Le 22 avril 2022 à Verviers, la fresque féministe Acrobates était inaugurée en présence des citoyen·nes, de l’associatif, de de la ministre wallonne Christie Morreale et de la secrétaire d’Etat, Sarah Schlitz. Cette fresque est le résultat d’un dispositif d’éducation permanente mis en place par les régionales verviétoises de Présence et Action Culturelles et des Femmes Prévoyantes Socialistes. Pendant plusieurs semaines, des citoyennes ont eu l’occasion d’interroger leur espace urbain et de tenter de comprendre le sentiment d’insécurité en ville largement partagé au sein du groupe et par de nombreuses femmes. Balades exploratoires, discussions, animations, rencontres qui ont permis d’identifier les freins, d’analyser le système dans lequel elles se trouvent et de pouvoir identifier les leviers d’action. Le collectif décide alors d’investir les murs de la ville. Une rencontre avec le collectif féministe « 7e Gauche » permet au groupe, à travers l’art urbain, dont elles apprécient particulièrement la fonction revendicatrice mais aussi rassurante de par ses volumes et couleurs au sein de la ville, de faire passer leur message et de rendre compte des luttes, des combats et des défis à mener pour une ville plus inclusive, pour un espace plus sécurisé.
L’exemple de Verviers n’est pas isolé… Partout, les femmes se questionnent et revendiquent plus d’égalité dans l’espace public. La ville reste un espace pensé par et pour les hommes, occupé largement par ceux-ci, reléguant l’autre moitié de la population à l’espace domestique, à la sphère privée.
Quel rapport culturel à l’espace public ?
Depuis toutes petites, les filles sont invitées voire sommées de rester chez elles ; parce qu’elles doivent aider à la gestion du ménage et/ou de la famille, parce que ce n’est pas leur place, parce que ce serait déplacé, parce que dehors c’est dangereux1. Oubliant très certainement qu’au lieu de restreindre les libertés de toutes, il s’agirait plutôt de condamner les violences faites aux femmes et de combattre les normes et injonctions qui leur sont imposées dehors… et dedans ! Encore aujourd’hui, les femmes doivent mettre en place toute une série de stratégies pour ne pas vivre/subir des violences (choix des habits, de l’itinéraire, des heures de sorties, stratégies d’évitements, etc.). Et si par malheur il leur arrive encore d’être harcelées, il est encore demandé aux femmes d’assumer cette insécurité. Leur autonomie est encore une fois remise en question par les institutions (police, justice) et par l’entourage, obligeant d’ailleurs certaines femmes à se taire, de peur de se voir priver un peu plus… de liberté.
À nous la rue !
Vous comprendrez qu’à partir de ces constats, elles sont pas mal à avoir envie de tout faire cramer ! Heureusement, les collectives organisées ne manquent pas de créativité. Depuis des siècles, les femmes se réapproprient l’espace public à travers l’expression culturelle et artistique, mais aussi à travers l’occupation et la mobilisation.
Le 8 mars, en Belgique (et dans beaucoup d’autres pays), les femmes sortent par millier dans les rues pour rappeler à quel point les inégalités de genre sont encore présentes dans nos sociétés. Un moment de lutte, de rage, de sororité et de rassemblement… un temps pour se retrouver, se renforcer et retrouver de l’énergie pour continuer à lutter chaque jour de l’année. C’est aussi un moyen d’occuper l’espace en masse et de visibiliser nos combats et notre force de réunion par différents moyens de communication. Et aussi via la presse, de plus en plus présente lors de ces manifestations.
Rouler sur le patriarcat ? C’est le mot d’ordre de plusieurs collectives cyclo créées ces dernières années : on pense aux Déchainé·es à Bruxelles, à la Piraterie à Liège… Des groupes de femmes qui organisent des ateliers mécaniques en mixité choisie pour s’autonomiser et occuper, de manière massive, la ville, la rue et célébrer le vélo, symbole de lutte et de liberté pour de nombreuses femmes d’hier et d’aujourd’hui.
