Retour vers le no future

Par Denis Dargent

Londres fête cette année les 40 ans de l’irruption punk. C’est à Londres en effet, entre 1976 et 1977, que s’est cris­tal­li­sée la vul­gate du punk dans ses dimen­sions musi­cale et esthé­tique (gra­phisme et mode ves­ti­men­taire). Pas­sons sur l’opportunité d’une telle célé­bra­tion qui, à l’instar de ce que devient la culture rock en géné­ral, se dérou­le­ra dans une ambiance muséale, pro­pice à l’embaumement et au vin­tage de grande sur­face. Reve­nons-en plu­tôt aux faits, loin des cli­chés médiatiques.

Le punk n’a pas tou­jours été un folk­lore pour tou­ristes en t‑shirts Ramones – même si, notez bien, il y avait de ça à l’origine, mais c’est Vivienne West­wood et Mal­com McLa­ren qui des­si­naient les t‑shirts. Nuance. Le punk, éty­mo­lo­gi­que­ment, c’est l’« intou­chable » des socié­tés occi­den­tales, un véri­table paria. Une putain, aus­si, chez Sha­kes­peare (dans Mesure pour mesure), un jeune pros­ti­tué chez William S. Bur­roughs, une ver­mine délin­quante pour Kojak ou l’inspecteur Har­ry… Le mot fait son entrée dans la culture musi­cale par le biais de com­pi­la­tions du genre Nug­gets (1972), consa­crées au rock garage US des années 60. Ces auto­di­dactes sont appe­lés punks, en réfé­rence aux mer­veilles qu’ils pro­duisent mal­gré des apti­tudes musi­cales rudi­men­taires. C’est l’ABC du do it your­self qui fera écho à tra­vers les seven­ties.

À pro­pre­ment par­ler, le punk ne consti­tue pas une révo­lu­tion dans la culture pop. C’est un retour aux sources vul­gaires du rock’n’roll, à son bar­ba­risme élé­men­taire, « un pro­ces­sus de non-appren­tis­sage déli­bé­ré », comme l’écrit Jon Savage, l’encyclopédiste du mou­ve­ment. Voi­ci un accord, un autre et encore un autre : main­te­nant tu peux for­mer un groupe.
Ce qui se passe à Londres (puis à Man­ches­ter et dans quelques villes euro­péennes) en 76 – 77, n’est donc pas un phé­no­mène iso­lé même s’il consti­tue­ra, his­to­ri­que­ment, le point de conver­gence de l’emballement média­tique. Le pub rock (Count Bishops, Dr Feel­good, etc.) avait tra­cé la voie, et avant lui la new wave (la vraie) dès le début des années 70 à New-York, Detroit, Akron ou Cle­ve­land. Si le punk est bien un cra­chat à la face du rock bour­geois et de la socié­té baba, les Stooges, le MC5, le Vel­vet Under­gound, David Bowie, Devo, les Dic­ta­tors, les Elec­tric Eels, les Hol­ly­wood Brats ou les New York Dolls (un temps mana­gés par McLa­ren… tiens, tiens…) n’avaient pas atten­du le Lon­don cal­ling pour ouvrir le feu.

Cela ne réduit pas pour autant les punks de 76 à des héri­tiers irres­pec­tueux. Que du contraire. En un temps record (disons entre le concert des Sex Pis­tols du 23 jan­vier 76 au Col­lège de Wat­ford et leur toute der­nière pres­ta­tion au Win­ter­land de San Fran­cis­co le 14 jan­vier 78), les punks remettent au goût du jour les dadaïstes et les situa­tion­nistes (influences majeures de leurs expres­sions gra­phiques), appliquent les pré­ceptes du DIY à la pro­duc­tion dis­co­gra­phique (explo­sion des labels indé­pen­dants), enterrent le sexisme inhé­rent au rock tra­di­tion­nel (punks, pun­kettes, même com­bat !) et enfantent le post-punk, der­nière aven­ture pop exci­tante pour les siècles à venir… C’est beau­coup en peu de temps. Mais too much, too soon

Car le peuple, bien enten­du, ne sui­vra pas. Et pré­fè­re­ra don­ner les clefs du royaume à Mar­ga­ret That­cher qui s’empare du trône dès 1979. Les Pis­tols nous avaient pour­tant pré­ve­nus : There is no future in England’s drea­ming. Fran­cis Dor­dor, jour­na­liste qui y était, le dit autre­ment : « Le punk aura ren­du ceux qui l’ont vécu plus pré­sents au monde, à défaut de leur insuf­fler la force de le chan­ger. Il les aura libé­rés du temps en les ren­dant conscients qu’ils n’avaient plus aucun besoin du pas­sé pour assu­mer leur iden­ti­té, ni de l’avenir pour vivre leur plé­ni­tude. »

Esprit Dada es-tu là ?