Rudy Demotte

De Spartacus à Tournai

Photo : Nino Lodico

Rudy Demotte, Ministre-Pré­sident de la Wal­lo­nie et de la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles nous a accueillis dans sa mai­son tour­nai­sienne, on y aper­çoit le centre-ville au loin, les cinq clo­chers. Cette mai­son, qu’il a vou­lue mini­ma­liste, laisse entrer un fais­ceau de lumière maxi­mal. On y a par­lé de pro­jet de ville, de la place et du sens du mot « culture », de dia­lectes régio­naux, de folk­lore, de rur­ba­ni­té, de nature, d’engagement politique…

Est-ce qu’il existe une spécificité de la culture Wallonie-Bruxelles à côté de la puissance de la France et au-delà la puissance de la culture anglo-saxonne ?

Tout d’abord, c’est toute l’ambiguïté du mot « culture ». Est-ce qu’il existe une culture ? Auquel cas si on répond, oui, il existe une culture, c’est qu’on lui donne un sens uni­ver­sel. Et donc, il est dif­fi­cile de la contin­gen­ter sous l’angle d’un ter­ri­toire ou d’une ins­ti­tu­tion. Et j’ai ten­dance à dire qu’il existe une culture uni­ver­selle, mais qui est déta­chée du ter­ri­toire et qui est dif­fi­ci­le­ment défi­nis­sable parce que l’universalité est par nature quelque chose qui se construit dans le lien com­mun qui est lui-même très évo­lu­tif. C’est com­pli­qué à expli­quer, mais, pour moi, la culture uni­ver­selle existe, mais ce n’est pas la culture wallonne.

Est-ce qu’il existe une culture wal­lonne ? Je pense qu’il existe des cultures wal­lonnes. La Wal­lo­nie est un espace géo­gra­phique qui est en construc­tion, l’identité est liée au ter­ri­toire et il est cou­rant de la décli­ner selon les saveurs du ter­roir. Je dis le mot ‘’saveur ‘’ volon­tai­re­ment parce, sou­vent, on a réduit la culture wal­lonne à son folk­lore, à ses dia­lectes, à ses pro­duits de bouche. C’est une culture mul­tiple au sens de la décli­nai­son du terme comme les décli­nai­sons que l’on a apprises dans les langues anciennes. Et donc, la culture est à la fois mul­tiple, mais occu­pée à trou­ver ses repères d’identification. La culture fran­co­phone, entre les fran­co­phones de Bruxelles et les Wal­lons, existe aus­si et elle est, elle-même, bigar­rée, métis­sée. Elle est elle-même assez équi­voque et se nour­rit de ce carac­tère. Ce sont tous ceux qui lors de leurs études, se sont confron­tés à la mul­ti­pli­ci­té des cultures à Bruxelles.

Ils viennent d’un ter­reau où ils ont effec­ti­ve­ment vu une colo­ra­tion par­ti­cu­lière. Si on se rend ou habite à Bruxelles, on ren­contre des popu­la­tions beau­coup plus métis­sées. Donc l’approche du wal­lon au contact de la culture ou des cultures bruxel­loises, est tein­tée de ces mou­ve­ments migra­toires estu­dian­tins d’abord, des navet­teurs qui vont sur Bruxelles ensuite.

Main­te­nant, est-ce que la culture fran­co­phone bruxel­loise au contact des Wal­lons en est, elle-même, impré­gnée, je pense que oui, car il y existe de plus en plus une mobi­li­té des Bruxel­lois vers la péri­phé­rie bruxel­loise. Comme Bruxelles a tou­jours exis­té avec son hin­ter­land bra­ban­çon fla­mand ou wal­lon, aujourd’hui, il y a de nou­veaux ter­ri­toires sur les­quels des Bruxel­lois vont plan­ter leurs racines. C’est notam­ment le cas de la Wal­lo­nie picarde. Quand on voit que Charles Pic­qué a choi­si de mettre sa seconde rési­dence sur une des com­munes qui fait par­tie de l’entité de Ath, quand je vois la com­po­si­tion d’une com­mune comme Enghien qui est véri­ta­ble­ment deve­nue la porte de Bruxelles. Silly dont 40 % de la popu­la­tion est aujourd’hui bruxel­loise, ou encore Les­sines le Pays des Col­lines, par­tout les Bruxel­lois ont trou­vé un lieu où ils peuvent vivre ou s’évader en dehors de la péri­phé­rie stric­to sen­su de Bruxelles. Oui, ce mou­ve­ment de fric­tion de la culture fran­co­phone bruxel­loise aux cultures de ter­roirs wal­lonnes est en train de se pro­duire. Et il y a d’ailleurs un concept qui en est vrai­sem­bla­ble­ment né, c’est la « rurbanité ».

