Stop Alibaba à Liège

Quand la logistique de l’e‑commerce enfume le monde

Illustration : Vanya Michel

Ali­ba­ba, c’est le Ama­zon chi­nois. La com­pa­gnie de com­merce en ligne sou­haite se déve­lop­per en Europe et a choi­si l’aéroport de Liège comme porte d’entrée sur le conti­nent, pro­fi­tant de la volon­té de déve­lop­pe­ment de cette infra­struc­ture publique. Un col­lec­tif s’est for­mé depuis 2020, « Stop Ali­ba­ba and co », pour com­battre cette exten­sion, la venue d’Alibaba « et son monde ». Un monde que résume bien un de leur slo­gan : « Trop de camions, trop de béton, que du tra­vail pré­caire, vous allez tout foutre en l’air ». Autant d’aspects sociaux et éco­lo­giques, qui com­posent la réa­li­té maté­rielle de la socié­té de la livrai­son qui s’édifie peu à peu. Ren­contre avec Jonas H., membre du col­lec­tif pour évo­quer leur com­bat contre ce méga­pro­jet, ana­chro­nique à l’heure où la pla­nète suffoque.

Au départ mili­taire, l’aéroport de Bier­set, deve­nu aéro­port de fret de mar­chan­dises et rebap­ti­sé « Liège Air­port » au début des années 1990, a tou­jours sus­ci­té des contes­ta­tions de la part des riverain·es, excédé·es par les nui­sances sonores et les pol­lu­tions. Mais il attise aus­si les convoi­tises des entre­prises logis­tiques, atti­rées par la loca­li­sa­tion de Liège (au centre de l’Europe) et par son nœud de voies flu­viales, auto­rou­tières et aériennes. D’autant que c’est un des seuls aéro­ports d’Europe occi­den­tale qui fonc­tionnent encore 7 jours sur 7 et 24 h/24. L’arrivée du géant chi­nois de l’e‑commerce Ali­ba­ba — ou plus exac­te­ment Cai­niao, sa branche logis­tique — a été annon­cée en 2017 en grande pompe. Un accord déci­dé dans le cadre d’un large plan d’extension de l’aéroport, conçu sans débat et dans une cer­taine opa­ci­té comme l’avait mon­tré l’enquête du maga­zine Ima­gine N° 147 et 148. Résul­tat, l’activité explose : 384 000 colis tran­si­taient par l’aéroport en 2017, on en était déjà à 362 mil­lions en 2019 pour atteindre les 650 mil­lions en 2021 ! Le chan­ge­ment d’échelle décuple les dom­mages éco­lo­giques : plus de sols occu­pés par des entre­pôts, plus de vols, plus de nui­sances sonores et plus d’émissions de gaz à effet de serre (GES). Et risque de créer une situa­tion éco­no­mique pré­caire en défa­veur de la région.

Pourquoi vous vous opposez au projet d’extension de l’aéroport de Liège ? Quels sont les problèmes principaux que cela va amener ?

Ils sont mul­tiples. Au niveau cli­ma­tique d’abord, puisque le propre d’un aéro­port est de faire voler des avions. Et dans le cas d’un aéro­port logis­tique comme ici, des avions-car­gos plus lourds et donc plus consom­ma­teurs encore que des avions de ligne. Aug­men­ter le tra­fic aérien, c’est donc par défi­ni­tion aug­men­ter les émis­sions de GES. Une des seules études dont on dis­pose, réa­li­sée par le cli­ma­to­logue Pierre Ozer de l’Université de Liège, montre d’ailleurs que la com­bus­tion du kéro­sène qu’implique la réa­li­sa­tion du plan de déve­lop­pe­ment pré­vu (dit « Mas­ter plan 2040 ») va, à elle seule, annu­ler tous les efforts de la Wal­lo­nie de réduc­tion des GES d’ici 2040 ! C’est-à-dire qu’un seul outil éco­no­mique, payé avec de l’argent public, va anéan­tir tous les efforts des citoyen·nes et des petites entre­prises pour réduire les émis­sions de GES et ren­con­trer les objec­tifs climatiques !

