Crise : diagnostic et remèdes du Collectif Roosevelt 2012

Illustration : Hélène Fraigneux

« Faire la même chose encore et encore en espé­rant des résul­tats dif­fé­rents ». Cette idée pour­rait s’appliquer à la situa­tion pré­sente : les poli­tiques menées ces der­nières années n’ont pas amé­lio­ré la situa­tion, au contraire elles l’aggravent, et pour­tant on conti­nue à les appli­quer en espé­rant qu’elles aient un autre effet. Roosevelt2012.be affirme qu’il est grand temps de recon­naître les réelles sources de la crise. De ce nou­veau diag­nos­tic découlent direc­te­ment de nou­velles solutions.

La crise est grave, « plus grave que ce qu’on vous dit… » affirme Pierre Lar­rou­tu­rou, figure de proue du col­lec­tif fran­çais, « mais on peut s’en sor­tir ! ». Ce que nous vivons n’est pas une crise pas­sa­gère après laquelle la vie repren­dra comme avant. « Crise sociale, crise finan­cière, crise éco­lo­gique, crise démo­cra­tique… dans tous ces domaines, nos socié­tés approchent d’un point de rup­ture, d’un point de non-retour. Il est urgent d’agir pour évi­ter un effon­dre­ment éco­no­mique qui ren­drait vaines toutes les actions entre­prises dans les autres domaines. » (Mani­feste du col­lec­tif Roo­se­velt 2012)

La crise n’est pas seule­ment finan­cière, elle est avant tout sociale et trouve sa cause prin­ci­pale dans 30 années de chô­mage, de pré­ca­ri­té et d’accroissement des inéga­li­tés. Les poli­tiques d’austérité visent à résoudre un pro­blème iden­ti­fié comme étant une crise de l’État-providence ; or c’est à une crise du capi­ta­lisme déré­gu­lé que nous nous heurtons !

Pourquoi une telle augmentation de la dette publique ?

Contrai­re­ment à l’idée reçue, ce n’est pas un État « mau­vais ges­tion­naire et dépen­sier » qui a creu­sé la dette. En réa­li­té, jusqu’en 1981, le rap­port entre la dette publique et le PIB était rela­ti­ve­ment stable. Dans le cadre du « com­pro­mis for­diste », des règles col­lec­tives assu­raient une pro­gres­sion des salaires (pour main­te­nir la demande) et un par­tage équi­table des béné­fices entre sala­riés et actionnaires.

Cepen­dant, les poli­tiques néo­li­bé­rales, mises en place aux États-Unis et en Europe à par­tir des années 80, viennent bou­le­ver­ser cet équi­libre. De fortes dimi­nu­tions des impôts sur les for­tunes et sur les entre­prises causent une baisse des ren­trées publiques et donc une aug­men­ta­tion méca­nique de la dette. En paral­lèle sont menées des poli­tiques de déré­gu­la­tion. Celles-ci vont petit à petit entrai­ner non seule­ment une baisse de la part des salaires dans la valeur ajou­tée des entre­prises, ce qui a pour consé­quence une perte du pou­voir d’achat des sala­riés, mais aus­si plus de pré­ca­ri­té pour les tra­vailleurs et l’augmentation du chô­mage. Or, plus le taux de chô­mage est éle­vé, moins les tra­vailleurs ont de pou­voir de négo­cia­tion sur leur salaire, qui conti­nue sa chute. Dans ce diag­nos­tic, le chô­mage est donc à la fois une consé­quence ET une cause de la dette !

Dans les 15 pays les plus riches de l’OCDE, la part du salaire dans la valeur ajou­tée des entre­prises dimi­nue de 10 points entre 1982 (67%) et 2007 (57%). Paral­lè­le­ment, les inéga­li­tés dans la répar­ti­tion du salaire aug­mentent. Par­tout, les ménages empruntent pour main­te­nir leur niveau de vie ; cette perte du pou­voir d’achat est donc com­pen­sée par le cré­dit, ce qui crée de la dette.

