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Rom, Tsigane, Gitan… Dépasser les mythes d’un peuple européen

Il est un peuple en Europe dont les fron­tières ne sont pas celles d’un ter­ri­toire, ni d’un État-Nation. Il est un peuple en Europe qui ne vit pas comme les autres. Il est un peuple en Europe, réduit à une mytho­lo­gie, la plu­part du temps dis­cri­mi­nante… néga­ti­ve­ment, mais aus­si posi­ti­ve­ment. On le dit tour à tour nomade, musi­cien vir­tuose, libre comme le vent. Mais éga­le­ment voleur de poule, sale, un enfant dans les bras, dans les rues de nos villes. On les appelle Roms, Tsi­ganes, Gitans, Gens du voyage… Au-delà des images, des sté­réo­types bien ancrés dans la mémoire col­lec­tive se cache une réa­li­té complexe.

Diverses dénominations

Cer­taines de ces appel­la­tions sous-tendent un racisme pri­maire ; plus d’un parent a trai­té ses enfants de « roma­ni­chels », quand ils reve­naient sales à la mai­son (cela vaut pour les appel­la­tions bohé­mien et gitan).

La for­mu­la­tion gens du voyage est quant à elle plus expli­cite. Elle concerne les per­sonnes nomades, celles que nous croi­sons dans des aires de sta­tion­ne­ment, géné­ra­le­ment peu, voire pas équi­pées pour les accueillir. Cette appel­la­tion peut concer­ner des tsi­ganes… mais aus­si bien d’autres per­sonnes qui vivent en nomades (bate­liers, sai­son­niers, forains…).

Ajou­tons à cela que si cer­taines appel­la­tions sont exo­gènes dans une langue, elles seront endo­gènes dans une autre langue euro­péenne. Si en France, le mot Rom peut être per­çu de manière péjo­ra­tive du fait de l’usage qu’en ont les élites poli­tiques fran­çaises, en Alle­magne, le terme Zigeu­ner (tsi­gane), ren­voyant à une période sombre de l’histoire (le géno­cide par les nazis), peut être per­çu comme une insulte.

La déno­mi­na­tion Rom a été adop­tée par plu­sieurs ins­ti­tu­tions inter­na­tio­nales, comme l’ONU par exemple, pour par­ler de ceux qui repré­sentent la plus grande mino­ri­té d’Europe. C’est aus­si le nom qu’a choi­si l’Union inter­na­tio­nale roma­ni, en 2000, pour se dési­gner. Paral­lè­le­ment, c’est aus­si l’appellation d’une par­tie des tsi­ganes d’Europe, ceux ori­gi­naires des pays des Bal­kans. Qui plus est, tous les tsi­ganes ne se recon­naissent pas sous cette appel­la­tion. Et de brouiller les cartes.

Un brin d’histoire… qui reste d’actualité

L’une des rai­sons d’apprendre à mieux connaître le/les monde‑s tsigane‑s est bien enten­du son his­toire. Une his­toire com­po­sée de dis­cri­mi­na­tions, d’exclusion, d’esclavage (l’abolition de l’esclavage des Tsi­ganes en Rou­ma­nie date du milieu du 19e siècle) et même d’un géno­cide, per­pé­tré en même temps que le géno­cide juif sous le régime nazi, dont notre socié­té contem­po­raine parle peu. Inter­dit aux nomades, de Ray­mond Gurême, raconte l’histoire des camps d’internement en France, d’un témoin encore vivant de cette his­toire du 20e siècle. La dis­cri­mi­na­tion et l’exclusion res­tent tou­jours d’actualité.

En 2011, des mani­fes­ta­tions anti-roms s’organisent, sou­te­nues par des groupes néo-nazis en Bul­ga­rie ou en Slo­va­quie. Nico­las Sar­ko­zy, en 2010, a ren­voyé en Rou­ma­nie et Bul­ga­rie, dans la plus grande caco­pho­nie et pêle-mêle des mil­liers de per­sonnes, iden­ti­fiées comme Roms. À l’été 2011, à Bruxelles, nous nous sou­ve­nons de l’abandon géné­ral par les pou­voirs publics de familles roms avec enfants sur la « place Gau­che­ret », livrés à la seule soli­da­ri­té des riverains.