Outre le cli­mat, c’est la zone autour de l’aéroport qui est mena­cée. Cer­taines zones d’intérêts éco­lo­giques ont déjà été per­dues suite aux tra­vaux de béton­ni­sa­tion et de ter­ras­se­ment menés jusqu’ici. La mul­ti­pli­ca­tion d’entrepôts gigan­tesques de sto­ckage et leurs par­kings va encore plus arti­fi­cia­li­ser les sols. On parle à terme de la béton­ni­sa­tion d’une sur­face de plus de 420 000 m! Cela va bien sûr nuire à la bio­di­ver­si­té locale. Mais le béton­nage de cette zone est aus­si très pré­oc­cu­pant quand on se rap­pelle des inon­da­tions qui ont trau­ma­ti­sé Liège à l’été 2021. En effet, l’aéroport est situé sur les hau­teurs. Or, béton­ner tout le pla­teau va contri­buer à faire ruis­se­ler l’eau de pluie vers le bas­sin liégeois.

Ensuite, par le fait de favo­ri­ser ce modèle éco­no­mique, les pou­voirs publics par­ti­cipent clai­re­ment à l’augmentation des volumes de mar­chan­dises trans­por­tés depuis la Chine et vers les des­ti­na­taires par­tout dans le monde. Pour trai­ter ces mar­chan­dises, davan­tage d’avions et de camions seront néces­saires. La qua­li­té de l’air va bien sûr en être impac­tée. Selon l’ex-PDG de Liège Air­port Luc Par­toune, on pas­se­rait de 500 aujourd’hui à 2000 camions tran­si­tant quo­ti­dien­ne­ment par l’aéroport, c’est-à-dire qu’on va mul­ti­plier le flux par quatre sur un axe auto­rou­tier déjà très conges­tion­né. Et pour les avions, les riverain·es rap­portent un décol­lage de gros por­teurs toutes les 3 minutes à cer­taines heures de pointe, prin­ci­pa­le­ment de nuit. On parle de « nui­sances » mais il y a là un enjeu de san­té publique fon­da­men­tal. Car une expo­si­tion au bruit trop impor­tante per­turbe le som­meil, aug­mente le stress et la ten­sion car­diaque. C’est un fac­teur de mor­ta­li­té. Et évi­dem­ment, les par­ti­cules retom­bant des avions sont une pol­lu­tion ter­rible pour les riverain·es et les travailleurs·euses de l’aéroport qui sont les premier·es exposé·es mais aus­si pour tout le bas­sin lié­geois. Cela pose donc une ques­tion de san­té publique, prin­ci­pa­le­ment au niveau des mala­dies pul­mo­naires et cardiaques.

Pour nous, il y a éga­le­ment un enjeu démo­cra­tique fon­da­men­tal : cet aéro­port est public, à hau­teur de 75 %. Ce sont les pou­voirs publics qui font ce choix de socié­té. Le maga­zine Ima­gine a esti­mé que 1,2 mil­liard d’euros de fonds publics y a été inves­tis depuis le début de son déve­lop­pe­ment. Ne pour­rait-on pas inves­tir cet argent pour construire un futur plus sou­hai­table : une terre vivable et des emplois sains ? Une dis­cus­sion sereine n’est-elle pas pos­sible avec tous les acteurs concer­nés autour de la table ?

Les partisans de ce projet mettent souvent en avant les milliers d’emplois que cette extension pourrait créer. Mais de quel type d’emploi s’agirait-il ?

La ques­tion sociale est pour nous pri­mor­diale et néces­sai­re­ment liée aux enjeux éco­lo­giques. Si effec­ti­ve­ment, un des seuls argu­ments en faveur de l’extension de l’aéroport de Liège, c’est celui de la créa­tion d’emplois, le modèle éco­no­mique pro­mu n’est pas un modèle d’avenir. Repro­duire avec Cai­niao ce qu’on a connu avec Arce­lor­Mit­tal, c’est-à-dire se mettre dans un rap­port de dépen­dance très forte avec un acteur inter­na­tio­nal pose énor­mé­ment de ques­tions : cela confère beau­coup trop de pou­voir à une mul­ti­na­tio­nale qui n’est abso­lu­ment pas ins­crite dans notre ter­ri­toire. Il faut rap­pe­ler que le sec­teur de la logis­tique est très faci­le­ment délo­ca­li­sable. Ce dont les dis­tri­bu­teurs ne se privent pas de faire au gré de leurs inté­rêts et stra­té­gies, sans tenir compte des travailleurs·euses. Fedex l’a d’ailleurs fait en un cla­que­ment de doigts pour se relo­ca­li­ser par­tiel­le­ment à Paris en 2021.

