Des murs pour crier, des espaces à occuper 

 Mars 2022 : réalisation de la fresque féministe "Acrobates" à VerviersPhoto : Pac Verviers

New-York, Bruxelles, Lima, Liège, Paris, Tokyo… par­tout les femmes uti­lisent l’espace public pour s’indigner, réagir, se faire entendre. Col­lage, ras­sem­ble­ment, danse, per­for­mance, occu­pa­tion… des formes diverses qui per­mettent, sans qu’on ne doive nous l’autoriser, d’occuper le terrain.

Le 22 avril 2022 à Ver­viers, la fresque fémi­niste Acro­bates était inau­gu­rée en pré­sence des citoyen·nes, de l’associatif, de de la ministre wal­lonne Chris­tie Mor­reale et de la secré­taire d’Etat, Sarah Schlitz. Cette fresque est le résul­tat d’un dis­po­si­tif d’éducation per­ma­nente mis en place par les régio­nales ver­vié­toises de Pré­sence et Action Cultu­relles et des Femmes Pré­voyantes Socia­listes. Pen­dant plu­sieurs semaines, des citoyennes ont eu l’occasion d’interroger leur espace urbain et de ten­ter de com­prendre le sen­ti­ment d’insécurité en ville lar­ge­ment par­ta­gé au sein du groupe et par de nom­breuses femmes. Balades explo­ra­toires, dis­cus­sions, ani­ma­tions, ren­contres qui ont per­mis d’identifier les freins, d’analyser le sys­tème dans lequel elles se trouvent et de pou­voir iden­ti­fier les leviers d’action. Le col­lec­tif décide alors d’investir les murs de la ville. Une ren­contre avec le col­lec­tif fémi­niste « 7e Gauche » per­met au groupe, à tra­vers l’art urbain, dont elles appré­cient par­ti­cu­liè­re­ment la fonc­tion reven­di­ca­trice mais aus­si ras­su­rante de par ses volumes et cou­leurs au sein de la ville, de faire pas­ser leur mes­sage et de rendre compte des luttes, des com­bats et des défis à mener pour une ville plus inclu­sive, pour un espace plus sécurisé.

L’exemple de Ver­viers n’est pas iso­lé… Par­tout, les femmes se ques­tionnent et reven­diquent plus d’égalité dans l’espace public. La ville reste un espace pen­sé par et pour les hommes, occu­pé lar­ge­ment par ceux-ci, relé­guant l’autre moi­tié de la popu­la­tion à l’espace domes­tique, à la sphère privée.

Quel rapport culturel à l’espace public ?

Depuis toutes petites, les filles sont invi­tées voire som­mées de res­ter chez elles ; parce qu’elles doivent aider à la ges­tion du ménage et/ou de la famille, parce que ce n’est pas leur place, parce que ce serait dépla­cé, parce que dehors c’est dan­ge­reux1. Oubliant très cer­tai­ne­ment qu’au lieu de res­treindre les liber­tés de toutes, il s’a­gi­rait plu­tôt de condam­ner les vio­lences faites aux femmes et de com­battre les normes et injonc­tions qui leur sont impo­sées dehors… et dedans ! Encore aujourd’hui, les femmes doivent mettre en place toute une série de stra­té­gies pour ne pas vivre/subir des vio­lences (choix des habits, de l’itinéraire, des heures de sor­ties, stra­té­gies d’évitements, etc.). Et si par mal­heur il leur arrive encore d’être har­ce­lées, il est encore deman­dé aux femmes d’assumer cette insé­cu­ri­té. Leur auto­no­mie est encore une fois remise en ques­tion par les ins­ti­tu­tions (police, jus­tice) et par l’entourage, obli­geant d’ailleurs cer­taines femmes à se taire, de peur de se voir pri­ver un peu plus… de liberté.

À nous la rue !

Vous com­pren­drez qu’à par­tir de ces constats, elles sont pas mal à avoir envie de tout faire cra­mer ! Heu­reu­se­ment, les col­lec­tives orga­ni­sées ne manquent pas de créa­ti­vi­té. Depuis des siècles, les femmes se réap­pro­prient l’espace public à tra­vers l’expression cultu­relle et artis­tique, mais aus­si à tra­vers l’occupation et la mobilisation.

Le 8 mars, en Bel­gique (et dans beau­coup d’autres pays), les femmes sortent par mil­lier dans les rues pour rap­pe­ler à quel point les inéga­li­tés de genre sont encore pré­sentes dans nos socié­tés. Un moment de lutte, de rage, de soro­ri­té et de ras­sem­ble­ment… un temps pour se retrou­ver, se ren­for­cer et retrou­ver de l’énergie pour conti­nuer à lut­ter chaque jour de l’année. C’est aus­si un moyen d’occuper l’espace en masse et de visi­bi­li­ser nos com­bats et notre force de réunion par dif­fé­rents moyens de com­mu­ni­ca­tion. Et aus­si via la presse, de plus en plus pré­sente lors de ces manifestations.

Rou­ler sur le patriar­cat ? C’est le mot d’ordre de plu­sieurs col­lec­tives cyclo créées ces der­nières années : on pense aux Déchainé·es à Bruxelles, à la Pira­te­rie à Liège… Des groupes de femmes qui orga­nisent des ate­liers méca­niques en mixi­té choi­sie pour s’autonomiser et occu­per, de manière mas­sive, la ville, la rue et célé­brer le vélo, sym­bole de lutte et de liber­té pour de nom­breuses femmes d’hier et d’aujourd’hui.

