Violences policières en fin de manif pour la Santé

Capture d'écran de la vidéo diffusée par LN24

Bruxelles, le dimanche 13 sep­tembre 2020, alors que la manif pour la San­té touche à sa fin, des (ex-)manifestant·es sur le che­min de la mai­son et des passant·es rue de la Régence sont encer­clés et char­gés par la police. Peu avant 16h, trente-cinq per­sonnes sont arrê­tées sans ména­ge­ment — dont l’auteur de ces lignes et sa com­pagne — pour des motifs que nous pei­nons à sai­sir. À moins que nous ne crai­gnions de trop bien les com­prendre… Une ité­ra­tion de plus d’actions poli­cières, contes­tables et contes­tées, depuis le confinement.

Alors que la manif, orga­ni­sée à l’ap­pel de La San­té en Lutte, se dis­perse, beau­coup de manifestant·es empruntent la seule issue non encore blo­quée par la police, la rue de la Régence, qu’iels des­cendent vers les Sablons. Finis les slo­gans, pan­cartes, ras­sem­ble­ments d’une manif joyeuse et plu­tôt réus­sie mal­gré la pres­sion poli­cière omniprésente…

La rue est calme donc et les ex-manifestant·es (mais aus­si les tou­ristes, des badauds, des familles) y marchent seuls ou par petits groupes, et pro­fitent de leur dimanche. Sou­dain, la police déboule : M. le com­mis­saire Van­ders­mis­sen contrôle un homme décrit par des témoins comme pas­sif, il sera pour­tant gazé à bout por­tant. Cela pro­voque quelques réac­tions – ver­bales et non vio­lentes – d’une poi­gnée de témoins outrés par la scène injus­ti­fiable. Est-ce les huées légi­times de quelques-uns qui ser­vi­ront de pré­texte pour bou­cler et char­ger une rue entière ? La police com­mu­ni­que­ra, quant à elle, que des mani­fes­tants ont vou­lu « refor­mer un cor­tège ». La majo­ri­té des passant·es, en tout cas, ignore tout de l’incident.…

Rapi­de­ment et sans som­ma­tion, nous sommes encer­clés, char­gés, pris dans une bous­cu­lade sans nom avec toutes celles et ceux qui se trou­vaient dans la rue. Avec aus­si coups de matraque, de bou­cliers, et ordre contra­dic­toires. Tant et si bien que nous nous retrou­vons une qua­ran­taine de per­sonnes agglu­ti­nées les unes sur les autres. Exit les dis­tan­cia­tions phy­siques. Bon­jour le risque sanitaire.

Simul­ta­né­ment, deux per­sonnes seront vio­lem­ment inter­pel­lées et accu­sées par la police de « rébel­lion ». Je n’ai vu pour ma part que des per­sonnes déso­rien­tées, dont une jeune femme en jupe et san­dale, ten­tant d’éviter les coups et cet usage dis­pro­por­tion­né de la force. Elles ont depuis por­té plainte pour « coups, bles­sures et déten­tions arbi­traires ». Tout comme un pre­mier inter­pel­lé juste avant la charge, pré­ci­sé­ment celui qui reçoit un jet de gaz irri­tant du fameux pho­to­graphe qui se pre­nait pour un auxi­liaire de police (et que la police n’a pas arrê­té), autre curio­si­té de cette jour­née. Je vous épar­gne­rai ici la lita­nie des inca­pa­ci­tés de tra­vail pour cause phy­siques ou psy­cho­lo­giques et les trau­mas qu’une telle expé­rience provoque.