Sur les murs, elles sont aussi nombreuses à utiliser les mots pour balancer leurs messages à l’heure du réveil des citadin·es : « Pas d’violeurs dans nos quartiers/pas d’quartier pour les violeurs ! », « Femmes boniches, femmes potiches, femmes affiches, on en a plein les miches ! », « À quand la triple journée ? Je m’ennuie ! », « Les sorcières peuvent aussi guérir les maux d’ordre ! »… En fonction de l’actualité, ou non, elles sortent armées d’un pot de colle à tapisser et d’un pinceau et choisissent des endroits stratégiques et misent sur la visibilité de leurs messages. Rien d’autorisé, de la désobéissance civile face à l’immobilisme institutionnel.
La fresque, individuelle, collective, participative, reste elle aussi un bon moyen d’interpeller à travers l’illustration, le graphisme… de manière plus ou moins durable dans la ville. Elle est souvent le fruit d’une négociation avec les autorités publiques et permet de faire participer toute une chacune en prenant le temps (et en journée). Ces fresques permettent aussi souvent la rencontre de groupes de citoyen·nes et d’artistes, mélangeant leurs visions, expériences et réflexions.
Et nous ne pouvons pas énumérer toutes ces variations de pratiques sans parler du corps et de la danse, nous avons tou·tes en tête la chorégraphie féministe chilienne « Le violeur, c’est toi ! » reprises par des dizaines de groupes à travers le monde. On pourrait aussi parler du collectif « Yes, We Dance » à Charleroi qui chaque année, dans le courant du mois de mars, organise un espace de danse libre en non-mixité sur la plus grande place de Charleroi, pour être, pour oser, pour occuper… tout simplement.
Espace public féministe
L’espace public est un espace de luttes et de revendications féministes puissant et à la portée de toutes ! Car oui, encore aujourd’hui, les femmes y sont le plus souvent absentes et/ou invisibilisées. C’est en se réappropriant cet espace, et en l’utilisant largement, notamment à travers l’art urbain, qu’elles vont réinventer les luttes et les combats d’hier et d’aujourd’hui et réussir à les visibiliser aux yeux du plus grand nombre. Une fresque urbaine « féministe » aujourd’hui, une sculpture d’une femme artiste demain… Voilà qui permettra de rendre aux femmes leur place dans tous ces espaces communs. Leur juste place. Parce que l’espace public est plus large que nos rues, nos bancs, nos squares mais c’est bien de l’ensemble de la sphère publique dont il s’agit : nos institutions, nos lieux de formations, nos espaces communs… Car plus qu’un partage équitable de notre présence en rue à toutes heures de la journée et de la nuit, il faut parler de partage de pouvoir !
Et l’exemple verviétois illustre bien la préoccupation des femmes à faire entendre leur voix, à faire connaitre leurs combats politiques et le besoin de retrouver du pouvoir de vivre, d’agir. Au cœur de leur fresque, des préoccupations autour des sujets comme le mouvement « No bra », « Me too », la « sororité », les « femmes et le handicap », les « violences faites aux femmes », « la charge mentale » ou encore « les femmes et le sport ». Investir l’espace public était pour le groupe, un premier acte politique qui associait l’esthétique, la couleur, les formes, les courbes pour créer du beau et agir, à sa manière, sur la question du sentiment d’insécurité.
Cette fresque urbaine féministe Acrobates arbore fièrement ses couleurs vives à l’une des entrées du centre-ville verviétois depuis quelques mois. Une réelle fierté pour toutes ces femmes qui en sont à l’origine, et qui voient enfin les combats féministes illustrés dans une œuvre monumentale et qui devient un magnifique outil de sensibilisation citoyenne au travers duquel chaque femme peut se reconnaitre et s’identifier. Un bel exemple de la visibilité retrouvée des femmes dans l’espace public, une belle réappropriation des lieux communs, et aussi une manière concrète de rendre hommage aux femmes artistes, elles aussi souvent invisibilisées dans le secteur artistique d’aujourd’hui. Un projet qui a rendu du pouvoir aux femmes, le pouvoir de dire, de se dire, de se rencontrer et de s’unir.
- Les violences faites aux femmes sont multiples. Elles restent le plus souvent peu visibles, voire banalisées. Et surtout, elles se concentrent majoritairement dans les espaces privés comme en témoignent les lieux des féminicides et les dépôts de plaintes pour violences conjugales et intrafamiliales.
Site du projet : www.pac-g.be/fresque-verviers