La crise est grave, « plus grave que ce qu’on vous dit… » affirme Pierre Larrouturou, figure de proue du collectif français, « mais on peut s’en sortir ! ». Ce que nous vivons n’est pas une crise passagère après laquelle la vie reprendra comme avant. « Crise sociale, crise financière, crise écologique, crise démocratique… dans tous ces domaines, nos sociétés approchent d’un point de rupture, d’un point de non-retour. Il est urgent d’agir pour éviter un effondrement économique qui rendrait vaines toutes les actions entreprises dans les autres domaines. » (Manifeste du collectif Roosevelt 2012)
La crise n’est pas seulement financière, elle est avant tout sociale et trouve sa cause principale dans 30 années de chômage, de précarité et d’accroissement des inégalités. Les politiques d’austérité visent à résoudre un problème identifié comme étant une crise de l’État-providence ; or c’est à une crise du capitalisme dérégulé que nous nous heurtons !
Pourquoi une telle augmentation de la dette publique ?
Contrairement à l’idée reçue, ce n’est pas un État « mauvais gestionnaire et dépensier » qui a creusé la dette. En réalité, jusqu’en 1981, le rapport entre la dette publique et le PIB était relativement stable. Dans le cadre du « compromis fordiste », des règles collectives assuraient une progression des salaires (pour maintenir la demande) et un partage équitable des bénéfices entre salariés et actionnaires.
Cependant, les politiques néolibérales, mises en place aux États-Unis et en Europe à partir des années 80, viennent bouleverser cet équilibre. De fortes diminutions des impôts sur les fortunes et sur les entreprises causent une baisse des rentrées publiques et donc une augmentation mécanique de la dette. En parallèle sont menées des politiques de dérégulation. Celles-ci vont petit à petit entrainer non seulement une baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises, ce qui a pour conséquence une perte du pouvoir d’achat des salariés, mais aussi plus de précarité pour les travailleurs et l’augmentation du chômage. Or, plus le taux de chômage est élevé, moins les travailleurs ont de pouvoir de négociation sur leur salaire, qui continue sa chute. Dans ce diagnostic, le chômage est donc à la fois une conséquence ET une cause de la dette !
Dans les 15 pays les plus riches de l’OCDE, la part du salaire dans la valeur ajoutée des entreprises diminue de 10 points entre 1982 (67%) et 2007 (57%). Parallèlement, les inégalités dans la répartition du salaire augmentent. Partout, les ménages empruntent pour maintenir leur niveau de vie ; cette perte du pouvoir d’achat est donc compensée par le crédit, ce qui crée de la dette.
Cette compensation par la dette aurait maintenu la croissance, ou plutôt l’illusion de la croissance. En effet, selon Patrick Artus, économiste français peu suspect de bolchévisme (Banque d’investissement Natixis), « sans l’augmentation de la dette des ménages, la croissance serait nulle dans la zone Euro depuis 2002 ».
Selon les analyses du collectif Roosevelt 2012, si l’on additionne les points du PIB retirés de la part des salaires sur une période de 25 ans, on arrive à un total représentant près de 150% du PIB. Cette somme d’argent retirée des poches des salariés ne s’est pas allée aux caisses de sécurité sociale ou à l’État, ni à la recherche et les investissements qui restent stables durant cette période. Seuls les revenus du capital ont augmenté : ces 150% ont donc été accaparés par un petit nombre d’individus sur les marchés financiers. Si l’on estime que la répartition entre salariés et actionnaires qui prévalait dans les années 1970 était juste et efficace, ces 150% du PIB peuvent donc être considérés comme « la dette des marchés financiers » (soit plus que la dette publique de la plupart des États).
Les propositions de Roosevelt 2012
À partir de ce diagnostic, Roosevelt 2012 prône un retour au politique : réguler pour récupérer une partie de cette « dette des marchés financiers », réduire les inégalités dans la répartition des richesses produites et s’attaquer frontalement au chômage. Mieux, il rappelle que la crise doit aussi être appréhendée dans sa totalité. Ses facettes sociale et financière ne peuvent faire oublier les exigences de notre époque : crise environnementale, énergétique et démocratique. Les 15 propositions du collectif s’axent autour de 3 chantiers.