Cette com­pen­sa­tion par la dette aurait main­te­nu la crois­sance, ou plu­tôt l’illusion de la crois­sance. En effet, selon Patrick Artus, éco­no­miste fran­çais peu sus­pect de bol­ché­visme (Banque d’investissement Natixis), « sans l’augmentation de la dette des ménages, la crois­sance serait nulle dans la zone Euro depuis 2002 ».

Selon les ana­lyses du col­lec­tif Roo­se­velt 2012, si l’on addi­tionne les points du PIB reti­rés de la part des salaires sur une période de 25 ans, on arrive à un total repré­sen­tant près de 150% du PIB. Cette somme d’argent reti­rée des poches des sala­riés ne s’est pas allée aux caisses de sécu­ri­té sociale ou à l’État, ni à la recherche et les inves­tis­se­ments qui res­tent stables durant cette période. Seuls les reve­nus du capi­tal ont aug­men­té : ces 150% ont donc été acca­pa­rés par un petit nombre d’individus sur les mar­chés finan­ciers. Si l’on estime que la répar­ti­tion entre sala­riés et action­naires qui pré­va­lait dans les années 1970 était juste et effi­cace, ces 150% du PIB peuvent donc être consi­dé­rés comme « la dette des mar­chés finan­ciers » (soit plus que la dette publique de la plu­part des États).

Les propositions de Roosevelt 2012

À par­tir de ce diag­nos­tic, Roo­se­velt 2012 prône un retour au poli­tique : régu­ler pour récu­pé­rer une par­tie de cette « dette des mar­chés finan­ciers », réduire les inéga­li­tés dans la répar­ti­tion des richesses pro­duites et s’attaquer fron­ta­le­ment au chô­mage. Mieux, il rap­pelle que la crise doit aus­si être appré­hen­dée dans sa tota­li­té. Ses facettes sociale et finan­cière ne peuvent faire oublier les exi­gences de notre époque : crise envi­ron­ne­men­tale, éner­gé­tique et démo­cra­tique. Les 15 pro­po­si­tions du col­lec­tif s’axent autour de 3 chantiers.

1. Évi­ter l’effondrement

La pre­mière mesure pro­po­sée est celle de redon­ner de l’oxygène à nos États, qui empruntent pour rem­bour­ser leurs anciennes dettes à des taux d’intérêt de 6, 7 voire 11%, alors que des banques pri­vées en situa­tion de crise se financent à 0,01% auprès des banques cen­trales. Or tout en res­pec­tant les Trai­tés, la Banque cen­trale euro­péenne pour­rait, via les orga­nismes publics de cré­dit, prê­ter aux États à des taux tout aus­si minimes.

Dans la même pers­pec­tive, il est impor­tant ensuite de déga­ger de nou­velles marges de manœuvre finan­cières. Le col­lec­tif défend ain­si l’idée de créer un impôt sur les béné­fices des entre­prises au niveau euro­péen, afin de lut­ter contre la com­pé­ti­tion fis­cale entre les pays de l’Union. Au niveau belge, plu­sieurs mesures pour­raient être prises : impôt sur les grandes for­tunes, taxe sur les plus-values bour­sières des par­ti­cu­liers, réformes des inté­rêts notion­nels qui per­mettent à des grandes entre­prises d’échapper à l’impôt et lutte active contre les para­dis fis­caux.

Pour main­te­nir au maxi­mum l’emploi et le pou­voir d’achat dans un pre­mier temps, il faut déve­lop­per des alter­na­tives aux licen­cie­ments. La pré­ca­ri­té et la pau­vre­té ne font qu’accroître la crise : il faut donc, au contraire des mesures de dégres­si­vi­té adop­tées jusqu’à pré­sent, ren­for­cer l’indemnisation des chô­meurs et leur accom­pa­gne­ment-for­ma­tion, tout comme le fit Frank­lin Roo­se­velt dès son acces­sion à la pré­si­dence des États-Unis.