Aujourd’hui, au sein de l’Union euro­péenne existe une pré­somp­tion de res­pect des Droits de l’Homme, à l’égard des États la consti­tuant… une pré­somp­tion qui ques­tionne, quand on voit les situa­tions dra­ma­tiques des Roms dans cer­tains pays de l’Union. Même si les exemples de stig­ma­ti­sa­tion et d’exclusion sont nom­breux et avant tout liés à des stéréotypes.

Une identité commune et la nation Romani

L’Union inter­na­tio­nale Roma­ni fut créée en 1971, sous l’impulsion de Roms convain­cus de la néces­si­té de se regrou­per pour défendre leurs droits. Union recon­nue pour notam­ment avoir réa­li­sé un tra­vail d’écriture d’un Sta­tut-cadre du peuple Rrom dans l’Union euro­péenne, elle ne fait cepen­dant pas l’unanimité au sein des Roms eux-mêmes. Rap­pe­lons que la volon­té de cer­tains mili­tants tsi­ganes de déter­mi­ner un déno­mi­na­tif com­mun (Rom) par­ti­cipe d’un sou­ci d’émancipation face aux appel­la­tions péjo­ra­tives don­nées par les non-Roms.

Pré­cau­tion prise, l’Union Inter­na­tio­nale Roma­ni défi­nit la nation roma­ni comme « une nation sans ter­ri­toire com­pact et sans pré­ten­tion à l’être ». En pré­ci­sant qu’il ne s’agit pas de « cri­tères défi­ni­toires », ce texte avance un « fais­ceau de réfé­rences » à tra­vers les­quelles se recon­naît la nation rom :

— une ori­gine indienne com­mune. Ceux que nous appe­lons Roms ou Tsi­ganes auraient quit­té l’Inde aux alen­tours du 10e siècle ;

— une langue com­mune, le roma­ni, que cette langue soit encore pra­ti­quée ou qu’elle cor­res­ponde au sou­ve­nir d’ancêtres qui l’ont par­lée. Des auteurs et pro­fes­seurs, tel que Mar­cel Cour­thiade, dans cette même volon­té de fédé­rer pour mieux défendre leurs droits, tra­vaillent à la stan­dar­di­sa­tion du roma­ni. Les réa­li­tés géo­gra­phiques et les stra­té­gies d’intégration/inclusion, ont en effet don­né un lan­gage empreint des langues du ter­ri­toire dans les­quels les Roms se sont ins­tal­lés et donc des langues roma­ni plu­tôt qu’une langue romani ;

— une inté­gra­tion par le sang ou les alliances au réseau des familles roma­ni en Europe ;

— une « conscience d’appartenir avec fier­té à une com­mune nation roma­ni, quels que soient les mots uti­li­sés loca­le­ment pour la nom­mer, les per­sonnes n’appartenant pas à cette col­lec­ti­vi­té étant dési­gnées tra­di­tion­nel­le­ment sous divers noms dont le plus répan­du est ‘’gad­jo’’, fémi­nin ‘’gad­ji’’ » ;

— un cer­tain nombre de valeurs phi­lo­so­phiques et humaines com­munes. Celles-ci prennent leur sens dans une forme d’organisation sociale dans les­quels les liens fami­liaux de pre­mier niveau sont pri­mor­diaux, s’élargissant en cercles concen­triques, jusqu’à la dis­tinc­tion de Rom / Gad­jo, c’est-à-dire Rom / non-Rom.

Ces valeurs, comme dans tout peuple, sont défen­dues varia­ble­ment d’un groupe et d’une per­sonne à l’autre. Comme dans toute orga­ni­sa­tion sociale. Nous pou­vons y voir émer­ger, par exemple, des reven­di­ca­tions fémi­nistes. À cet égard, le docu­men­taire de Meritxell de la Huer­ga, Gita­na Soy, est par­ti­cu­liè­re­ment par­lant. L’on y voit, dans l’Espagne actuelle, des femmes dis­cu­ter de leur sta­tut de femmes au sein des Gita­nos (Tsi­ganes d’Espagne), de tra­di­tions et d’éducation.

