Alors que la manif, organisée à l’appel de La Santé en Lutte, se disperse, beaucoup de manifestant·es empruntent la seule issue non encore bloquée par la police, la rue de la Régence, qu’iels descendent vers les Sablons. Finis les slogans, pancartes, rassemblements d’une manif joyeuse et plutôt réussie malgré la pression policière omniprésente…
La rue est calme donc et les ex-manifestant·es (mais aussi les touristes, des badauds, des familles) y marchent seuls ou par petits groupes, et profitent de leur dimanche. Soudain, la police déboule : M. le commissaire Vandersmissen contrôle un homme décrit par des témoins comme passif, il sera pourtant gazé à bout portant. Cela provoque quelques réactions – verbales et non violentes – d’une poignée de témoins outrés par la scène injustifiable. Est-ce les huées légitimes de quelques-uns qui serviront de prétexte pour boucler et charger une rue entière ? La police communiquera, quant à elle, que des manifestants ont voulu « reformer un cortège ». La majorité des passant·es, en tout cas, ignore tout de l’incident.…
Rapidement et sans sommation, nous sommes encerclés, chargés, pris dans une bousculade sans nom avec toutes celles et ceux qui se trouvaient dans la rue. Avec aussi coups de matraque, de boucliers, et ordre contradictoires. Tant et si bien que nous nous retrouvons une quarantaine de personnes agglutinées les unes sur les autres. Exit les distanciations physiques. Bonjour le risque sanitaire.
Simultanément, deux personnes seront violemment interpellées et accusées par la police de « rébellion ». Je n’ai vu pour ma part que des personnes désorientées, dont une jeune femme en jupe et sandale, tentant d’éviter les coups et cet usage disproportionné de la force. Elles ont depuis porté plainte pour « coups, blessures et détentions arbitraires ». Tout comme un premier interpellé juste avant la charge, précisément celui qui reçoit un jet de gaz irritant du fameux photographe qui se prenait pour un auxiliaire de police (et que la police n’a pas arrêté), autre curiosité de cette journée. Je vous épargnerai ici la litanie des incapacités de travail pour cause physiques ou psychologiques et les traumas qu’une telle expérience provoque.
Je vous passerai aussi tout un ensemble de détails de ces arrestations racontés par ailleurs dans Le Soir, résumés dans le texte de notre interpellation à destination du Conseil communal de Bruxelles (qui a été refusée sur des motifs très contestables) ou encore dans le récit glaçant des interpellé·es judiciaires : mineurs arrêtés sans que ne soient prévenus les parents (Le Délégué général au droit de l’enfant est d’ailleurs intervenu), remarques et gestes déplacés et/ou racistes, fouilles en rue parfois dégradantes, indications floues, colsonnage de tous et toutes (alors que normalement réservé aux personnes représentant une menace), chiens qu’on fait aboyer à un mètre de nous… le tout alors que nous sommes pourtant coopérant·es et résigné·es à notre sort. Emmené·es aux casernes d’Etterbeek, nous sommes photographié·es, fiché·es (dans quel but ?) et gardé·es à vue. « Trouble à l’ordre public » nous indiquera un papier à signer lors de notre sortie. On se demande toujours sur quelles bases… Nous ne faisions en effet que circuler sur la voie publique !
Parmi la somme d’injustices, reportées dans plus d’une dizaine de plaintes déposées au comité P (qui a décidé de diligenter une enquête), ce qui retient ici le plus mon attention, ce sont les instructions données aux cordons policiers qu’un témoin rapporte : « On laisse passer le personnel de santé et on garde les gauchistes. ». Ce sont aussi les nombreuses remarques et justifications émises par des policier·es sur le fait que nous n’aurions pas dû être là, que si nous ne voulions pas être arrêté·es, il ne fallait pas venir manifester… Dès lors, difficile d’y voir autre chose que le chilling effect à l’œuvre défini (et condamné) par la Cours Européenne des Droits de L’Homme comme « une intimidation pour empêcher les manifestations d’opposition ».
Le tableau d’ensemble est pour le moins inquiétant : une rue entière bouclée puis chargée, 35 personne molestées dont certaines gravement puis privées de liberté. Voici donc en 2020 le genre de choses qui peut vous arriver en (fin de) manifestation, quand bien même elle est autorisée, pacifique et ne réclame pas le Grand Soir, juste des moyens pour la Santé publique.
Des cas assez proches d’interventions policières avec un usage clairement disproportionnées de la force ont été aussi signalées lors de rassemblements comme ceux d’Extinction Rébellion en 2019 ou, plus près, de Black lives matter 1 Ils indiquent qu’il est urgent de mener un important travail de réforme de la police et du maintien de l’ordre des manifestations. Et que le politique doit reprendre le contrôle de sa/notre police. Ces faits devraient mobiliser au plus vite toutes les organisations politiques, militantes et associatives car il est la condition même de l’exercice de notre droit à manifester. Et d’un respect des libertés publiques de plus en plus menacées en ces temps de Covid.
- Voir Quarantine Watch et Police Watch qui récoltent des témoignages d’abus policiers en recrudescence depuis mars dernier.
Caisse de solidarité pour les victimes de violences policières
La Santé en Lutte a mis en place une caisse de solidarité visant à couvrir les frais judiciaires des victimes de violences policières de la Grande manif pour la Santé. L'idée de ce geste de solidarité, c'est de mettre en place ce dispositif pour aussi aider en cas de besoin d'autres victimes de violences policières à l'avenir. "Une autre fois c'est peut-être vous qui en aurez besoin !" rappellent-ils avec justesse dans le descriptif de cet appel à don, tellement les temps sont durs. En effet, il est essentiel que les soutiens aux revendications de mouvements comme celui mené par La Santé en Lutte ne se laissent pas intimider et aient les moyens de se défendre !
Voici le lien vers cette caisse de solidarité : https://www.papayoux-solidarite.com/fr/collecte/caisse-de-solidarite-contre-les-violences-policieres?