Une autre mesure-clé, ins­pi­rée de Roo­se­velt et son Glass Stea­gall Act, est la sépa­ra­tion stricte entre banques de dépôt et banques d’affaires, indis­pen­sable pour que les banques ne se lancent plus dans des acti­vi­tés spé­cu­la­tives à haut risque avec l’épargne des citoyens. Fait étran­ge­ment peu connu, cette sépa­ra­tion était en vigueur en Bel­gique jusqu’en 1993.

Roosevelt2012 remet éga­le­ment à l’agenda la créa­tion d’une taxe sur les tran­sac­tions finan­cières inter­na­tio­nales qui, en plus d’alimenter les res­sources publiques, per­met­trait de péna­li­ser les tran­sac­tions à court terme, les plus spéculatives.

Enfin, c’est encore au niveau inter­na­tio­nal qu’il faut agir et impo­ser le res­pect des normes sociales et envi­ron­ne­men­tales afin de lut­ter contre les délo­ca­li­sa­tions et mon­dia­li­ser le tra­vail décent, réta­blir une jus­tice sociale.

2. Contre le chô­mage, construire une nou­velle société

Ce deuxième chan­tier vise à tran­si­ter vers une nou­velle socié­té qui sau­ra faire face aux défis que nous ren­con­trons aujourd’hui. Le déve­lop­pe­ment de ces alter­na­tives exige des inves­tis­se­ments à long terme ren­dus pos­sibles notam­ment par les marges de manœuvre finan­cières libé­rées. Roo­se­velt 2012 appelle à inves­tir dans une poli­tique du loge­ment créa­trice d’emploi dans l’immédiat et ren­table sur le long terme. De plus, un inves­tis­se­ment public per­met­trait de rééqui­li­brer le mar­ché du loge­ment et de faire bais­ser les prix.

Concer­nant la lutte contre le dérè­gle­ment cli­ma­tique, le col­lec­tif Roo­se­velt 2012 appelle à un inves­tis­se­ment mas­sif dans les éco­no­mies d’énergie, l’isolation des bâti­ments, le déve­lop­pe­ment des éner­gies renou­ve­lables, la relo­ca­li­sa­tion de cer­taines acti­vi­tés éco­no­miques (dont l’agriculture) etc.

De même, l’économie clas­sique et le mar­ché du tra­vail actuel ont mon­tré leurs limites. Il faut encou­ra­ger et sou­te­nir le déve­lop­pe­ment d’alternatives : l’économie sociale, qui a comme fina­li­té les ser­vices aux citoyens plu­tôt que le pro­fit et qui donne prio­ri­té au tra­vail sur le capi­tal dans la redis­tri­bu­tion des béné­fices. Un nou­veau par­tage du temps de tra­vail est éga­le­ment néces­saire afin de mieux répar­tir les gains de pro­duc­ti­vi­té colos­saux des der­nières décen­nies et de per­mettre au plus grand nombre d’avoir une activité.

3. Construire enfin une Europe démocratique

Les mesures pro­po­sées par le col­lec­tif Roo­se­velt 2012 ont clai­re­ment une por­tée euro­péenne. Pour répondre à ce qui est sou­vent décrit comme le défi­cit démo­cra­tique de l’Union, il appelle à la créa­tion d’un véri­table régime par­le­men­taire euro­péen : les élec­tions se dérou­le­raient entre par­tis euro­péens et non entre can­di­dats natio­naux. Enfin, pour lut­ter contre le « dum­ping social » dénon­cé au sein même de la zone euro, un vrai Trai­té social euro­péen est requis. Il contien­drait des cri­tères de conver­gence sociaux pour inci­ter les États-membres à une course « vers le haut » en matière sociale.

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