Outre les cri­tères repris ci-des­sous, nous pour­rions ajou­ter, comme le pro­pose Alain Rey­niers, une concep­tion par­ti­cu­lière du ter­ri­toire. La concep­tion du ter­ri­toire revien­drait à dire que c’est « l’individu qui construit le ter­ri­toire à sa mesure et non le ter­ri­toire qui cloi­sonne l’activité humaine sur un espace préa­la­ble­ment déli­mi­té ». Dans cette pers­pec­tive, le ter­ri­toire varie en fonc­tion des néces­si­tés éco­no­miques, com­mer­ciales, fami­liales… Un groupe se dépla­ce­ra pour un tra­vail (comme par exemple, dans les tra­vaux sai­son­niers) et pro­fi­te­ra de ce dépla­ce­ment pour rendre visite à la famille vivant dans la région.

Des productions culturelles comme vecteur d’identité

Créées de toute pièce ou non, les iden­ti­tés tsi­ganes existent et avec elles un monde de créa­tion spé­ci­fique. L’émergence de nou­velles formes d’expression cultu­relle dans le giron artis­tique est favo­ri­sée par des médias roms propres. Les pré­misses appa­raissent dès le début du XXe siècle en Rus­sie, ain­si que dans cer­tains pays des Bal­kans. Aujourd’hui, des radios en roma­ni aux maga­zines, la langue rom per­met à cer­tains groupes de connaître et recon­naître, et d’unifier. Cela en lien avec les réa­li­tés poli­tiques, d’exclusion, de sou­mis­sions des popu­la­tions tsiganes.

En France, dans les années 1980, une mai­son d’édition est ini­tiée par le Père Jean Fleu­ry. Struc­ture asso­cia­tive, Wal­lâ­da déve­loppe la col­lec­tion Warout­cho, consa­crée à la parole tsi­gane. Wal­lâ­da publie l’auteur qui reste encore aujourd’hui l’un des prin­ci­paux, et est ini­tia­teur du pas­sage à l’écrit de l’au­teur tsi­gane : Matéo Maximoff.

En Bel­gique, le nom du gui­ta­riste Djan­go Rein­hardt sonne comme le fon­da­teur du jazz manouche. Tsi­gane et nomade, il est issu d’une famille de Sin­ti — que l’on appelle manouche en France. Beau­coup de lieux qu’il aura tra­ver­sés célèbrent encore aujourd’hui le musicien.

Pour conclure

Nous retien­drons les pro­pos de Nico­lae Gheor­ghe, socio­logue rom de Rou­ma­nie : « Être Tsi­gane ne signi­fie pas néces­sai­re­ment par­ler tsi­gane, agir en tsi­gane, avoir une Église dif­fé­rente. La tsi­ga­ni­té est une défi­ni­tion qui est tou­jours négo­ciable et négo­ciée, selon que l’on veut ou non se décla­rer tsi­gane. » L’objectif de ce texte n’est pas d’enfermer les Tsi­ganes dans un sta­tut un et indi­vi­sible, mais de ten­ter de mon­trer qu’il existe des réflexions, par­fois contra­dic­toires, comme il existe des par­ti­cu­la­ri­tés et une forme d’universalité, dans ces cultures… comme dans les autres.



EXPOSITION « Roms, Tsiganes, Gitans, Gens du voyage... entre mythes et réalités »

Présence et Action Culturelles vous propose, dans le cadre de la campagne que l’ASBL mène sur la question des représentations et de l’histoire des Roms, de visiter l’exposition « Roms, Tsiganes, Gitans, Gens du voyage... entre mythes et réalités » à la Maison du Livre à Saint-Gilles (Bruxelles) jusqu’au 18 avril 2012. Cette exposition se déplacera en Wallonie par la suite.

Programme complet disponible ici