Il n’y a plus, ou presque plus, d’examen des mots qu’on uti­lise par rap­port à leur valeur his­to­ri­co-poli­tique. Les mots sont deve­nus, trop sou­vent, des ins­tru­ments d’un bla­bla pseu­do-poli­tique. Un exemple : à l’é­poque, Steve Ste­vaert se défen­dait contre les accu­sa­tions de popu­lisme en disant : « Est-ce un mal d’être popu­laire ? Les gens m’aiment, me trouvent fiable, et voi­là qu’on m’ap­pelle popu­liste. » J’i­gnore s’il com­pre­nait bien la dis­tinc­tion entre popu­laire et popu­liste mais il la com­pre­nait assez bien pour uti­li­ser ces deux mots dans un jeu de langage. 

À l’heure du « tout à l’austérité » et alors qu’il semble que le Traité européen sur la stabilité (TSCG) s’imposera à l’ensemble des pays membres et les obligera à des contraintes budgétaires fortes, les peuples ont-ils encore des marges de manœuvre dans les sociétés européennes ?

En tant que peuples bien sûr. En tant qu’in­di­vi­dus ou des groupes d’in­té­rêts spé­ci­fiques non. On subit actuel­le­ment une attaque gérée par la Com­mis­sion euro­péenne contre le peuple. Le pou­voir est du côté de la Com­mis­sion. Mais la Com­mis­sion a une fai­blesse car presque par acci­dent, l’Eu­rope a été équi­pée d’une struc­ture fon­da­men­ta­le­ment démo­cra­tique : le Par­le­ment. Cela veut dire un point de ras­sem­ble­ment pour les masses du peuple. À tra­vers ces ins­ti­tu­tions démo­cra­tiques, un contre-pou­voir est possible. 

Mais à deux condi­tions. D’une part, il faut une uni­té euro­péenne du peuple et mener le com­bat à l’échelle euro­péenne et non plus natio­nale. D’autre part, nous avons besoin d’une offen­sive énorme sur le plan de l’in­for­ma­tion et de for­ma­tion poli­tique des gens. Depuis 2008, et en fait depuis plus long­temps encore, le peuple a été vic­time d’une absence d’in­for­ma­tion sur des faits pour­tant essen­tiels dans leur vie. En effet, il y a beau­coup plus de gens qui savent com­bien de goals a mar­qué Lio­nel Mes­si cette sai­son-ci que de gens qui com­prennent leur ave­nir social. Une action effi­cace est pos­sible seule­ment si les gens en com­prennent l’en­jeu, ain­si que les grands méca­nismes du sys­tème que l’on doit changer.

On évoque souvent une résurgence des nationalismes en Europe. Est-ce un phénomène important et à quoi est-il dû selon vous ? 

Impor­tant au vu de ce que je viens de dire : il nous faut une échelle euro­péenne, sinon mon­diale, pour com­battre ce sys­tème, et non pas une échelle natio­nale. Notons que le natio­na­lisme n’a jamais dis­pa­ru de la scène euro­péenne et que la phase actuelle n’est pas excep­tion­nelle ni plus dra­ma­tique qu’a­vant. Bien sûr, on voit des par­tis natio­na­listes gagner des élec­tions comme la N‑VA chez nous ; mais nous en voyons perdre aus­si, comme Mon­sieur Wil­ders aux Pays-Bas. Le natio­na­lisme a tou­jours été là, a tou­jours eu les mêmes inté­rêts : ceux des élites éco­no­miques et bour­geoi­sies nationales. 

Cela n’a pas chan­gé et ne chan­ge­ra pas. Le natio­na­lisme de la N‑VA, par exemple, demande un pro­tec­tion­nisme natio­nal fla­mand, qui favo­ri­se­rait la Flandre dans une com­pé­ti­tion inter­ré­gio­nale à l’é­chelle euro­péenne : com­pé­ti­tion fis­cale, com­pé­ti­tion dans la flexi­bi­li­té du tra­vail, du cli­mat d’in­ves­tis­se­ment. À tra­vers le natio­na­lisme des sym­boles tels : la langue, la culture, le dra­peau, nous aper­ce­vons tou­jours un natio­na­lisme du dollar.

Par quel moyen le peuple pourrait-il être mieux entendu ou récupérer du pouvoir ?

Le peuple doit com­men­cer par lui-même : orga­ni­sa­tions grass­roots [qui partent du ter­rain, NDLR], acqui­si­tion et cir­cu­la­tion des idées et des infos sur l’é­chelle des réseaux exis­tants. On sous-estime la puis­sance des ces méca­nismes simples et, soi-disant, pro­to-démo­cra­tiques. Mais ils fonc­tionnent et ont une influence consi­dé­rable. Pour vous don­ner un exemple : il y a 10 ans, un petit comi­té de jeunes belges atta­chés au mou­ve­ment de Seat­tle crée « Indy­me­dia », un site web de « nou­velles ». À l’é­poque, il y avait peu de gens qui pre­nait cela au sérieux. Hé bien, aujourd’hui ce médium s’ap­pelle « De Wereld Mor­gen », et attire près de 180.000 lec­teurs par mois. Des textes publiés sur ce site sont lus par­fois 20.000 fois — autant que des opi­nions dans, par exemple, « De Stan­daard ». Voi­là une machi­ne­rie effi­cace et puis­sante issue du grass­root. Com­men­cez donc là où vous pou­vez com­men­cer, où vous avez de l’au­to­no­mie et de l’es­pace pour vous-même : dans votre propre foyer, votre quar­tier. N’at­ten­dez pas les autres, com­men­cez main­te­nant ! Les autres vous suivront…

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