Sidérurgie wallonne : vers quel avenir ?

Photo : Pierre Machiroux

Depuis l’arrivée de John Cocke­rill à Seraing en 1826, une large part de l’activité éco­no­mique wal­lonne s’est struc­tu­rée autour de l’industrie sidé­rur­gique, assu­rant la pros­pé­ri­té de toute une région. La sidé­rur­gie a aus­si favo­ri­sé l’émergence d’un mou­ve­ment ouvrier fort et a nour­ri la culture et l’imaginaire wal­lon. Les hommes et les femmes qui ont consa­cré leur vie à la sidé­rur­gie ont ain­si façon­né une terre de Chair et Depuis les années 70, l’industrie sidé­rur­gique est régu­liè­re­ment en crise. Les récentes annonces de fer­me­ture (haut-four­neau 6 de Seraing et Car­sid à Mar­ci­nelle) semblent son­ner le glas de la sidé­rur­gie, entraî­nant une remise en ques­tion de l’activité éco­no­mique wal­lonne et de la socié­té en géné­ral. État des lieux.

Quel avenir pour la sidérurgie wallonne ?

Aux mains de groupes inter­na­tio­naux, la sidé­rur­gie wal­lonne semble à la croi­sée des che­mins. Quelles sont les pistes pour son avenir ?

L’international et le « sur mesure »

Une voie pos­sible pour la sidé­rur­gie wal­lonne reste l’intégration dans de grands groupes inter­na­tio­naux pour en consti­tuer un des maillons. Ain­si, mal­gré la conjonc­ture éco­no­mique et la concur­rence inter­na­tio­nale, les phases à chaud de Cla­becq (Ittre) et de La Lou­vière sont entrées dans le giron du groupe russe Novo­li­petsk et conti­nuent de pro­duire de l’acier. Cer­tains pro­duits spé­ci­fiques, réa­li­sés « sur mesure » et ne néces­si­tant pas une grosse pro­duc­tion, nour­rissent éga­le­ment de belles pers­pec­tives. De leurs côtés, les acié­ries élec­triques semblent avoir un bel ave­nir, notam­ment via le recyclage.

La réap­pro­pria­tion régionale

La réap­pro­pria­tion régio­nale d’une par­tie de la sidé­rur­gie per­met­trait à celle-ci de sor­tir des griffes des mul­ti­na­tio­nales et pour­rait garan­tir l’indépendance et le main­tien de l’activité. En 2012, réagis­sant à la fer­me­ture de la phase à chaud lié­geoise, les syn­di­cats métal­lur­gistes lié­geois pré­sentent un plan visant à la réap­pro­pria­tion de l’ensemble des outils de la sidé­rur­gie lié­geoise et au main­tien de la sidé­rur­gie inté­grée, c’est-à-dire de la phase à chaud et de la phase à froid.

Recherche et Développement

La sidé­rur­gie wal­lonne doit ren­for­cer davan­tage encore la Recherche et Déve­lop­pe­ment, dans la phase à froid, mais aus­si dans le cadre d’un ren­for­ce­ment d’une sidé­rur­gie inté­grée sur le site de Liège. Face à une concur­rence inter­na­tio­nale qui pra­tique des tarifs plus bas et aug­mente sans cesse la qua­li­té de sa pro­duc­tion, la phase à froid wal­lonne doit gar­der une lon­gueur d’avance en pro­po­sant des maté­riaux inno­vants à haute valeur tech­no­lo­gique. De plus, les tech­no­lo­gies de pointe, connec­tées aux tech­no­lo­gies et aux savoir-faire plus anciens, aug­mentent la maî­trise des tra­vailleurs et rendent la pro­duc­tion moins faci­le­ment délocalisable.

Friches indus­trielles et recon­ver­sion des sites

Pour les sites sidé­rur­giques ayant ces­sé toute acti­vi­té, il convient d’éviter l’impasse de la friche et de s’orienter vers la réha­bi­li­ta­tion de ceux-ci. Celle-ci peut prendre deux formes : l’assainissement du site pour lui don­ner une nou­velle affec­ta­tion ou la sau­ve­garde de ce patri­moine en lui don­nant une voca­tion éco­no­mique, cultu­relle, péda­go­gique, tou­ris­tique et/ou immo­bi­lière. Attar­dons-nous sur deux exemples de reconversion.

Cer­tains sites à l’abandon pour­raient avoir un des­tin com­pa­rable à celui d’anciennes mines. Ain­si, le Grand-Hor­nu accueille le MAC’s (Musée des arts contem­po­rains) et, c’est en com­pa­gnie de trois anciennes mines wal­lonnes (le Bois du Cazier, le Bois-du-Luc et Blé­gny-Mine), qu’il vient d’être recon­nu par l’UNESCO comme fai­sant par­tie du patri­moine mon­dial de l’humanité. Le patri­moine sidé­rur­gique sui­vra-t-il leurs traces ? En Alle­magne, le Land­schafts­park de Duis­burg est un exemple de recon­ver­sion par­ti­cu­liè­re­ment réus­sie. Dans cet ancien site sidé­rur­gique de 200 hec­tares, les bâti­ments indus­triels excep­tion­nels ont été réno­vés et les autres abat­tus pour faire place à la nature. Des visites sur l’histoire indus­trielle et des évé­ne­ments cultu­rels y sont orga­ni­sés. Les sports et les loi­sirs y trouvent éga­le­ment leur place : vingt-huit kilo­mètres de pistes cyclables et des cir­cuits de ran­don­née ont été créés, l’ancien gazo­mètre est trans­for­mé en bas­sin pour plon­geurs et des ves­tiges indus­triels se sont mués en murs d’escalade.

