Sous-commandante Lapin (EZLN)

« Prendre du plaisir à résister, à agir et à lutter »

Action de l'EZLN à la Commission européenne, le 11 juillet 2019. Photo : Jérome Peraya/Collectif Krasny

L’EZLN, l’Ensemble Zoo­lo­gique de Libé­ra­tion de la Nature, est un col­lec­tif belge d’activistes créé en amont de la COP21 de Paris en 2015. Des chats, des lapins, des requins qui se lèvent contre le capi­ta­lisme et ses effets des­truc­teurs. À l’actif de ces déso­béis­sants, Bayer/Monsanto, Volks­wa­gen, BNP Pari­bas ou encore la Com­mis­sion euro­péenne… Nous avons ren­con­tré la Sous-com­man­dante Lapin pour par­ler humour dans l’action directe et évo­quer leurs inter­ven­tions humo­ris­tiques, mais pro­ba­ble­ment moins inof­fen­sives qu’il n’y parait.

La Sous-com­man­dante Lapin, qui offi­cie au poste tou­jours tour­nant et tem­po­raire de porte-parole du mou­ve­ment, défi­nit l’Ensemble Zoo­lo­gique de Libé­ra­tion de la Nature (EZLN) comme « une conver­gence d’animaux, d’arbres, de légumes, de tout le vivant qui se lèvent et qui sortent de leur tanière pour défendre la nature, au sens très large du terme, et pour se lever face au capi­ta­lisme néo­li­bé­ral et à tous ses pro­blèmes. » L’EZLN a déci­dé d’u­ti­li­ser l’hu­mour comme moyen d’ac­tion et de sen­si­bi­li­sa­tion. Il s’agissait d’imaginer une action qui soit à la fois amu­sante, tant pour ceux qui la feraient que pour ceux qui la ver­raient, mais dont l’impact serait néan­moins fort et per­ti­nent. On a donc vu appa­raitre sur les réseaux sociaux des vidéos de cen­taines d’animaux, armés de légumes, qui inves­tissent des lieux de pou­voir finan­cier ou poli­tique ayant une action dom­ma­geable sur l’environnement pour y crier leur colère. Ces per­for­mances ludiques, paci­fiques et très virales per­mettent d’attirer l’attention sur la jus­tice cli­ma­tique et le pro­jet radi­cal qu’ils défendent. La Décla­ra­tion de la Forêt de Soignes qui l’incarne et qu’on peut trou­ver sur leur site ezln-zoologique.be se ter­mine sur un cri de guerre, repris en haka lors de leurs actions, qui résume bien leur posi­tion­ne­ment : « Nous ne nous bat­tons pas pour la nature, nous sommes la nature qui se défend ! »

Action de l’EZLN à la Com­mis­sion euro­péenne, le 11 juillet 2019. Pho­to : Jérome Peraya/Collectif Krasny

Vos actions absurdo-politico-humoristiques sont-elles une manière de renouer avec une tradition militante humoristique, des carnavals d’antan aux Brigades des clowns des années 90 ?

Clai­re­ment, cela s’inscrit dans cette dimen­sion-là, dans cette tra­di­tion de ne pas être des mili­tants tristes, mais aus­si de prendre du plai­sir à résis­ter, de prendre du plai­sir à agir et à lut­ter. Je ne suis pas sûre qu’il s’a­gisse de renouer parce qu’en fait plu­sieurs d’entre nous sont déjà dans cette mou­vance de mili­tance par l’hu­mour. Pour d’autres, il s’agit même de nouer, l’EZLN étant plu­tôt une porte d’entrée vers la déso­béis­sance civile. Pour beau­coup de gens qui nous rejoignent, ce sont en effet leurs pre­mières actions directes. Des actions qui, toutes joyeuses qu’elles soient, res­tent clai­re­ment de l’ordre de la déso­béis­sance civile.

Est-ce aussi une manière de dire que militer ce n’est pas forcément « chiant » ? Que la joie de faire est importante et politique en soi contre la peur et la maltraitance des dominations ?

La façade comique de l’EZLN sert à atti­rer l’attention pour sen­si­bi­li­ser, mais la jouis­sance de l’action est réelle. C’est jouis­sif parce que ce sont des actions très ani­males, très sau­vages, où cha­cun peut lais­ser libre cours à la fureur que pro­voquent toutes ces oppres­sions et domi­na­tions du capi­ta­lisme néo­li­bé­ral. En fait, se trans­for­mer en ani­mal et sor­tir de sa tanière est une manière très effi­cace tant pour soi que pour le monde d’agir contre l’op­pres­sion et la peur. Après, l’efficacité est à rela­ti­vi­ser. L’EZLN est un modeste rouage dans l’arsenal de l’action directe, mais aus­si dans d’autres types de résis­tances, comme le plai­doyer ou la créa­tion d’alternatives. Mais on est ce rouage-là et on prend du plai­sir à être ce rouage-là.

