Remise de peine culturelle

Par Jean Cornil

Par delà les grands débats poli­tiques, aus­si essen­tiels soient-ils, entre régu­la­tion du capi­ta­lisme, par­tage du tra­vail, défense de la sécu­ri­té sociale, dés­équi­libre des éco­sys­tèmes, il y a par­fois dans l’immédiateté prag­ma­tique des idées lumi­neuses. Des pro­po­si­tions rares, ori­gi­nales, des mesures qui ren­versent la pers­pec­tive des grandes contro­verses théo­riques. Et qui sont réa­li­sables sans délai. En voi­ci une que j’ai trou­vée par­ti­cu­liè­re­ment attractive.

Cha­cun a son avis, plus ou moins déve­lop­pé et éclai­ré, sur les méthodes pour lut­ter contre la délin­quance et la cri­mi­na­li­té. Cha­cun place son cur­seur men­tal entre les pôles de la pré­ven­tion et celui de la répres­sion. Cha­cun éla­bore, ins­tinc­ti­ve­ment ou intel­lec­tuel­le­ment, son point de vue sur les ver­tus ou les vices de la pri­son, de l’amende, des peines alter­na­tives ou des tra­vaux d’intérêt géné­ral. Le droit pénal par­ti­cipe de l’imaginaire col­lec­tif en ceci que l’infraction, et plus encore le crime, pose un diag­nos­tic pré­cis sur l’état d’une civi­li­sa­tion. Le meurtre, de la Bible à Michel Fou­cault, se veut un indi­ca­teur signi­fiant de la cohé­sion sociale par la nature des normes qui le ban­nit ou qui le tolère. La ques­tion de la peine de mort est à cet égard exemplaire.

Venons-en, dans ce cadre, à la mesure que l’on pour­rait qua­li­fier de « rédemp­tion par la lec­ture ». Depuis 2009, au Bré­sil, les pri­son­niers béné­fi­cient de remises de peine contre des résu­més de livres. Suite à un docu­men­taire sur Arte, la roman­cière Anne Bra­gance, enthou­sias­mée par les résul­tats pro­met­teurs de cette expé­rience car­cé­rale l’a pro­po­sée à la ministre fran­çaise de la Jus­tice qui, en juin der­nier, l’inclut dans son pro­jet de loi de réforme pénale. En clair, les déte­nus qui par­ti­cipent à des acti­vi­tés cultu­relles, notam­ment la lec­ture, pour­ront pré­tendre à des réduc­tions sup­plé­men­taires de peine. Quelle que soit la légi­ti­mi­té du regard cri­tique que l’on porte sur l’échec de la poli­tique péni­ten­tiaire, il y a, ici et main­te­nant, une expé­rience qui brise la logique de la rédemp­tion par la seule pri­va­tion de liberté.

La mise en œuvre bré­si­lienne du prin­cipe de « salut par la culture » donne des résul­tats encou­ra­geants : « nette amé­lio­ra­tion de l’atmosphère, recul des vio­lences, nuits pai­sibles et prise de conscience de leurs crimes chez les déte­nus qui ont accep­té de par­ti­ci­per à l’expérience » écrit Anne Bra­gance. Le pri­son­nier reçoit un livre à lire en début de mois. S’il en four­nit un résu­mé, il béné­fi­cie de quatre jours de remise de peine. Pour les longues peines (30 ans), ce sys­tème pour­rait réduire la durée d’incarcération de plu­sieurs années. On pour­rait ima­gi­ner étendre cette méthode, selon des moda­li­tés à pré­ci­ser, à bien des acti­vi­tés cultu­relles comme la musique, le théâtre, la pein­ture ou la danse. Y aura-t-il, dans notre pays, un gou­ver­nant qui aura une telle audace ? Ou un juge d’application des peines ?

Der­rière les bar­reaux, lire c’est un peu moins mal vivre. Le livre comme une forme d’évasion. C’est le cas, par exemple, à Fleu­ry-Méro­gis où beau­coup de déte­nus sont ins­crits à la biblio­thèque de la pri­son : il y a des cercles de lec­tures, une revue « Lira­lombre », des ren­contres avec des écri­vains, des ate­liers de théâtre et des livres col­lec­tifs coécrits par les déte­nus, comme le raconte Jérôme Gar­cin. À Clair­vaux, un autre centre péni­ten­cier fran­çais, les pri­son­niers écrivent des textes qui sont mis en musique par des com­po­si­teurs et édi­tés en CD. Le saut sui­vant, comme l’a réa­li­sé la cou­ra­geuse Chris­tiane Tau­bi­ra, passe par les effets de l’épanouissement cultu­rel sur la durée même de la peine.

Cette démarche remar­quable s’inscrit dans la pers­pec­tive du che­min socra­tique, de celui de Spi­no­za ou de la per­fec­ti­bi­li­té de Jean-Jacques Rous­seau. Elle tient en peu de mots. Se culti­ver rend meilleur. S’exprimer conduit à une forme de féli­ci­té. La joie par la connais­sance. Le bon­heur par la culture. Après les ivresses du bal­lon rond, le Bré­sil nous offre une leçon de phi­lo­so­phie pra­tique dans un domaine qui avive les pas­sions et les arrière-pen­sées poli­tiques. Enga­geons-nous sur la route de la liber­té, dans tous les sens du terme, par les voies de l’érudition, des arts et de l’éducation populaire.