Roosevelt, reviens !

Par Jean Cornil

Face à l’incertitude du pré­sent, un coup d’œil dans le rétro­vi­seur peut s’avérer salu­taire. En ces temps de géné­ra­tion spon­ta­née, oublieuse de la conti­nui­té his­to­rique, le regard rétros­pec­tif peut éclai­rer un che­min pour l’avenir. Je me suis donc plon­gé dans une bio­gra­phie de Frank­lin Roo­se­velt, le héros de New Deal.

Certes, l’Histoire ne se répète par nature jamais, et la ter­rible crise des années 30 a débou­ché sur la pire bou­che­rie du genre humain. La guerre a relan­cé l’économie. Mais l’esprit de la relance amé­ri­caine me paraît bien­ve­nu pour une Union euro­péenne qui, si elle mérite le prix Nobel de la paix depuis plus de soixante années, sombre dans une inquié­tante absence de pro­jet, à l’exception d’un grand mar­ché tou­jours plus ten­ta­cu­laire, et d’une ges­tion d’épicier à la mala­die pro­fes­sion­nelle bien connue : le seul et unique profit.

Bref, l’Europe, conti­nent héri­tier d’une civi­li­sa­tion excep­tion­nelle comme de colo­ni­sa­tions atroces, est deve­nue un expert-comp­table arbo­rant une raré­fac­tion totale d’oxygène moral. Sans souffle, sans autre des­tin com­mun que les bilans froids des tech­no­crates de Bruxelles. Peu importe les souf­frances des peuples et la déses­pé­rance des classes popu­laires, la « règle d’or » bud­gé­taire s’impose, quel que soit son goût de plomb dans la bouche des citoyens.

Roo­se­velt donc. Le mil­liar­daire para­ly­tique arrive à la Mai­son Blanche en 1932, au moment où l’Amérique tra­verse une four­naise éco­no­mique sans pré­cé­dent : la pro­duc­tion s’effondre, le chô­mage est dévas­ta­teur, les misé­reux se démul­ti­plient. Le Pré­sident, assez fade jusque-là, va être à l’origine d’une impul­sion déci­sive, avec le sou­tien de Keynes, jusqu’alors si étran­gère à la tra­di­tion poli­tique du pays.

« Il est ani­mé d’une convic­tion abso­lue : il faut à tout prix réagir à la crise qui ravage le pays depuis 1929, à laquelle l’administration répu­bli­caine n’a oppo­sé qu’une pas­si­vi­té née de ses convic­tions conser­va­trices et de sa croyance dans les méca­nismes spon­ta­nés du mar­ché » écrit Laurent Joffrin.

La volon­té col­lec­tive au ser­vice de la soli­da­ri­té : voi­là le mes­sage clef de Roo­se­velt. Que l’Europe le médite face à la réces­sion qui favo­rise les replis natio­na­listes et les égoïsmes nationaux.

Que l’on juge du carac­tère, avec le recul qua­si révo­lu­tion­naire, voire pro­phé­tique, des réformes, dont cer­taines ont été votées en un jour au début du man­dat de Roo­se­velt. Le Glass – Stea­gall Act pour sépa­rer les banques de dépôt des banques d’affaires, un taux d’impôt appli­cable aux plus riches qui est pas­sé de 25% en 1932 à 91% en 1941, la créa­tion d’un corps civil de pro­tec­tion de l’environnement pour aider plus de 250.000 jeunes chô­meurs, un pro­gramme ambi­tieux, de tra­vaux publics (Ten­nes­see Val­ley Autho­ri­ty)… Un inter­ven­tion­nisme des pou­voirs publics et un volon­ta­risme poli­tique dont on se prend à rêver aujourd’hui.

C’est tout le sens du col­lec­tif Roo­se­velt 2012 qui appelle à une insur­rec­tion des consciences et à un puis­sant mou­ve­ment citoyen, selon les termes de Sté­phane Hes­sel et Edgar Morin, devant l’extrême gra­vi­té de la situa­tion et face au risque d’effondrement.

Quinze réformes prio­ri­taires sont mises en exergue : redon­ner de l’oxygène aux États en dimi­nuant for­te­ment les inté­rêts de la dette publique, créer un impôt euro­péen sur le béné­fice des entre­prises pour déga­ger de nou­velles marges de manœuvre bud­gé­taires et mettre fin au sabor­dage fis­cal natio­nal, en France, en annu­lant les baisses d’impôts octroyées aux grandes entre­prises et aux citoyens les plus riches, limi­ter au maxi­mum les licen­cie­ments, inter­dire la spé­cu­la­tion ban­caire, sécu­ri­ser les précaires…

Ce pro­gramme, dans l’esprit même du New Deal de Roo­se­velt, est l’exact oppo­sé des poli­tiques sui­ci­daires de l’Union euro­péenne. Cet appel indique que tout dépend de la volon­té poli­tique et de la mobi­li­sa­tion des citoyens.

Puisse l’esprit du grand Roo­se­velt ins­pi­rer enfin nos dirigeants.

Sur le même sujet :

www.roosevelt2012.fr : où chacun peut s’informer, signer et s’engager
Pierre Larrouturou, Pour éviter le Krach ultime, Nova Éditions, 2011
André Kaspi, Roosevelt, Fayard, 1988 et Le Nouvel Observateur, 2012 (Préface de Laurent Joffrin)