Action de l’EZLN à la Com­mis­sion euro­péenne, le 11 juillet 2019. Pho­to : Jérome Peraya/Collectif Krasny

Du point de vue médiatique, comment aller au-delà du simple « coup de com’ » ?

Même si ce n’est pas évi­dem­ment pas le but final, l’EZLN fonc­tionne clai­re­ment par buzz, avec les limites du buzz. Et en même temps, notre attaque de Bayer-Mon­san­to a atteint les 2,5 mil­lions de vues. Ce qui est énorme ! Même pour nous, c’était très sur­pre­nant. La toute pre­mière vidéo de l’EZLN avait déjà fait envi­ron 300.000 vues. Ce qui est déjà pas mal pour une vidéo, certes comique, mais qui pos­sède un vrai mes­sage poli­tique sous forme de pun­chlines qui résument vite et bien le pour­quoi de l’attaque. Car à tra­vers ces actions pour la jus­tice cli­ma­tique ou contre le TTIP, c’est le sys­tème que l’on remet en ques­tion. Cela fait donc 2,5 mil­lions de vues pour une vidéo d’un col­lec­tif qui a clai­re­ment des posi­tions anti­ca­pi­ta­listes. Nous ne sommes pas que de joyeux ani­maux déchai­nés, nous sommes aus­si des citoyens et citoyennes qui avons des posi­tions radi­cales. Nous les défen­dons sous une forme ludique, avec par ailleurs un hom­mage clair à une lutte qui, elle, est très sérieuse et très admi­rable : celle des Zapa­tistes [Ndlr : l’acronyme EZLN reprend celui de l’Armée zapa­tiste de libé­ra­tion natio­nale — Ejér­ci­to Zapa­tis­ta de Libe­ra­ción Nacio­nal].

À propos de cette référence aux Zapatistes, le Sous-commandant Chat déclarait dans une interview : « il suffit de faire les comiques pour qu’on nous donne la parole ». Cette déclaration résonne comme un écho à celle du Sous-commandant Marcos qui disait : « il a fallu que l’on se masque pour être visible ». L’humour, l’anonymat ou le fait de se grimer, c’est une manière d’attirer plus efficacement l’attention que par le militantisme classique ?

Tout à fait. C’est pour prendre un rôle qui capte l’attention. C’est aus­si la fic­tion, l’imaginaire : une bande de fauves qui attaque une banque, c’est beau­coup plus puis­sant qu’une bande de citoyens avec des pan­cartes. Et pour­tant, on ne fait pas beau­coup plus, si ce n’est un cos­tume, quelques feuilles, quelques fio­ri­tures de la nature… Donc oui, il s’a­git de prendre un rôle, dans lequel tout le monde peut se pro­je­ter. Tout comme l’anonymat en fait, qui, au-delà de se pro­té­ger d’éventuels pro­blèmes, est sur­tout un moyen pour déper­son­ni­fier la lutte.

L’humour est-il un contre-pouvoir ?

Étant don­né le nombre de per­sonnes qui ont vu les vidéos, on peut affir­mer dépas­ser le pre­mier cercle habi­tuel­le­ment tou­ché par ce genre de vidéos mili­tantes, d’actions directes, par­fois drôles, par­fois moins drôles. L’humour ras­semble, met beau­coup de gens de notre côté, parce que cela dimi­nue l’agressivité. Cela per­met aus­si de trans­for­mer beau­coup d’al­liés pas­sifs en alliés actifs. Cer­tains vont éga­le­ment se dire « oui fina­le­ment, cette Nature qui se défend, elle est sym­pa­thique, et j’en fais peut-être même par­tie finalement ».

Pour autant, nos actions res­tent des attaques et nous vou­lons qu’elles soient des attaques. On n’a pas peur du mot, on veut atta­quer Bayer-Mon­san­to, on veut atta­quer BNP Pari­bas pour tout ce qu’ils font d’évasion fis­cale et pour tout ce qu’ils ne font pas pour l’environnement, mais on ne veut pas néces­sai­re­ment le faire de manière agres­sive. Même si, atten­tion, les ani­maux ont des crocs, des griffes et peuvent, pour­quoi pas, mordre… figu­ra­ti­ve­ment bien sûr !

Action de l’EZLN à la Com­mis­sion euro­péenne, le 11 juillet 2019. Pho­to : Jérome Peraya/Collectif Krasny

A contrario, l’humour ne risque-t-il pas de désamorcer des colères qui pourraient être motrices ? Est-ce que ce n’est pas une contradiction possible ?