Ce sont à la fois des urbains, car ils pos­sèdent une culture urbaine à la base, mais ancrée dans la rura­li­té. Et la rura­li­té devient un réci­pient d’exigences qua­li­ta­tives supé­rieures, les ser­vices par exemple. On ne se contente plus de la biblio­thèque de vil­lage, c’est l’événementiel que l’on veut atti­rer sur le ter­ri­toire. Pré­ci­sé­ment, l’événementiel est appor­té par ces popu­la­tions. On a aujourd’hui des groupes magh­ré­bins qui, viennent se pro­duire dans la région et qui, au contact des popu­la­tions des cam­pagnes, s’enrichissent mutuellement.

Si tu devais classer les trois œuvres de la culture wallonne et bruxelloise qui ont été déterminantes dans tes choix politiques et esthétiques, quelles seraient-elles ?

D’abord, je suis très ins­pi­ré par le patri­moine archi­tec­tu­ral. Je sais que c’est un peu réduc­teur, mais ce que mes sens retiennent pour la Wal­lo­nie, c’est le Grand Hor­nu. Sa concep­tion archi­tec­tu­rale, le côté roton­di­nal de l’ensemble qui est en com­mun, la coha­bi­ta­tion de la culture et de l’économie qui se fait aujourd’hui par le redi­men­sion­ne­ment muséal de ce lieu qui fut jadis un char­bon­nage m’inspirent. Le contem­po­rain dans un site qui semble appar­te­nir à un autre siècle m’intéresse.

Le deuxième élé­ment que j’aimerais pré­sen­ter si j’étais ame­né à capi­ta­li­ser nos points saillants cultu­rels, mais pour Bruxelles cette fois, ce serait le Théâtre de Toone. En disant cela, c’est presque l’image du piège à tou­ristes. Mais en même temps, j’ai envie d’être pro­vo­cant parce que le Théâtre de Toone, c’est le métis­sage lin­guis­tique par­fait qui montre que cette terre bruxel­loise dont le Zin­neke est la langue de réfé­rence nous rap­pelle à une grande modes­tie. Cette fric­tion cultu­relle a un côté extrê­me­ment per­ti­nent dans le Théâtre de Toone. Vous savez com­bien je suis atta­ché à la ville de Tour­nai, on consi­dère le Théâtre de marion­nettes comme une facul­té d’exprimer une réa­li­té, mais, d’un autre côté, les mes­sages qui passent sont eux-mêmes por­teurs de sens au-delà de ce côté un peu folklorique.

Et le troi­sième point saillant que je ferais décou­vrir sur la Wal­lo­nie, ce sont les dimen­sions cultu­relles invi­sibles qui font par­tie du patri­moine imma­té­riel de l’humanité. Par­mi elles, je ne pren­drai pas les grands car­na­vals, mais davan­tage un moment qui a exis­té dans de nom­breux vil­lages, qui a ten­dance à dis­pa­raitre de plus en plus, et que l’on qua­li­fiait dans cette par­tie de la Wal­lo­nie, en Wal­lo­nie picarde, de « soi­fée à l’é­craine ». C’est un des points qui me manque d’ailleurs le plus dans la vie contem­po­raine. C’était ces bourses d’échanges émo­tion­nelles de ce que l’on vivait pen­dant la jour­née. J’ai vécu cela non seule­ment en Wal­lo­nie picarde, mais aus­si en Flandre. Les gens dépo­saient la chaise sur le trot­toir ou invi­taient chez eux les voisins.

Est-ce que tu es un adepte des langues régionales ? Trouves-tu que c’est hors temps ou en es-tu un fervent défenseur ?

Non, je ne suis pas quelqu’un qui les pro­meut pour la connais­sance au sens de leur usage quo­ti­dien, mais moi-même je parle deux dialectes.