Et puis, si ça crée de l’emploi en entre­pôt, ça en détruit aus­si ailleurs dans la région. En effet, le com­merce en ligne qui néces­site cette logis­tique-là détruit de l’emploi loca­le­ment : dans les maga­sins, les librai­ries, chez les artisan·es et les PME. Cer­taines études estiment que chaque emploi créé par ces entre­prises en détruit deux dans les petites et moyennes entre­prises. Le gain d’emploi net n’est donc pas du tout assuré.

Ensuite, il faut regar­der la qua­li­té des emplois qui vont être créés. En effet, beau­coup d’études comme celles du socio­logue David Gabo­rieau montrent que la logis­tique est aujourd’hui l’un des sec­teurs éco­no­miques qui casse le plus les corps des tra­vailleurs-euses. C’est un tra­vail haras­sant, qui se fait majo­ri­tai­re­ment de nuit et/ou dans des horaires déca­lés. Ce sont le plus sou­vent des contrats ultra pré­caires, des suc­ces­sions d’intérim ou de CDD. Les entre­pôts sont juste en des­sous des pistes, les pre­mières vic­times des pol­lu­tions ce sont les travailleur·euses !

Enfin, rap­pe­lons que la logis­tique est un des sec­teurs qui consomme le plus de m2 de terre par nombre d’emplois créés. À l’heure où on parle de relo­ca­li­ser notre ali­men­ta­tion, de pous­ser à une agri­cul­ture plus humaine et éco­lo­gique, le fait de béton­ner et arti­fi­cia­li­ser des terres saines (l’aéroport est situé sur le bas­sin de Hes­baye, une des terres les plus fer­tiles d’Europe) pour fina­le­ment si peu d’emplois créés pose en lui-même question.

Que demande dès lors le collectif « Stop Alibaba and co » ?

Notre reven­di­ca­tion prin­ci­pale, c’est un mora­toire sur l’extension de l’aéroport de Liège. Ça signi­fie mettre les tra­vaux à l’arrêt et enta­mer un réel débat apai­sé. Celui-ci doit se baser sur une étude d’incidence glo­bale pre­nant notam­ment en compte les émis­sions de GES des avions, les effets de ce type de tra­vail sur le corps des travailleurs·euses, sur ce que ça va créer mais aus­si détruire en termes d’emploi, etc. On devrait réunir autour de la table les travailleurs·euses de la logis­tique de l’aéroport, les syn­di­cats, des repré­sen­tants de la Région wal­lonne et de l’aéroport, mais aus­si des riverain·es, des natu­ra­listes connais­sant la zone, des repré­sen­tants des com­merces locaux, des méde­cins du tra­vail, des res­pon­sables de la san­té publique… bref, dis­cu­ter démo­cra­ti­que­ment des enjeux, avec toutes les per­sonnes concer­nées, et sor­tir de l’opacité qui règne jusqu’à présent.

Quelles actions mène Stop Alibaba ? Quels sont vos outils et stratégies ?

