Votre biographie mentionne que vous avez entamé des études de psychologie. La psychologie, le corps et l’esprit sont-ils le fil conducteur de vos spectacles ?
Je ne pense pas vraiment, j’ai fait deux ans de candidature en psychologie, puis j’ai décidé d’arrêter, car je n’aimais plus et n’assumait plus ce choix. Quelque part, dans mes spectacles, je dirais que je fais un peu de psychologie sociale en ce sens que j’agis sur le mental du danseur de manière intuitive, je lui laisse ensuite sa propre création, sa propre évolution sur scène. Je ne suis pas quelqu’un de théorique, pas un intellectuel. Je vis de mon intuition et la fait partager auprès des danseurs. Je ne suis pas dirigiste.
Vous avez créé votre compagnie de danse contemporaine « Ultima Vez », avez-vous pensé à fonder votre propre école de danse à l’instar d’Anne Teresa De Keersmaecker par exemple ?
J’ai effectivement fondé en 1986, la compagnie de danse « Ultima Vez », mais ça s’arrête là. Non, je n’ai jamais songé à créer une école de danse, simplement parce que je n’en vois pas l’utilité. Mes danseurs ont toujours suivi beaucoup de cours de danse, ils viennent d’un peu tous les coins du monde. Je dirais que ma compagnie de danse contemporaine s’appuie sur des échanges et des techniques. Il s’agit-là véritablement d’une école du voyage, nomade, on goûte aux plaisirs d’échanger les techniques. Je participe à 4 ou 5 workshops partout dans le monde, c’est là que je découvre toujours intuitivement mes danseurs. Je les forme par la suite, le travail s’effectue d’un commun accord.
Vous êtes chorégraphe, danseur, cinéaste et même photographe, ces multiples disciplines se retrouvent-elles dans vos spectacles ?
Le mélange des disciplines est une technique que j’apprécie. Ce que j’aime c’est travailler la performance, je suis très physique, spontané. L’être humain est fait pour être un performer. J’essaie de bien mener la technique pour faire apparaître une certaine qualité de danse. Comme je dis toujours : on ne mange pas la fourchette, on mange ce que la fourchette prend ! Je construis au fur et à mesure mon spectacle avec les danseurs, j’endosse simplement le rôle de guide. Le public doit comprendre pourquoi on bouge et de quelle manière. C’est là mon souci premier. Un bon créateur pour moi doit tuer le père !
Du premier spectacle « What the body does not remember » en 1987 à Oedipus/bêt noir en 2011, comment la danse a évolué dans votre tête et dans les gestes ?
Sur scène, je veux avant tout construire un univers théâtral, que le théâtre et la danse se fondent l’un dans l’autre. Oedipus/bêt noir relève de la mythologie. Dans ce spectacle, je joue le rôle d’Œdipe, l’antihéros tragique qui, à son insu, tue son père et épouse sa mère. L’interprétation est totalement libre, seize acteurs, danseurs et musiciens donnent le mouvement autour de moi. Je n’aime pas trop montrer qu’ils sont des danseurs dans un spectacle de théâtre. Je préfère des danseurs qui peuvent se révéler des acteurs. Dans Oedipus/bêt noir je mets en scène aussi bien 5 à 6 enfants, dont mon fils de 10 ans, que des personnes de 65 ans et 80 ans, l’âge s’adapte. La musique tient un rôle important dans ce spectacle, les hurlements des guitares des trois musiciens, les tonnerres de leurs percussions glacent et touchent le spectateur au plus profond de son être. Ce spectacle a été joué jusqu’à présent à Amsterdam et à Vienne. Depuis le 15 septembre, il est à l’affiche du KVS à Bruxelles, ensuite s’en suivront des représentations à Gand, Ostende, Bruges, Anvers, Hasselt et Turnhout.
Quelles sont les principales qualités que vous recherchez chez vos danseurs ?
Chaque danseur est unique, il doit être éclectique je recherche surtout la qualité du mouvement, une présence, une certaine fragilité, une complémentarité au groupe formé, un défaut peur s’avérer une véritable qualité. Pour mes spectacles, j’auditionne environ 700 personnes. Je reconnais très vite les personnes qui apportent ce petit plus dont j’ai besoin. Il n’y a pas un profil spécifique, encore une fois je privilégie l’intuition avant tout !
Si vous utilisez le corps et l’esprit pour la danse, quel regard utilisez-vous pour le 7e Art ? Notamment pour le film « Monkey Sandwich » ?
Monkey Sandwich est une fiction, un long métrage qui entraîne mes collaborateurs (et les spectateurs, bien sûr) dans la folie sensible et innovante, un de mes dons incontestés ! C’est un regard posé sur des mythes urbains. Ce long métrage fait fusionner cinéma et art vivant de la scène. Il a été sélectionné lors de la clôture de la Biennale de Venise, section film.
Parlez-nous de l’anti-spectacle « Radical Wrong », votre expérience de chorégraphe/cinéaste avec des jeunes talents à qui vous avez donné carte blanche ?
Il s’agit d’un spectacle destiné aux jeunes de 12 à 18 ans. C’est une succession de sketches où le spectacle tue le metteur en scène, celui- ci s’efface progressivement. Il dure 1h30 et met en exergue tous les clichés que l’on attribue aux jeunes. Il explique comment ceux-ci cherchent et sont en quête de leur identité. Le talent des performers étonne, on passe du théâtre dansé énergique au théâtre tout court, très narratif.