Je parle un dia­lecte fla­mand, celui de Bra­ken, que très peu de gens com­prennent. C’est véri­ta­ble­ment un dia­lecte avec son propre voca­bu­laire. C’est presque une langue. Pour don­ner un exemple très concret, en néer­lan­dais, une poche se dit « Zak ». À Bra­ken, cela se dit « Molen », et à Renaix qui est à côté, cela se dit « Boze ». Donc voi­ci le même mot qui a trois sens dif­fé­rents à quelques kilo­mètres de distance.

Le deuxième dia­lecte, c’est évi­dem­ment le wal­lon picard du Pays des Col­lines qui était la langue d’usage dans la géné­ra­tion de mon arrière-grand-mère. J’ai été éle­vé en grande par­tie par mon arrière-grand-mère et donc c’était aus­si un dia­lecte qui m’a impri­mé. Je peux le par­ler même si c’est très incor­rect. Je parle moins bien le dia­lecte wal­lon picard que le dia­lecte flamand.

Donc, je ne suis pas insen­sible. Mais pour moi, leur usage ou leur ensei­gne­ment dans les écoles n’aurait pas de sens sauf si on s’en ser­vait comme des élé­ments de lin­guistes com­pa­rées. Parce que là on découvre beau­coup de choses.

Donc si le dia­lecte sert à cela, je trouve que cela a son usage. Si c’est pour faire croire qu’on peut relan­cer la connais­sance dia­lec­tale dans les vil­lages et les com­munes, je trouve que c’est plu­tôt à l’usage des groupes théâ­traux, qui vont se for­ger sur le ter­rain, mais pas dans le cadre scolaire.

Est-ce que tu as une expression picarde qui te tient particulièrement à cœur ?

« Le bac finit tou­jours par se retour­ner sur le pour­chau ». « Une auge finit tou­jours par se retour­ner sur le cochon ». Donc on devine intui­ti­ve­ment ce que cela veut dire et c’est la même chose avec l’expression « on est tou­jours noir­ci par un noir pot ». Cela se tra­duit par « on est tou­jours noir­ci par quelqu’un qui est plus sale que soi ».

En poli­tique, cela ins­pire ceci comme réflexion : on doit s’abstenir d’avoir une atti­tude, un com­por­te­ment qui se sert des défauts des autres et qui sou­tient le néga­tif des autres. C’est quand même une des rai­sons pour laquelle dans mon enga­ge­ment poli­tique, on ne m’entend jamais me posi­tion­ner en termes d’opposition ad homi­nem.

Le monde politique aujourd’hui, n’est-il pas justement ce que tu dénonces : beaucoup plus un combat entre les hommes qu’un combat d’idées ?

La faci­li­té c’est le com­bat entre les hommes et les femmes parce qu’il est indi­vi­dua­li­sé. On raconte une his­toire simple. Mar­gue­rite n’aime pas Julien parce qu’elle veut prendre sa place. Mar­gue­rite a eu Jean-Sébas­tien comme compagnon.

Ce sont des infor­ma­tions, je ne doute pas très inté­res­santes, dans un jour­nal popu­laire. Il n’y a plus que les jour­naux popu­laires, qui font d’ailleurs flo­rès, mais je doute fort que le débat poli­tique en sorte enri­chi. C’est pour­tant le véhi­cule aujourd’hui par lequel les idées poli­tiques pro­gressent. On le voit dans le débat pré­si­den­tiel en France, qui est d’une indi­gence remar­quable et sur lequel il fau­dra un moment don­né se pencher.

Où sont les grands ora­teurs ? Que ce soit devant les salles, bien sûr il y a tou­jours cette capa­ci­té de tri­bun chez l’un ou l’autre, mais ce n’est plus la règle géné­rale. Plus de Jau­rès ou de Zola ou de Hugo pour par­ler des tout grands. Mais sim­ple­ment d’un Mit­ter­rand ou même de quelqu’un qui est moins connu comme Pierre Men­dès-France. Où sont les débats télé­vi­sés entre Mit­ter­rand et Chi­rac ? On est vrai­ment dans le débat de per­sonnes, Sar­ko aime une­telle, Sar­ko à la ferme, Sar­ko en avion, Hol­lande invi­té ou pas par un chef d’État, on dit qu’il ne serait pas le bien­ve­nu parce qu’à droite on ne l’aime pas… Je ne trouve pas dans ce type de débat une vraie rela­tion à l’idée poli­tique. J’entends rare­ment aujourd’hui dans le débat poli­tique une réfé­rence à des thèmes idéo­lo­giques. Je n’ai pas une lec­ture dog­ma­tique de l’idéologie. Je crois même que c’est parce que je n’ai pas une lec­ture dog­ma­tique de l’idéologique que je peux par­ler d’idéologie, mais en même temps je suis frus­tré d’absence de réfé­rences idéo­lo­giques dans toute la dis­cus­sion poli­tique actuelle. Cela devient au mieux, ce qui me plaît aus­si, une dis­cus­sion sur les grands agré­gats macroé­co­no­miques. La poli­tique est pour­rie par deux choses. Elle est pour­rie d’une part par son incon­ti­nence popu­liste per­son­na­li­sante et d’autre part par sa tech­no­cra­tie. Quand j’entends aujourd’hui de quoi on parle en poli­tique c’est de vir­gule, de pour­cen­tage, d’algorithme, mais pas de grands projets…

