Jan Nolf, originaire de Torhout, est licencié en droit et en criminologie à l’université de Gand. Il a travaillé comme avocat à Bruges pendant dix ans, et est devenu juge de paix dans le canton de Roeselare (Flandre occidentale) jusqu’en 2011. Aujourd’hui juge de paix honoraire et auteur de l’ouvrage « La force de la justice », il prône une justice plus empathique et plus proche du citoyen.
Ne trouvez-vous pas qu’à l’heure actuelle la justice statue trop et très arbitrairement ?
J’ai une approche et une vision très humanistes de la justice. À mes yeux, la justice reste trop autoritaire, conservatrice, trop féodale et attachée à ses multiples et répétitives procédures. Personnellement dans la le cadre de la justice de paix où j’exerçais, j’ai pu diminuer d’un tiers le nombre de procédures. Car un tiers des contentieux civil, et même pénal, peut se régler dans un autre contexte.
La justice est forte avec les faibles et faibles avec les forts. Je suis très en colère contre les agrandissements d’échelle en son sein : toujours plus de procédures qui creusent de plus en plus le fossé avec le citoyen. L’une pour les puissants, l’autre pour les citoyens ordinaires. Je compare la justice actuelle à un véritable supermarché, incapable de faire son autocritique. Le juge doit prendre toute la mesure du rôle social qu’il a à jouer. Je préconise une législation « à la néerlandaise », où le citoyen lambda peut récuser le juge s’il estime qu’il est partial ou qu’il n’est pas indépendant.
Ce langage et cette attitude des magistrats vous les comprenez ?
Ce qui m’insupporte au plus haut point, c’est l’autorité des magistrats. Si on dit que l’habit ne fait pas le moine, il n’empêche que les toges que portent les magistrats ne rassurent pas et ne mettent pas à l’aise le justiciable, je suis pour leur suppression. Je pense aussi que contrairement à l’appellation « Ministère de la Justice », il faudrait plutôt parler d’un « Ministère de la Reconstruction ». C’est un terme bien mieux adapté puisque la tâche primordiale de la justice est quand même celle de reconstruire les relations.
Selon vous, quelles ont été les pires réforms judiciaires de ces dernières années ?
Une des pires réforme, cela a été d’autoriser les perquisitions la nuit. Fort heureusement, le projet de la possibilité de pénétrer chez les sans papiers sans mandat de perquisition n’a pas abouti. Les vrais « illégaux » ce sont les policiers et les juges qui ferment les yeux devant de telles pratiques. Cette justice-là ajoute de la pauvreté à la pauvreté. Il faut toujours garder à l’esprit la dimension humaine.
La peur de la justice n’est-elle pas liée au fait que le citoyen ne comprend plus le langage de la justice ou le comprend mal ?
Mais il ne l’a jamais connu, la justice est restée un langage fermé et ce n’est pas un hasard. L’incompréhension met en route tout un processus de peur et de méfiance. Vient ensuite, et c’est bien pire, l’amertume. Les gens expriment après par le vote, leur frustration, leur impuissance, parfois leur révolte. Vous savez, beaucoup de juges ne regardent pas le citoyen pendant les plaidoiries. Or, un juge doit être à l’écoute. C’est pourquoi je parle toujours d’une justice « les yeux dans les yeux ». Celle-ci pourrait s’inspirer du monde médical : le juge devrait avoir la même attitude et la même proximité qu’un médecin avec son patient. Il y a toute une génération de magistrats qui en est restée à une forme de corporatisme, et qui utilisent un vocabulaire datant du Code Napoléon.
Le manque de communicabilité commence au socle des bâtiments de justice. Inutile d’avoir des bâtiments pharaoniques qui sont souvent très impressionnants pour le citoyen : austères, armés et enrobés de béton, ils ont quelque chose d’impassible.
Quelles seraient vos priorités pour une réforme de la justice ?
Une magistrature moins narcissique et moins conservatrice. Une justice qui limite les procédures au strict minimum, qui accorde toujours une chance au dialogue, qui amenuise la lourdeur administrative, et qui serait dotée d’une démocratie interne, au lieu d’une hiérarchie verticale. Il s’agirait donc de revoir fondamentalement la mentalité d’autorité qu’elle suscite. Il y a une attitude incroyablement dominante, et même hautaine dans la posture de beaucoup de magistrats. Je suis pour une « justice sous l’arbre », à la sud-africaine c’est-à-dire une justice ambulante qui peut se dérouler hors des structures juridiques habituelles. Je prends souvent l’exemple du procès pour la mise en liberté de Dutroux, très onéreux : 100.000 euros au bas mot. Cette brève audience aurait pu se dérouler au sein même de la prison. La loi prévoit cela pour le tribunal d’exécution des peines. Pourquoi avoir mis sur pied tout un show ? Pour prétendre à un procès médiatique ? On peut pratiquer la justice en dehors de ces enceintes juridiques : une salle polyvalente, comme une bibliothèque, une petite salle de théâtre peuvent suffire pour une audience dans le cadre d’une justice de proximité. Ce serait une façon de réaliser une bonne économie de moyens pour la justice et le citoyen.
Une autre de mes priorités serait de ramener la justice conciliatrice familiale dans les cantons, près du juge de paix. Je suis un juge engagé pour une justice de conciliation et de médiation. Depuis mai 2018, je collabore chaque mois à une émission intitulée « De Radiorechter » (Le Juge de la Radio) sur Radio 2 (VRT). L’émission se déroule sur le terrain même où l’on discute du contentieux en question. J’y propose ma médiation et prononce finalement un avis juridique.