1. Éviter l’effondrement
La première mesure proposée est celle de redonner de l’oxygène à nos États, qui empruntent pour rembourser leurs anciennes dettes à des taux d’intérêt de 6, 7 voire 11%, alors que des banques privées en situation de crise se financent à 0,01% auprès des banques centrales. Or tout en respectant les Traités, la Banque centrale européenne pourrait, via les organismes publics de crédit, prêter aux États à des taux tout aussi minimes.
Dans la même perspective, il est important ensuite de dégager de nouvelles marges de manœuvre financières. Le collectif défend ainsi l’idée de créer un impôt sur les bénéfices des entreprises au niveau européen, afin de lutter contre la compétition fiscale entre les pays de l’Union. Au niveau belge, plusieurs mesures pourraient être prises : impôt sur les grandes fortunes, taxe sur les plus-values boursières des particuliers, réformes des intérêts notionnels qui permettent à des grandes entreprises d’échapper à l’impôt et lutte active contre les paradis fiscaux.
Pour maintenir au maximum l’emploi et le pouvoir d’achat dans un premier temps, il faut développer des alternatives aux licenciements. La précarité et la pauvreté ne font qu’accroître la crise : il faut donc, au contraire des mesures de dégressivité adoptées jusqu’à présent, renforcer l’indemnisation des chômeurs et leur accompagnement-formation, tout comme le fit Franklin Roosevelt dès son accession à la présidence des États-Unis.
Une autre mesure-clé, inspirée de Roosevelt et son Glass Steagall Act, est la séparation stricte entre banques de dépôt et banques d’affaires, indispensable pour que les banques ne se lancent plus dans des activités spéculatives à haut risque avec l’épargne des citoyens. Fait étrangement peu connu, cette séparation était en vigueur en Belgique jusqu’en 1993.
Roosevelt2012 remet également à l’agenda la création d’une taxe sur les transactions financières internationales qui, en plus d’alimenter les ressources publiques, permettrait de pénaliser les transactions à court terme, les plus spéculatives.
Enfin, c’est encore au niveau international qu’il faut agir et imposer le respect des normes sociales et environnementales afin de lutter contre les délocalisations et mondialiser le travail décent, rétablir une justice sociale.
2. Contre le chômage, construire une nouvelle société
Ce deuxième chantier vise à transiter vers une nouvelle société qui saura faire face aux défis que nous rencontrons aujourd’hui. Le développement de ces alternatives exige des investissements à long terme rendus possibles notamment par les marges de manœuvre financières libérées. Roosevelt 2012 appelle à investir dans une politique du logement créatrice d’emploi dans l’immédiat et rentable sur le long terme. De plus, un investissement public permettrait de rééquilibrer le marché du logement et de faire baisser les prix.
Concernant la lutte contre le dérèglement climatique, le collectif Roosevelt 2012 appelle à un investissement massif dans les économies d’énergie, l’isolation des bâtiments, le développement des énergies renouvelables, la relocalisation de certaines activités économiques (dont l’agriculture) etc.
De même, l’économie classique et le marché du travail actuel ont montré leurs limites. Il faut encourager et soutenir le développement d’alternatives : l’économie sociale, qui a comme finalité les services aux citoyens plutôt que le profit et qui donne priorité au travail sur le capital dans la redistribution des bénéfices. Un nouveau partage du temps de travail est également nécessaire afin de mieux répartir les gains de productivité colossaux des dernières décennies et de permettre au plus grand nombre d’avoir une activité.
3. Construire enfin une Europe démocratique
Les mesures proposées par le collectif Roosevelt 2012 ont clairement une portée européenne. Pour répondre à ce qui est souvent décrit comme le déficit démocratique de l’Union, il appelle à la création d’un véritable régime parlementaire européen : les élections se dérouleraient entre partis européens et non entre candidats nationaux. Enfin, pour lutter contre le « dumping social » dénoncé au sein même de la zone euro, un vrai Traité social européen est requis. Il contiendrait des critères de convergence sociaux pour inciter les États-membres à une course « vers le haut » en matière sociale.