Est-ce qu’il n’y a pas dans les sciences humaines, une hégémonie de l’économie libérale classique, 18 – 19e siècles, qui a englobé l’ensemble des débats ?

Je n’ai jamais été de ceux qui nient à l’économie son impor­tance majeure parce que l’économie, c’est le lien cultu­rel, social, orga­ni­sa­tion­nel entre les hommes. On parle aujourd’hui de l’économie au sens très étroit et étri­qué du terme : c’est la manière de rendre ren­table, c’est la manière de répondre a un besoin du mar­ché, c’est la manière de contraindre la masse moné­taire en cir­cu­la­tion, et si je pou­vais aller jusqu’au bout du rai­son­ne­ment, l’économie est réduite au moné­ta­risme. C’est d’ailleurs un des drames de l’Europe aujourd’hui. C’est l’Union euro­péenne qui à juste titre veille à ce qu’il y ait de la rigueur, de la dis­ci­pline sur le plan bud­gé­taire et en a fait un cré­do. C’est comme si le bud­get deve­nait le veau en or des reli­gions antiques. Non, le bud­get est un ins­tru­ment et dans le bud­get la mon­naie n’est qu’un sous-ins­tru­ment. Le rôle de la Banque Cen­trale Euro­péenne dans l’émission de mon­naies est la manière d’éviter que l’euro ne soit atta­qué par son affai­blis­se­ment sur base de cette masse monétaire.

Même les key­né­siens, qui ne sont pas des gens de gauche, comme on a vou­lu les pré­sen­ter, sont extrêmes cen­tristes. J’ai une grande sym­pa­thie pour eux, mais ce ne sont pas des hommes de gauche. Aujourd’hui, ils n’ont plus leur place dans le débat poli­tique. Il n’y a plus que les moné­ta­ristes. C’est une mise en abime des thèses qui réduisent fina­le­ment l’activité éco­no­mique à sa por­tion congrue, à l’émission de mon­naie en circulation.

Si tu deviens Bourgmestre de Tournai en octobre 2012, quelle serait la place que tu accorderais à la culture ?

D’abord, pour moi un pro­jet de ville, c’est un pro­jet qui orga­nise la rela­tion de l’homme et de la femme à l’environnement urbain, et Tour­nai est un envi­ron­ne­ment urbain aty­pique parce que c’est une ville de 35.000 habi­tants fusion­nés avec
29 vil­lages qui font eux-mêmes au total 35.000 habi­tants. Elle est donc dans un rap­port par­fait d’équilibre entre la cam­pagne et la ville. Cette situa­tion oblige à une réflexion sur la culture qui n’est pas une réflexion liée à des murs. Ce n’est pas la culture ins­ti­tu­tion­nelle. Donc la rela­tion des hommes et des femmes, dans une ville de ce type, à la culture est for­cé­ment une rela­tion qui est empreinte de décen­tra­li­sa­tion constante.

Quelle est dans les vil­lages de Tour­nai la manière de faire en sorte que cha­cun prenne part au pro­jet ? Ce n’est pas simple. C’est d’ailleurs la plus grande com­mune en terme de super­fi­cie de Bel­gique avant Anvers. Dans ce contexte-là, la culture est un enjeu extrê­me­ment com­pli­qué. C’est aus­si com­pli­qué à Tour­nai que la répa­ra­tion des routes. Cela fait rire parce qu’on com­prend très bien ce que cela veut dire. Cela veut dire que l’essaimage des moyens dans une ville comme celle-ci par rap­port à un pro­jet cultu­rel est un dan­ger et une oppor­tu­ni­té. L’inscription dans un plan com­mu­nal de déve­lop­pe­ment rural de Tour­nai est un des élé­ments de réponse à cela. Il ne suf­fit pas d’embellir des places publiques, il faut que, quand on a l’opportunité de le faire, il y ait des salles, des mai­sons de vil­lages qui sont comme des mai­sons d’associations, des endroits où la vie cultu­relle vient lécher au plus bas niveau de citoyen­ne­té pos­sible les bases com­mu­nales. Et puis à côté de cela, il y a toute la poli­tique de l’événementiel.

