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Retour sur l’assassinat de Lumumba

Photo : CC BY 2.0 par Gary Soup

Patrice Lumum­ba, Pre­mier ministre de la Répu­blique du Congo nais­sante a été assas­si­né le 17 jan­vier 1961 dans des cir­cons­tances jamais tota­le­ment éclair­cies jusqu’à main­te­nant. Les rai­sons de sa mort mélangent en effet inté­rêts locaux et inter­na­tio­naux, belges et congo­lais. On est cepen­dant sûr qu’une large par­ti­ci­pa­tion de l’État belge a eu lieu. La relance d’une pro­cé­dure aujourd’hui en Bel­gique, peut per­mettre d’en éclai­rer les méandres, les res­pon­sa­bi­li­tés pré­cises et sur­tout pénales, mais aus­si de reve­nir sur ce point de ten­sion his­to­rique, ce nœud pas vrai­ment défait. Récit de l’affaire et ren­contre avec Anne­mie Schaus, avo­cate de la famille Lumumba.

Patrice Lumum­ba (1925 – 1961) est l’une des prin­ci­pales figures de l’indépendance du Congo belge. En tant que pre­mier Pre­mier ministre du Congo indé­pen­dant, il reste célèbre pour son dis­cours sans conces­sion pro­non­cé le jour de l’indépendance du Congo (30 juin 1960), face à un Roi Bau­douin stu­pé­fait, dans lequel il revient expli­ci­te­ment sur les méfaits de 80 ans de colo­ni­sa­tion belge. Le pays entre bien­tôt dans une période trouble qui le voit som­brer dans une qua­si-guerre civile subis­sant les luttes de dif­fé­rents can­di­dats au pou­voir (Mobu­tu, Tshombe, Kasa-Vubu et Lumum­ba) avec notam­ment la séces­sion de la pro­vince du Katanga.

Quelques mois à peine après son élec­tion et l’indépendance du Congo, Lumum­ba sera démis de son poste par le Pré­sident Kasa-Vubu et mis en rési­dence sur­veillée. Déjouant sa sur­veillance, il prend la fuite. Fina­le­ment cap­tu­ré avec deux de ses anciens ministres, il sera bat­tu et humi­lié puis livré par des Belges à Moïse Tshombe, pré­sident du Katan­ga, l’un des pires enne­mis de Lumum­ba. Là, il sera exé­cu­té som­mai­re­ment, son corps décou­pé en mor­ceau et dis­sous dans de l’acide. Le même sort étant réser­vé à ses compagnons.

Si ces cir­cons­tances n’ont jamais tota­le­ment été élu­ci­dées, on sait en tout cas qu’une par­ti­ci­pa­tion de l’État belge à plu­sieurs niveaux a eu lieu pour ce faire. C’est d’ailleurs à cet égard que l’État belge a pré­sen­té des excuses en 2003, que beau­coup consi­dèrent comme trop timides, impré­cises et sur­tout, sans consé­quences sur les dif­fé­rents pro­ta­go­nistes de cet assassinat.

UNE PROCÉDURE ENCLENCHÉE

Pour Anne­mie Schaus, avo­cate déter­mi­née de la famille Lumum­ba et pro­fes­seure à l’ULB, il s’agit d’aller au-delà des vagues excuses offi­cielles : « Il y a 10 ans, une com­mis­sion d’enquête par­le­men­taire a été mise sur pied et a enquê­té sur les faits. La res­pon­sa­bi­li­té morale de la Bel­gique a été révé­lée. L’État s’est même excu­sé pour cette res­pon­sa­bi­li­té morale, mais rien n’a été tiré de l’enquête par­le­men­taire : aucune consé­quence concrète, ni pénale, ni finan­cière. Ils n’ont pas du tout vou­lu mettre en cause la res­pon­sa­bi­li­té de l’État colo­ni­sa­teur, de l’État post­co­lo­ni­sa­teur. Ils ont dit que leur rôle n’avait pas été très clair dans la déco­lo­ni­sa­tion et qu’ils auraient pu être plus pro-actifs pour évi­ter l’assassinat. C’est tout. » Aujourd’hui, une pro­cé­dure judi­ciaire est mise en route à la demande des enfants de Patrice Lumum­ba qui ont consta­té les pro­messes non tenues par la Com­mis­sion par­le­men­taire. Elle vise à faire la lumière sur les res­pon­sa­bi­li­tés pénales pré­cises pour cet assas­si­nat. La plainte a été dépo­sée contre X mais aus­si contre une dizaine de pro­ta­go­nistes qui pour­raient être liés à la mort du Pre­mier ministre congolais.

Cette plainte se fonde sur la com­pé­tence per­son­nelle active puisqu’à ce stade les per­sonnes impli­quées sont de natio­na­li­té belge. L’assassinat de Lumum­ba est consi­dé­ré dans le cadre de cette affaire comme un crime de guerre. Crime qui peut être consi­dé­ré comme impres­crip­tible.

L’un des grands enjeux de cette pro­cé­dure est l’ouverture de nom­breuses archives res­tées secrètes et des audi­tions à huis clos de l’enquête par­le­men­taire qui seront peut-être ren­dues publiques à cette occa­sion. L’ouverture d’archives côté congo­lais, comme s’y est enga­gé le Gou­ver­ne­ment congo­lais qui sou­haite col­la­bo­rer à l’établissement de la véri­té (une pre­mière), devrait éga­le­ment appor­ter des élé­ments inédits d’explications.

AU-DELÀ DE L’AFFAIRE LUMUMBA

Au-delà du cas stric­te­ment pénal, il s’agit aus­si de reve­nir sur ce conten­tieux sym­bo­lique entre Congo et Bel­gique et son poids dans le rap­port post­co­lo­nial. De sor­tir du dis­cours type « ce sont des his­toires entre Noirs tout juste capables de se taper des­sus » et, pour la Bel­gique, de « voir dans sa propre his­toire ce dont on est res­pon­sable ». Il s’agit ain­si de chan­ger les men­ta­li­tés et la vision de l’Histoire : « L’idéal serait aus­si que grâce à ce genre de dos­siers, on revoit les cours d’Histoire, la res­pon­sa­bi­li­té de la Bel­gique dans l’assassinat de Lumum­ba et plus loin aus­si le rôle de la Bel­gique en Afrique et en tout cas au Congo. Par exemple, le rôle de Léo­pold II dont on voit encore des sta­tues sur cer­taines places com­mu­nales. » Et ce, alors même qu’aucune rue, aucun monu­ment n’existent pour rendre hom­mage à P. Lumumba.

Cette affaire, qui reçoit le sou­tien de la com­mu­nau­té congo­laise de Bel­gique, pour­rait créer un pré­cé­dent et même per­mettre à d’autres pro­cé­dures d’être lan­cées. « Cela peut faire boule de neige sur l’envie de savoir ‑une espèce de droit à la véri­té- ce qu’il est adve­nu de tous ces gens, pour­quoi et com­ment ils ont été assassinés. »