Je dirais plus que cela en donne le vais­seau, ce n’est pas de la frus­tra­tion inté­rio­ri­sée. Et si ce n’est pas évident de débar­quer dans un bâti­ment et de dire : « ce que vous faites est scan­da­leux !», le faire sous cou­vert d’un rôle per­met de le faire dif­fé­rem­ment. Mais il ne faut pas se conten­ter de cela, il faut paral­lè­le­ment main­te­nir la pres­sion, voire la faire mon­ter en terme de cibles, en terme de masse, parce que de l’autre côté en terme d’abus, de scan­dales, d’impacts des lob­bies sur les déci­sions, la pres­sion ne dimi­nue pas. Donc plu­tôt que de désa­mor­cer cette colère, on conti­nue à la nourrir.

L’EZLN se veut aus­si un outil d’émancipation. Nous le consi­dé­rons comme un outil d’éducation popu­laire. On est dans cette idée d’apprendre par le faire…. Tout d’a­bord, cela per­met à des gens d’agir. Mais c’est aus­si acqué­rir des connais­sances : c’est une chose de savoir dans ses tripes qu’on est contre Mon­san­to, c’en est une autre de trou­ver les argu­ments. Et cela apporte à cer­tains des savoir-faire : il faut des porte-parole, des gens qui sont char­gés de com­mu­ni­quer avec la police, d’autres char­gés d’organiser la logis­tique. Bref, c’est vrai­ment un outil d’empowerment au niveau connais­sances, savoir-faire et puis­sance d’a­gir. Même si cela reste prin­ci­pa­le­ment un outil de sen­si­bi­li­sa­tion, que les vidéos de l’EZLN ne vont pas chan­ger l’Accord de Paris, ces vidéos ont un impact sur les gens qui les voient.

Et dans le camp d’en face, quelles sont les réactions d’entreprises comme Bayer-Monsanto ?

Pour le moment, il y a très peu de réac­tions. Ce n’est pour­tant pas très dif­fi­cile de retrou­ver quelqu’un. Beau­coup de visages sont visibles et on est en Bel­gique, à Bruxelles. Nous n’a­vons eu aucun sou­ci jusqu’à pré­sent. Lors de la der­nière action, trois per­sonnes ont été inter­pel­lées par la police : ils ont des noms, s’ils veulent inten­ter des pour­suites, ils peuvent. Mais pour le moment, il n’y en a aucune. Et cela ne nous fait pas peur.

Action de l’EZLN à la Com­mis­sion euro­péenne, le 11 juillet 2019. Pho­to : Jérome Peraya/Collectif Krasny

Est-ce que ça vous semble nécessaire aujourd’hui de faire rire pour mobiliser et faire réfléchir ?

Je ne dirais pas que c’est néces­saire, parce qu’il y a beau­coup d’autres manières de faire, il y a des modes d’action qui sont très sérieux et qui ont un impact fort. Il y a mille manières d’y par­ve­nir : le plai­doyer peut mobi­li­ser ; telle ou telle ini­tia­tive peut faire réflé­chir. Donc le rire n’est pas indis­pen­sable. Main­te­nant, c’est une belle arme, parce que per­sonne ne peut résis­ter au rire.

Est-ce qu’il y a un risque d’aboutir à une espèce de « militantainment » qui transformerait la lutte en spectacle ?

Je crois que le risque existe. Par exemple, on nous a déjà deman­dé si on pou­vait venir à tel endroit, par exemple à la Grande parade de Tout Autre Chose. Même si on adhère à leur pro­jet, pour nous, l’EZLN est une arme et un outil d’action directe : nous ne sommes pas des ani­ma­teurs, on est des acti­vistes, on est des ani­maux qui attaquent !

D’une cer­taine manière, on fait un show, mais je pense qu’on reste clai­re­ment plus dans l’activisme que dans l’enter­tain­ment. Main­te­nant, c’est un risque. D’où l’importance d’avoir un fond poli­tique der­rière, de le mon­trer, même si c’est un fond radi­cal. On va peut-être perdre des ani­maux qui ne se recon­naissent pas der­rière ce gros mot « d’anticapitalisme », mais cela fait par­tie de l’EZLN. Et par ailleurs, il importe de ne pas faire que cela. Cela prend tou­jours place dans un large éven­tail d’armes.

On arrive dans une période où le mouvement social est particulièrement réprimé, est-ce aussi une manière d’éviter la répression policière, la surveillance ?

C’est la même phi­lo­so­phie que les Bri­gade de Clowns. J’ai déjà eu une confron­ta­tion avec un poli­cier en tant que Sous-com­man­dante Lapin : j’étais un lapin, tout comme un clown, c’est plus facile. Voi­là, je ne lui par­lais pas ou alors je lui par­lais « lapin », je lui fron­çais mon petit nez : ça a un effet désar­mant. C’est une arme désar­mante ! Par ailleurs, on rêve de se faire arrê­ter en ani­maux : quelle image magni­fique ce serait de voir des poli­ciers embar­quer des chats, des cro­co­diles, des poules… À par­tir du moment où ils nous embar­que­ront, on aura gagné.

Donc, cela veut dire que vous mettez en place un système où vous êtes gagnants dans presque tous les cas…

L’humour, cela sert aus­si à cela !

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