Quelles réaffectations verrais-tu pour des lieux de culte en lieux culturels ? Je pense à une église comme celle de Sainte-Marguerite ?

Dans le pro­jet de ville que je dépose, je vou­drais requa­li­fier toute la Place de Lille dans le péri­mètre de la Mai­son de la culture qui a été la toute pre­mière du pays. C’est inté­res­sant parce que cette dimen­sion montre que Tour­nai a tou­jours été une ville pré­sente sur le ter­rain de la culture. La Place de Lille est une place juste à proxi­mi­té de la Mai­son de la Culture qui pour­rait être davan­tage dédiée à la culture. L’église Sainte Mar­gue­rite est un lieu de culte, de culte à culture, il y a quelque chose, il y a agri­cul­ture. C’est d’ailleurs une de mes toutes pre­mières remarques quand j’étais ministre de la Culture. Je rap­pe­lais que les racines de la culture sont effec­ti­ve­ment dans l’agriculture, et le mot en latin a été uti­li­sé au sens figu­ré du terme. C’est inté­res­sant pour ana­ly­ser aus­si ce que c’est la culture au sens séman­tique du terme : c’est l’ensemencement, c’est la facul­té de repro­duire avec des idées, des graines, qui va ali­men­ter au sens spi­ri­tuel du terme le cer­veau. Donc, agri­cul­ture, culte, culture, au-delà de la conso­nance et de la gen­tille séman­tique que je viens de rap­pe­ler, ont une rela­tion orga­nique à la même chose. C’est l’être humain dans sa rela­tion de communion.

Quel est le grand personnage historique et le grand intellectuel qui aujourd’hui imprègnent ton engagement politique ?

Le grand per­son­nage his­to­rique, c’est Spar­ta­cus. Je trouve que c’est un des plus beaux moments de révolte de l’humanité. Ce sont ceux-là mêmes qui sont pla­cés dans la même posi­tion que les kapos dans les camps de concen­tra­tion et d’extermination alle­mands qui doivent sur­veiller les leurs dans des condi­tions de dégra­da­tion où ils sont anni­hi­lés psy­cho­lo­gi­que­ment. Ces esclaves qui sont des gla­dia­teurs sont ceux qui doivent faire ver­ser le sang des leurs pour sur­vivre un petit peu plus long­temps. Je trouve qu’il y a là une filia­tion et que ce sont ceux-là qui se sont révol­tés à un moment don­né contre leurs oppres­seurs aux­quels ils offraient un spec­tacle. Ils se sont trans­for­més en forces armées orga­ni­sées, ont résis­té, et pour finir aus­si, comme dans le Ger­mi­nal de Zola avec leurs mar­tyrs, ils ont été cru­ci­fiés sur une voie longue qui menait à Rome. C’étaient les pre­mières bases de la révolte humaine, en tout cas dans notre his­toire, contre l’oppression. Ce qui explique que des mou­ve­ments de gauche, les spar­ta­kistes, Rosa Luxem­bourg, s’en sont ins­pi­rés par la suite. Je reste atta­ché à ce personnage.

Pri­vi­lé­gier un intel­lec­tuel, c’est extrê­me­ment dif­fi­cile parce qu’il y en a des myriades. Si je devais en choi­sir un, très modes­te­ment, je choi­si­rais quelqu’un qui n’est peut-être pas un intel­lec­tuel à la hau­teur des sphères inter­na­tio­nales, mais qui m’a tou­ché per­son­nel­le­ment. C’est Mar­cel Liebman.

Pour son marxisme, pour son engagement en tant que juif, pour sa résistance universitaire ?

