Rire, réfléchir, agir, mais d’abord rire !

Illustration : Alice Bossut

« Rire, réflé­chir, agir, mais d’abord rire ! », telle pour­rait être la devise du jour­nal Fakir et de son rédac-chef Fran­çois Ruf­fin. Retour sur les méthodes et pra­tiques de ce jour­na­liste, pas­sé par l’émission radio « Là-Bas si j’y suis », réa­li­sa­teur du film « Mer­ci Patron ! ». Mais qui est aus­si l’un des ini­tia­teurs du mou­ve­ment Nuit Debout et can­di­dat aux pro­chaines élec­tions légis­la­tives en France.

En 1999, Fran­çois Ruf­fin, alors étu­diant à Amiens, la capi­tale du monde (après Liège, évi­dem­ment), crée Fakir, un jour­nal pour contrer la presse tra­di­tion­nelle picarde. Le titre illustre déjà bien la démarche puisqu’il consti­tue un jeu de mots foi­reux entre Fac(ulté) et ire (la colère). Dix-huit ans plus tard, le canard est plus vivant que jamais, après une mon­tée en puis­sance pro­gres­sive. De 2500 exem­plaires au début des années 2000, il passe à près de 40.000 début 2010 jusqu’à atteindre 140.000 pour les tout der­niers numé­ros, suite à « l’effet Mer­ci Patron ! » Il se pré­sente tou­jours comme un « jour­nal n’étant lié à aucun par­ti, aucun syn­di­cat, aucune ins­ti­tu­tion, fâché avec tout le monde ou presque… fait comme ça avec ses bonnes volon­tés mises bout à bout. De quoi four­nir à l’arrivée une contre-infor­ma­tion rigo­lote sous la forme mais sérieuse sur le fond ». En effet, ce canard sau­vage et boi­teux prend le temps de mener des enquêtes sociales pré­ci­sé­ment au moment où le son­dage rem­place de plus en plus le tra­vail de ter­rain dans la presse de réfé­rence, adopte sou­vent un ton pam­phlé­taire et va jusqu’au bout de la logique : non content de cou­vrir la fer­me­ture d’une usine pas­sée sous la coupe du groupe LVMH, le jour­nal incite et orga­nise l’achat d’actions par les tra­vailleurs pour aller taper l’incruste et faire entendre leur voix à l’assemblée géné­rale du groupe.

ENTRE AGITPROP ET ORGANISATION DE COMMUNAUTÉ

Rien de bien neuf sous le soleil puisque ces méthodes consistent en quelque sort à redon­ner vie à « l’agit-prop », qui dési­gnait en URSS le Dépar­te­ment pour l’a­gi­ta­tion et la pro­pa­gande, organe du Par­ti com­mu­niste qui visait à la pro­pa­ga­tion la plus large de quelques idées au plus grand nombre, et qui se tra­duit au 21e siècle par la média­ti­sa­tion de coups d’éclat. Ce n’est par ailleurs pas un hasard si les sources d’inspiration reven­di­quées de Fran­çois Ruf­fin sont Anto­nio Gram­sci , ce com­mu­niste ita­lien qui a lon­gue­ment théo­ri­sé la recon­quête idéo­lo­gique et cultu­relle par la consti­tu­tion d’un bloc his­to­rique, et Saul Alins­ky, le fon­da­teur du grou­pe­ment d’organisateurs de com­mu­nau­té (com­mu­ni­ty orga­ni­zing) et maitre à pen­ser de la gauche radi­cale américaine.

Que ce soit dans Fakir, dans les livres que le groupe édite, voire éga­le­ment dans le film au suc­cès phé­no­mé­nal Mer­ci Patron ! (plus de 500.000 entrées), si la colère est le moteur et le car­bu­rant, la méthode s’appuie sur le rire : l’idée étant de mobi­li­ser par l’humour dans un océan de moro­si­té. Pour l’équipe de Fakir, on com­bat en effet un sys­tème en ren­ver­sant un rap­port de force. Et on ren­verse ce rap­port de force en accu­mu­lant plus de force que l’ad­ver­sai­reen convain­cant et en fai­sant rire. Le rire est ain­si uti­li­sé pour inci­ter à la révolte, loin de la mili­tance triste et for­cé­ment sacri­fi­cielle. La méthode se veut un îlot de joie pour réen­chan­ter et pro­mou­voir la réap­pro­pria­tion de la chose politique. 

RIRE POUR CONSTRUIRE LE « NOUS »

Le recours à la satire, à la paro­die, le choix de modes d’action inso­lites, tout cela vise à mettre des bulles de cham­pagne dans la tête. Ain­si , le der­nier opus du consor­tium faki­rien, de la plume de Valé­ry Char­tier La gauche décom­plexée- La droite d’après, montre Nico­las Sar­ko­zy faire la pro­mo­tion du per­mis de vivre à points et Fran­çois Hol­lande aller cher­cher la décrois­sance avec les dents. 

Et dans Mer­ci Patron !, cette fable sur la lutte des classes, le pro­pos s’appuie sur des sym­boles ancrés dans la culture popu­laire (La petite mai­son dans la prai­rie, Robin des bois, Les Char­lots, le maroilles) pour per­mettre l’alliance des classes popu­laires et des classes inter­mé­diaires pour contes­ter la toute-puis­sance des riches. Rap­pe­lons-nous en effet ces pro­pos de Lénine : « une situa­tion pré­ré­vo­lu­tion­naire éclate lorsque ceux d’en haut ne peuvent plus, ceux d’en-bas ne veulent plus et ceux du milieu bas­culent avec ceux d’en bas ». Et c’est ain­si que le film donne à voir l’oligarchie, son mode de vie, ses rému­né­ra­tions gro­tesques, sa puis­sance, ses déci­sions sur nos exis­tences. Il ne théo­rise pas mais donne à voir des émo­tions, des affects. Et par­tant, face au popu­lisme de droite, il pro­meut l’idée d’un popu­lisme de gauche, avec un « nous » qui inclut les immi­grés mais qui pointe comme adver­saires les mul­ti­na­tio­nales, les grandes for­tunes… Nous y revien­drons très prochainement.

Certains articles sont consultables en ligne sur fakirpresse.info.

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