La diver­si­té de nos tac­tiques reflète la diver­si­té des pro­fils qui com­posent le col­lec­tif : militant·es aguerri·es, asso­cia­tifs, riverain·es en colère, retraité·es qui s’inquiètent de l’avenir de leurs petits-enfants…

Le pre­mier enjeu, ça a été de poli­ti­ser, de se per­mettre de ques­tion­ner un pro­jet de déve­lop­pe­ment autour duquel régnait un consen­sus poli­tique appa­rent qui empê­chait d’en débattre. Il fal­lait s’autoriser, en tant qu’habitant·e de Liège et des envi­rons, en tant que Wallon·ne, Belge ou per­sonne qui se sou­cie du futur de la pla­nète et qui sou­haite qu’on prenne une part dans la lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique, à ce que, col­lec­ti­ve­ment, on puisse remettre ce pro­jet d’extension en cause. Pour faire émer­ger le débat, il a fal­lu faire connaitre l’enjeu et dire qu’on avait un pou­voir là-des­sus, mon­trer que ce n’était ni une fata­li­té (un pro­jet peut être annu­lé, des revi­re­ments sont pos­sibles) ni quelque chose de « natu­rel » (c’est le fruit d’une déci­sion poli­tique, on peut faire autre­ment). L’abandon du pro­jet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes est assez emblé­ma­tique dans ce cadre. Mais on peut aus­si regar­der du côté des aéro­ports de Londres ou Amster­dam où les pro­jets d’extension sont plus que ques­tion­nés. Par­tout on se rend bien compte que le déve­lop­pe­ment de l’activité aéro­por­tuaire ne peut pas per­mettre de ren­con­trer les objec­tifs pour le cli­mat. Et avec les évè­ne­ments liés au chan­ge­ment cli­ma­tique comme les inon­da­tions de l’été 2021, la séche­resse de l’été 2022, l’augmentation glo­bale des tem­pé­ra­tures, etc., il devient de toute manière légi­time de se dire que des déci­sions prises il y a des décen­nies sont deve­nues caduques.

Cette prise de conscience sociale est pas­sée par des acti­vi­tés de sen­si­bi­li­sa­tion sur les bro­cantes, les mar­chés, au cours des manifs cli­mat, pour faire des liens concrets avec des pro­jets locaux aux­quels il faut bien s’opposer si on veut sau­ver le cli­mat. On a mobi­li­sé dans toute la Wal­lo­nie et Bruxelles et au-delà. Les pod­casts « L’Aérofaune » de Marc Mona­co et Sébas­tien Demeffe ain­si que le docu vidéo « Wel­come Ali­ba­ba » réa­li­sé par le web­mé­dia Tout va bien, conçus à cette période, sont des très bons outils pour expli­quer notre lutte et en dif­fu­ser les enjeux. On a été pré­sent à des ras­sem­ble­ments poli­tiques, on fait de l’interpellation à des ren­contres orga­ni­sées par Eco­lo, le MR ou le PS, des envois mas­sifs de cour­rier aux ministres res­pon­sables, des péti­tions. Des recours légaux sont aus­si en cours. Une de nos vic­toires, c’est que c’est deve­nu un enjeu poli­tique, quelque chose que les acteurs poli­tiques ont de plus en plus de mal à éviter.

L’avancée du pro­jet a aus­si com­man­dé de pas­ser à l’action. Par exemple, on a visi­bi­li­sé le pro­jet en lâchant des ban­nières sur l’entrepôt de Cai­niao pour mon­trer ce qu’était un méga entre­pôt qui rase la terre. Avec une cen­taine d’activistes, on a aus­si occu­pé tem­po­rai­re­ment une cen­trale à béton à Bier­set qui ali­mente notam­ment les chan­tiers autour de l’aéroport. L’idée c’était de dire, alors que les inon­da­tions avaient eu lieu, qu’il fal­lait cou­per le robi­net à béton, que si les déci­deurs poli­tiques ne pre­naient pas leurs res­pon­sa­bi­li­tés, nous, nous allions le faire en met­tant les chan­tiers à l’arrêt.

Malgré tout cela, l’aéroport s’agrandit, les entrepôts sortent de terre. Qu’est-ce qui pourrait faire capoter le projet ?