Par sa judaï­té contes­ta­taire très active dans l’UPJB en choc fron­tal avec les Juifs conser­va­teurs, par son ins­pi­ra­tion mar­xienne elle-même assez déca­lée dont je me sens un enfant même si je n’ai pas la même pen­sée que lui. J’ai une pen­sée un peu dif­fé­rente. Et puis par sa capa­ci­té de mise en dia­lec­tique. Je me sou­viens de cours dans les­quels il déve­lop­pait une thèse devant des gens de tous hori­zons, notam­ment à Sol­vay, avec évi­dem­ment des oppo­si­tions radi­cales. Il allait jusqu’au bout des argu­ments de convic­tion pour faire suc­com­ber les résis­tants. Et quand il avait fait suc­com­ber le der­nier résis­tant un peu conser­va­teur, dans la salle, il disait : « eh bien tout ce que je viens de vous dire, je n’y crois pas ».

Quel est le dernier roman, la dernière musique que tu as lu et écoutée ?

Un film bou­le­ver­sant. « The Man from Earth », L’Homme de la Terre. C’est un film, une copro­duc­tion cana­dienne, je pense, qui raconte l’histoire d’un homme d’une qua­ran­taine d’années, qui réunit ses amis, profs d’unif dans dif­fé­rents domaines sciences, psy­chia­trie… et qui leur avoue avoir plus de 40.000 ans. C’est un homme qui n’arrive pas à mou­rir et qui a vécu le néo­li­thique. La ques­tion est : est-ce que ce type est un fou ou est-ce que son his­toire est vraie ?

Sur le plan intel­lec­tuel, c’est un des plus grands moments de plai­sir que j’ai eu depuis très long­temps à partager.

Et ton rapport à la musique ?

Je pour­rais par­ler de ce que je n’écoute pas, je déteste la musique agres­sive et je suis assez irri­té par la musique élec­tro­nique. C’est peut-être une forme d’hermétisme à une évo­lu­tion très récente de la musique. Je suis sen­sible aux musiques douces. C’est tel­le­ment clas­sique pour un laïc de se réfé­rer à Mozart… Je suis plus mar­qué par les voix et les chants ita­liens, par un artiste comme Zuc­che­ro ou le Russe Vys­sots­ki qui sont un petit peu dans le même registre, qui me touche. Brel, bien sûr.

Le rapport à la nature, cela t’inspire ?

Oui, j’aime le vélo et sin­gu­liè­re­ment le VTT. J’ai pra­ti­qué long­temps le vélo sur route et j’aimais d’ailleurs le faire à titre presque de com­pé­ti­tion. Quand j’étais jeune, j’étais sur la route tout le temps. J’ai fait des ral­lyes à vélo, des com­pé­ti­tions, mais main­te­nant, je fais du VTT. Pour moi, c’est le moyen de rejoindre le plus direc­te­ment la forêt, la nature, et de sen­tir l’odeur de la terre. J’ai un rap­port sen­suel à l’odeur de la terre. J’aime l’odeur de l’humus. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais c’est ce qui me recons­truit le plus.

Pour toi, le lieu enchanté sur la planète, à part Tournai, ce serait où ?

En dehors de ma terre tour­nai­sienne et du Pays des Col­lines que j’aime beau­coup, ce serait une ville qui est un ancien comp­toir grec, une pénin­sule aujourd’hui en Bul­ga­rie, où je vais qua­si­ment chaque année, construite encore de vielles mai­sons en moel­lons de pierre et un encor­bel­le­ment avec des pièces de chêne. C’est la ville de Sozo­pol, Sozo­po­lis. C’est une ville dans laquelle nous avons des amis qui ont une mai­son un peu iso­lée de tout. C’est comme si on retour­nait au moins deux siècles en arrière. Là, c’est la mer Noire qui est une mer d’encre à cer­tains moments. Elle peut être par­fai­te­ment opaque. C’est un contexte cli­ma­tique qui res­semble très fort au contexte médi­ter­ra­néen. On a sou­vent de la Bul­ga­rie une vision d’un pays de l’Est, de l’ex-bloc com­mu­niste. C’est faux. Si l’on regarde bien une carte, le nord de la Bul­ga­rie com­mence à la lati­tude de Rome. On est là-bas dans un cli­mat qui est très agréable l’été, plus dur l’hiver, car il ne béné­fi­cie pas du Gulf Stream comme nous l’avons ici dans notre par­tie de l’Europe. Mais c’est vrai­ment un coin de paradis.

Quelle est ta période de l’histoire préférée ?

Le futur.

Le trait de caractère de Rudy Demotte ?

Son pire défaut, c’est la patience, et sa pire qua­li­té, c’est aus­si la patience !

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