Je vous pas­se­rai aus­si tout un ensemble de détails de ces arres­ta­tions racon­tés par ailleurs dans Le Soir, résu­més dans le texte de notre inter­pel­la­tion à des­ti­na­tion du Conseil com­mu­nal de Bruxelles  (qui a été refu­sée sur des motifs très contes­tables) ou encore dans le récit gla­çant des interpellé·es judi­ciaires : mineurs arrê­tés sans que ne soient pré­ve­nus les parents (Le Délé­gué géné­ral au droit de l’enfant est d’ailleurs inter­ve­nu), remarques et gestes dépla­cés et/ou racistes, fouilles en rue par­fois dégra­dantes, indi­ca­tions floues, col­son­nage de tous et toutes (alors que nor­ma­le­ment réser­vé aux per­sonnes repré­sen­tant une menace), chiens qu’on fait aboyer à un mètre de nous… le tout alors que nous sommes pour­tant coopérant·es et résigné·es à notre sort. Emmené·es aux casernes d’Etterbeek, nous sommes photographié·es, fiché·es (dans quel but ?) et gardé·es à vue. « Trouble à l’ordre public » nous indi­que­ra un papier à signer lors de notre sor­tie. On se demande tou­jours sur quelles bases… Nous ne fai­sions en effet que cir­cu­ler sur la voie publique !

Par­mi la somme d’injustices, repor­tées dans plus d’une dizaine de plaintes dépo­sées au comi­té P (qui a déci­dé de dili­gen­ter une enquête), ce qui retient ici le plus mon atten­tion, ce sont les ins­truc­tions don­nées aux cor­dons poli­ciers qu’un témoin rap­porte : « On laisse pas­ser le per­son­nel de san­té et on garde les gau­chistes. ». Ce sont aus­si les nom­breuses remarques et jus­ti­fi­ca­tions émises par des policier·es sur le fait que nous n’aurions pas dû être là, que si nous ne vou­lions pas être arrêté·es, il ne fal­lait pas venir mani­fes­ter… Dès lors, dif­fi­cile d’y voir autre chose que le chil­ling effect à l’œuvre défi­ni (et condam­né) par la Cours Euro­péenne des Droits de L’Homme comme « une inti­mi­da­tion pour empê­cher les mani­fes­ta­tions d’opposition ».

Le tableau d’ensemble est pour le moins inquié­tant : une rue entière bou­clée puis char­gée, 35 per­sonne moles­tées dont cer­taines gra­ve­ment puis pri­vées de liber­té. Voi­ci donc en 2020 le genre de choses qui peut vous arri­ver en (fin de) mani­fes­ta­tion, quand bien même elle est auto­ri­sée, paci­fique et ne réclame pas le Grand Soir, juste des moyens pour la San­té publique.

Des cas assez proches d’interventions poli­cières avec un usage clai­re­ment dis­pro­por­tion­nées de la force ont été aus­si signa­lées lors de ras­sem­ble­ments comme ceux d’Extinction Rébel­lion en 2019 ou, plus près, de Black lives mat­ter 1 Ils indiquent qu’il est urgent de mener un impor­tant tra­vail de réforme de la police et du main­tien de l’ordre des mani­fes­ta­tions. Et que le poli­tique doit reprendre le contrôle de sa/notre police. Ces faits devraient mobi­li­ser au plus vite toutes les orga­ni­sa­tions poli­tiques, mili­tantes et asso­cia­tives car il est la condi­tion même de l’exercice de notre droit à mani­fes­ter. Et d’un res­pect des liber­tés publiques de plus en plus mena­cées en ces temps de Covid.

  1. Voir Qua­ran­tine Watch et Police Watch qui récoltent des témoi­gnages d’abus poli­ciers en recru­des­cence depuis mars dernier.

Caisse de solidarité pour les victimes de violences policières

La Santé en Lutte a mis en place une caisse de solidarité visant à couvrir les frais judiciaires des victimes de violences policières de la Grande manif pour la Santé. L'idée de ce geste de solidarité, c'est de mettre en place ce dispositif pour aussi aider en cas de besoin d'autres victimes de violences policières à l'avenir. "Une autre fois c'est peut-être vous qui en aurez besoin !" rappellent-ils avec justesse dans le descriptif de cet appel à don, tellement les temps sont durs. En effet, il est essentiel que les soutiens aux revendications de mouvements comme celui mené par La Santé en Lutte ne se laissent pas intimider et aient les moyens de se défendre !

 

Voici le lien vers cette caisse de solidarité : https://www.papayoux-solidarite.com/fr/collecte/caisse-de-solidarite-contre-les-violences-policieres?

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