Il faut conti­nuer à ins­tau­rer un rap­port de force. Il faut conti­nuer de tra­vailler avec les déci­deurs poli­tiques, qu’ils soient gou­ver­ne­men­taux, au sein des appa­reils de par­tis, au sein d’organes éco­no­miques. Les poli­tiques sont de plus en plus for­cés de se posi­tion­ner. Les syn­di­cats qui offi­ciel­le­ment sont sur une posi­tion pure de défense de l’emploi sont néan­moins tra­ver­sés de débats internes. Notam­ment car d’autres sec­teurs sont mena­cés en termes d’emploi ou impac­tés en termes de condi­tions de tra­vail dégra­dées par ce type d’économie-là (chez Bpost par exemple). Même s’ils se battent comme des lions pour les condi­tions de tra­vail dans les entre­pôts logis­tiques, des acteurs aus­si gros qu’Amazon ou Ali­ba­ba mettent des pres­sions inouïes sur les condi­tions de tra­vail de tous les autres tra­vailleurs. Ain­si, quand la venue d’Alibaba est annon­cée en 2017, Pee­ters, alors ministre de l’emploi fan­fa­ronne : tout ça, c’est grâce aux réformes du tra­vail et à la flexi­bi­li­sa­tion du tra­vail de nuit que le gou­ver­ne­ment fédé­ral a mis en place ! En accueillant à bras ouverts ces com­pa­gnies, on va vers un moins-disant social et, en plus, en le payant avec l’argent public ! On sou­haite donc évi­dem­ment que les syn­di­cats rejoignent notre lutte, qu’ils dépassent la ques­tion de l’emploi numé­raire pour l’emploi numé­raire. Signe que les choses com­mencent à bou­ger, les Jeunes FGTB wal­lons se sont récem­ment posi­tion­nés contre le projet.

Un centre logistique d’Amazon s’installe à Anvers, en vue de lancer prochainement Amazon Belgique. Des convergences des luttes sont-elles possibles avec des opposant·es à ce projet lié lui aussi à la vente en ligne ?

Un de nos mes­sages, c’est « ni ici, ni ailleurs ». Pas dans notre jar­din, mais pas non plus dans celui des autres. Ama­zon est un pro­jet très sem­blable à celui d’Alibaba. On doit évi­dem­ment construire des ponts entre ces deux luttes. Cette soli­da­ri­té est d’ailleurs aus­si une réponse à l’idée que « si Ali­ba­ba ne venait plus à Liège, il irait à Aix-La-Cha­pelle ou à Maas­tricht, etc. ». En fait, la contes­ta­tion se répand et s’organise bien au-delà de Liège. Si la lutte est locale, menée par ceux et celles qui subissent les nui­sances au quo­ti­dien, les sou­tiens viennent de l’extérieur. Les militant·es viennent de toute la Bel­gique, d’Aix, de Maas­tricht… Et de même, si le pro­jet se dépla­çait à Maas­tricht ou à Aix, on sera là aussi.

Vous êtes contre Alibaba et son monde. Est-ce que dans le cadre de votre lutte, vous interrogez l’utilité sociale du principe même de se faire tout livrer, rapidement, à tout moment et à tous propos ?

Oui, on s’interroge beau­coup au sein du col­lec­tif sur ces ques­tions même si on ne pré­tend pas avoir de solu­tions glo­bales. C’est pour­quoi on demande de mettre toutes les per­sonnes concer­nées autour de la table. Sans doute est-ce néces­saire que cer­tains pro­duits conti­nuent de venir par l’aérien, par exemple des pro­duits phar­ma­ceu­tiques. Mais lorsqu’il s’agit de pro­duits non péris­sables, fabri­qués dans des condi­tions exé­crables, avec un non-res­pect des droits humains et des tra­vailleurs, engen­drant une quan­ti­té de déchets impres­sion­nante, c’est tout un modèle, celui de l’e‑commerce, qui est bien sûr à ques­tion­ner. C’est pour­quoi on veut infor­mer les gens des condi­tions de tra­vail de ceux qui pro­duisent et livrent les pro­duits des sites de vente en ligne. On veut mettre en lumière le fait que la course à la rapi­di­té, que le fait de vou­loir se faire livrer ses chaus­sures en 24 heures impli­que­ra tou­jours des dégâts impor­tants. Des dom­mages éco­lo­giques, sociaux et rela­tifs aux droits humains (pen­sons seule­ment aux camps de tra­vail en Chine) qui sont actuel­le­ment invi­si­bi­li­sés, notam­ment au tra­vers d’interfaces numé­riques et de chaines logis­tiques ruti­lantes. C’est bien pour ça qu’un pro­ces­sus de poli­ti­sa­tion est à mener. On doit conti­nuer de déve­lop­per un contre-dis­cours à celui de l’industrie publi­ci­taire et ses mes­sages qui masquent tous les rap­ports de force conte­nus dans ces chaines de pro­duc­tion et de dis­tri­bu­tion. La res­pon­sa­bi­li­té poli­tique à ce niveau-là est énorme. Les pou­voirs publics doivent ces­ser de sou­te­nir ce modèle por­té par l’e‑commerce et mener au contraire sa remise en question.

