Voyage au bout d’une poupée russe

Par Denis Dargent

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Photo : Nathalie Caccialupi

Les lec­teurs atten­tifs de cette chro­nique – un mil­liard d’individus au bas mot… – savent que son leit­mo­tiv, outre la défense achar­née de l’art d’en bas, est impli­ci­te­ment, et méta­pho­ri­que­ment, conte­nu tout entier dans une pou­pée russe. Le mes­sage est on ne peut plus clair : tout est dans tout ! Et réciproquement.

Mais qui est-elle au juste cette pou­pée russe, aus­si appe­lée matrio­ch­ka ou pou­pée gigogne ?

C’est une idole. De bois. Très impu­dique puisqu’elle nous invite à voya­ger au plus pro­fond d’elle-même. Une expé­di­tion de l’étagère vers le centre de la Terre, par strates ou couches suc­ces­sives. Sui­vant la tech­nique de l’oignon.

Mais pour­quoi diable répondre à son appel ? L’objet de ce voyage n’est-il pas, en effet, pré­dé­fi­ni par la logique torve d’un fabri­cant ou pire, d’un com­man­di­taire ? Il n’y a donc pas de rai­son valable à cette aven­ture de salon, si ce n’est la pul­sion de la quête…

Vers qui, vers quoi ? Une star de l’effeuillage ? Les douze apôtres ou les douze salo­pards ? Un dic­ta­teur peut-être ? Puis un autre, puis un autre, puis un autre… Jusqu’au plus petit des dic­ta­teurs. Dont la cruau­té serait inver­se­ment pro­por­tion­nelle à la taille.

Il doit exis­ter aus­si une pou­pée russe isla­miste dont on dévoi­le­rait, au fur et à mesure, les mol­lahs et aya­tol­lahs empi­lés (très dif­fi­cile à pro­non­cer ça) jusqu’à la révé­la­tion du pro­phète : un mor­ceau de bois non peint celui-là, ne figu­rant rien d’autre que la matière elle-même. Et si Maho­met n’était au fond que la méta­phore du vide ori­gi­nel dont nous sommes toutes et tous issus ?

De l’hypothèse théo­lo­gique à la pata­phy­sique spa­tiale, il n’y a qu’un pas. C’est pour­quoi cer­tains dis­ciples d’Alfred (Jar­ry) pensent éga­le­ment que le big bang lui-même prit nais­sance à la plus infime limite d’une pou­pée russe. Selon cette théo­rie, l’expansion de l’univers serait donc le pro­duit du déve­lop­pe­ment conti­nu, par couches, de la plus petite à la plus grande, d’une for­mi­dable pou­pée ! Et tôt ou tard – d’aucuns disent bien­tôt… – une couche incom­men­su­rable sub­mer­ge­ra notre uni­vers tout entier. La der­nière ligne d’horizon de l’humanité, au-delà de laquelle nous ne ver­rions que du vide, serait donc bel et bien la face cachée d’une pou­pée gigogne ! Une sorte de miroir céleste sur lequel, l’espace d’un ins­tant, se reflè­te­ront nos vani­tés qu’on croyait éter­nelles. Bien fait pour nos gueules.

Et si cette his­toire de va-et-vient n’avait fina­le­ment aucun sens ?

Pro­fi­tons dès lors des quelques ins­tants qui nous res­tent pour vous conseiller un détour par les œuvres plas­tiques superbes de Sara Conti, artiste mon­toise qui uti­lise notam­ment les formes gal­bées de la matrio­ch­ka comme sup­port de créa­tion. Tapez Sara Conti sur votre moteur de recherches et lais­sez-vous sur­prendre.

C’est bien quand nos vies s’emboîtent, non ?