Sur les murs, elles sont aus­si nom­breuses à uti­li­ser les mots pour balan­cer leurs mes­sages à l’heure du réveil des citadin·es : « Pas d’violeurs dans nos quartiers/pas d’quartier pour les vio­leurs ! », « Femmes boniches, femmes potiches, femmes affiches, on en a plein les miches ! », « À quand la triple jour­née ? Je m’ennuie ! », « Les sor­cières peuvent aus­si gué­rir les maux d’ordre ! »… En fonc­tion de l’actualité, ou non, elles sortent armées d’un pot de colle à tapis­ser et d’un pin­ceau et choi­sissent des endroits stra­té­giques et misent sur la visi­bi­li­té de leurs mes­sages. Rien d’autorisé, de la déso­béis­sance civile face à l’immobilisme institutionnel.

La fresque, indi­vi­duelle, col­lec­tive, par­ti­ci­pa­tive, reste elle aus­si un bon moyen d’interpeller à tra­vers l’illustration, le gra­phisme… de manière plus ou moins durable dans la ville. Elle est sou­vent le fruit d’une négo­cia­tion avec les auto­ri­tés publiques et per­met de faire par­ti­ci­per toute une cha­cune en pre­nant le temps (et en jour­née). Ces fresques per­mettent aus­si sou­vent la ren­contre de groupes de citoyen·nes et d’artistes, mélan­geant leurs visions, expé­riences et réflexions.

Et nous ne pou­vons pas énu­mé­rer toutes ces varia­tions de pra­tiques sans par­ler du corps et de la danse, nous avons tou·tes en tête la cho­ré­gra­phie fémi­niste chi­lienne « Le vio­leur, c’est toi ! » reprises par des dizaines de groupes à tra­vers le monde. On pour­rait aus­si par­ler du col­lec­tif « Yes, We Dance » à Char­le­roi qui chaque année, dans le cou­rant du mois de mars, orga­nise un espace de danse libre en non-mixi­té sur la plus grande place de Char­le­roi, pour être, pour oser, pour occu­per… tout simplement.

Espace public féministe

L’espace public est un espace de luttes et de reven­di­ca­tions fémi­nistes puis­sant et à la por­tée de toutes ! Car oui, encore aujourd’hui, les femmes y sont le plus sou­vent absentes et/ou invi­si­bi­li­sées. C’est en se réap­pro­priant cet espace, et en l’utilisant lar­ge­ment, notam­ment à tra­vers l’art urbain, qu’elles vont réin­ven­ter les luttes et les com­bats d’hier et d’aujourd’hui et réus­sir à les visi­bi­li­ser aux yeux du plus grand nombre. Une fresque urbaine « fémi­niste » aujourd’hui, une sculp­ture d’une femme artiste demain… Voi­là qui per­met­tra de rendre aux femmes leur place dans tous ces espaces com­muns. Leur juste place. Parce que l’espace public est plus large que nos rues, nos bancs, nos squares mais c’est bien de l’ensemble de la sphère publique dont il s’agit : nos ins­ti­tu­tions, nos lieux de for­ma­tions, nos espaces com­muns… Car plus qu’un par­tage équi­table de notre pré­sence en rue à toutes heures de la jour­née et de la nuit, il faut par­ler de par­tage de pouvoir !

Et l’exemple ver­vié­tois illustre bien la pré­oc­cu­pa­tion des femmes à faire entendre leur voix, à faire connaitre leurs com­bats poli­tiques et le besoin de retrou­ver du pou­voir de vivre, d’agir. Au cœur de leur fresque, des pré­oc­cu­pa­tions autour des sujets comme le mou­ve­ment « No bra », « Me too », la « soro­ri­té », les « femmes et le han­di­cap », les « vio­lences faites aux femmes », « la charge men­tale » ou encore « les femmes et le sport ». Inves­tir l’espace public était pour le groupe, un pre­mier acte poli­tique qui asso­ciait l’esthétique, la cou­leur, les formes, les courbes pour créer du beau et agir, à sa manière, sur la ques­tion du sen­ti­ment d’insécurité.

Cette fresque urbaine fémi­niste Acro­bates arbore fiè­re­ment ses cou­leurs vives à l’une des entrées du centre-ville ver­vié­tois depuis quelques mois. Une réelle fier­té pour toutes ces femmes qui en sont à l’origine, et qui voient enfin les com­bats fémi­nistes illus­trés dans une œuvre monu­men­tale et qui devient un magni­fique outil de sen­si­bi­li­sa­tion citoyenne au tra­vers duquel chaque femme peut se recon­naitre et s’identifier. Un bel exemple de la visi­bi­li­té retrou­vée des femmes dans l’espace public, une belle réap­pro­pria­tion des lieux com­muns, et aus­si une manière concrète de rendre hom­mage aux femmes artistes, elles aus­si sou­vent invi­si­bi­li­sées dans le sec­teur artis­tique d’aujourd’hui. Un pro­jet qui a ren­du du pou­voir aux femmes, le pou­voir de dire, de se dire, de se ren­con­trer et de s’unir.

  1. Les vio­lences faites aux femmes sont mul­tiples. Elles res­tent le plus sou­vent peu visibles, voire bana­li­sées. Et sur­tout, elles se concentrent majo­ri­tai­re­ment dans les espaces pri­vés comme en témoignent les lieux des fémi­ni­cides et les dépôts de plaintes pour vio­lences conju­gales et intrafamiliales.

Site du projet : www.pac-g.be/fresque-verviers

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

code