Dans « Wel­come Ali­ba­ba », un dépu­té MR affirme qu’étendre l’aéroport, c’était « suivre le train de la moder­ni­té ». Les tenants de ce genre de pro­jet s’imaginent en effet sou­vent être les modernes et nous accusent de vou­loir faire bar­rière au pro­grès. En réa­li­té, c’est tout le contraire : la terre brûle et eux conti­nuent de vivre dans le pas­sé, celui où l’on pou­vait déve­lop­per les infra­struc­tures à tout va sans sou­cis des consé­quences pour l’environnement. Et les condi­tions de tra­vail pro­mues par ces firmes sont celles du siècle pas­sé. Les temps ont changé.

Si l’aérien n’est sans doute plus aussi intouchable qu’avant et commence à être interrogé (en tout cas pour les voyages), en revanche, le commerce en ligne bénéficie de l’aura d’un moyen moderne de consommer. De nombreuses personnes ne semblent pas prêtes à lâcher ce genre de service, y compris des gens bien à gauche. Cette attraction est-elle un obstacle dans votre lutte ?

On nous oppose sou­vent le fait que « c’est le consom­ma­teur qui veut ça ». Or, le mode de pro­duc­tion ou de dis­tri­bu­tion n’est évi­dem­ment pas déci­dé par les consom­ma­teurs… Ce ne sont pas eux qui décident de se faire livrer de plus en plus vite. C’est le modèle éco­no­mique domi­nant et ses acteurs les plus impor­tants qui défi­nissent les modes de consom­ma­tion, que mar­tèle ensuite tout un sys­tème publi­ci­taire nous inci­tant à ache­ter des pro­duits de faible qua­li­té livrés chez nous ultra rapi­de­ment. Et ce, sans prendre en compte les impacts sociaux et éco­lo­giques que ça génère. La consom­ma­tion n’est pas qu’un choix indi­vi­duel. Les indi­vi­dus font avec ce qu’on leur pro­pose, ce dans quoi on inves­tit massivement.

Depuis les années 1990 et l’avènement du néo­li­bé­ra­lisme, on mar­tèle aux gens que la seule manière d’exister se fait par la consom­ma­tion. On sait que la condi­tion de consom­ma­teur est construite socia­le­ment comme l’a mon­tré par exemple Antho­ny Gal­luz­zo dans La fabrique du consom­ma­teur. Ce qui a été fait peut-être défait, l’existence uni­que­ment à tra­vers la consom­ma­tion n’a rien de natu­relle. Il s’agit donc de poli­ti­ser cette condi­tion de consom­ma­teur, non pas seule­ment pour mieux consom­mer ou le faire plus éthi­que­ment, mais sur­tout pour inter­ro­ger le modèle de pro­duc­tion et de dis­tri­bu­tion de pro­duits fabri­qués, pour beau­coup, dans des condi­tions déplo­rables à l’autre bout de la pla­nète. Et, dans le cas pré­sent, ques­tion­ner l’usage de notre argent public. Face à de telles machines à broyer le monde, un autre ima­gi­naire est à construire.

  • Une grande manifestation est prévu ce dimanche 25 septembre réunissant en front commun un maximum des personnes opposées à ce projets : toutes les infos à propos de cet évènement sont à retrouver  ici.

 

  • Lien vers le site du collectif Stop Alibaba and Co ici

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