D’autres voies ?

Bien sûr, les pers­pec­tives évo­quées peuvent être com­bi­nées et d’autres voies sont pro­ba­ble­ment encore à inventer.

Quel redressement économique pour la wallonie ?

Le Plan Marshall

Les dif­fi­cul­tés de la sidé­rur­gie et de l’économie wal­lonne ont ame­né le Gou­ver­ne­ment wal­lon à lan­cer le Plan Mar­shall en 2005 (sui­vi du Plan Mar­shall 2.vert en 2009). Ce plan vise à ras­sem­bler dif­fé­rents acteurs (éco­no­miques, aca­dé­miques et publics) pour sti­mu­ler le déve­lop­pe­ment éco­no­mique et favo­ri­ser la créa­tion d’emplois. En résu­mé, le Gou­ver­ne­ment wal­lon mobi­lise des capi­taux publics pour :

  • Mettre la for­ma­tion en adé­qua­tion avec les besoins des entreprises ;
  • Amé­lio­rer le niveau de per­for­mance dans des domaines d’activités dans les­quels la Wal­lo­nie dis­pose déjà d’un réel poten­tiel (les pôles de compétitivité) ;
  • Pour­suivre le réin­ves­tis­se­ment dans le sec­teur de la recherche publique et pri­vée pour atteindre 3 % du PIB ;
  • Sti­mu­ler l’initiative pri­vée, la créa­tion d’entreprises et leur déve­lop­pe­ment en Wal­lo­nie ou à l’étranger ;
  • Posi­tion­ner la Région pour qu’elle pro­fite des oppor­tu­ni­tés à venir dans le sec­teur du déve­lop­pe­ment durable ;
  • Ren­for­cer des ser­vices de proxi­mi­té (crèche, gar­de­rie, ser­vice aux per­sonnes han­di­ca­pées et âgées, inser­tion sociale).

S’il est encore trop tôt pour faire le bilan du Plan Mar­shall (il fau­dra attendre quelques années pour se pro­non­cer sur ses effets), il est géné­ra­le­ment bien accueilli par les acteurs éco­no­miques, sociaux et aca­dé­miques. Les pre­miers chiffres (emploi, for­ma­tion, recherche…) sont encou­ra­geants et les pôles de com­pé­ti­ti­vi­té sont salués comme étant l’une des réus­sites majeures de ce plan. Cepen­dant, le Plan Mar­shall est un plan éco­no­mique et non une remise en ques­tion de notre modèle de socié­té, ce qui peut sou­le­ver des interrogations.

Focus sur les pôles de compétitivité

Pour amé­lio­rer les per­for­mances des entre­prises, les pôles com­binent les acteurs liés aux entre­prises, à la for­ma­tion et à la recherche et inno­va­tion. En s’unissant autour de trois prio­ri­tés (le par­te­na­riat, les pro­jets com­muns concrets et la visi­bi­li­té inter­na­tio­nale), ils doivent ame­ner de nou­velles pers­pec­tives de déve­lop­pe­ment aux entre­prises wal­lonnes et donc des créa­tions d’emplois.

Ain­si, six pôles de com­pé­ti­ti­vi­té ont été iden­ti­fiés : Logis­tics in Wal­lo­nia (trans­port et logis­tique) ; Sky­win Wal­lo­nie (aéro­nau­tique et spa­tial), Green­Win (chi­mie verte et maté­riaux durables), Bio­Win (bio­tech­no­lo­gies et san­té), WagrA­LIM (agro-indus­trie) et Meca­Tech (génie mécanique).

Hori­zon 2022

Suite aux der­niers accords com­mu­nau­taires, la Région wal­lonne va rece­voir de nou­velles com­pé­tences et voir la soli­da­ri­té fédé­rale se réduire. C’est pour­quoi le Gou­ver­ne­ment wal­lon tra­vaille au plan « Hori­zon 2022 ». Encore en débat, il s’inspire du Plan Mar­shall (tant dans la phi­lo­so­phie que dans la méthode), voit à plus long terme, défi­nit des axes de tra­vail et vise à une meilleure gou­ver­nance (avec notam­ment la sim­pli­fi­ca­tion admi­nis­tra­tive). Ren­dez-vous en 2022 ?

QUELLE SOCIÉTÉ DÉSIRONS-NOUS CONSTRUIRE ?

Dans le monde glo­ba­li­sé du 21e siècle, la com­pé­ti­ti­vi­té éco­no­mique d’une région joue un grand rôle dans son ave­nir, mais ce n’est pas le seul élé­ment à prendre en compte : l’avenir d’une région, c’est aus­si la capa­ci­té de ses habi­tants à être acteurs de la socié­té et à la trans­for­mer. Aujourd’hui, de nom­breuses ini­tia­tives voient le jour pour envi­sa­ger un monde qui n’aurait pas le « tout-à‑l’économie » comme hori­zon. Tous les jours, des citoyens s’engagent au sein d’associations, de col­lec­tifs ou indi­vi­duel­le­ment. En s’indignant, en reven­di­quant et en créant du lien social, ils s’investissent dans la socié­té pour la transformer.

Ain­si, au départ du roman L’homme qui valait 35 mil­liards de Nico­las Ancion et de son adap­ta­tion pour la scène, un vaste ensemble d’expressions artis­tiques enga­gées a vu le jour dans le but de ques­tion­ner notre situa­tion socioéconomique.

L’exposition De chair et d’acier en est issue.

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