Franck Lepage

Alterministre gesticulant

Photo : Amélie Noël

L’altergouvernement, c’est un col­lec­tif d’intellectuels pro­gres­sistes réunis dans un « gou­ver­ne­ment idéal » à l’initiative d’un pro­jet édi­to­rial. Frank Lepage a accep­té d’en être le ministre de la Culture à une condi­tion : qu’il n’y ait pas de Minis­tère de la Culture en tant que tel, mais une admi­nis­tra­tion inter­mi­nis­té­rielle qui pose cultu­rel­le­ment la ques­tion et l’action des minis­tères de l’agriculture, de l’enseignement, de la jus­tice etc. La Culture elle même ne se retrou­vant plus que comme une sous-direc­tion des loi­sirs… inter­view de cet alter­mi­nistre corrosif

Rappelez-nous les premières mesures que vous auriez prises dans le cadre de ce ministère ?

La dénon­cia­tion de l’art contem­po­rain et de la tra­duc­tion devant la cour pénale de ses pro­ta­go­nistes, avec demande sur rem­bour­se­ment de ces 10 der­nières années de toutes les sommes don­nées aux artistes, à des galeries.

Pourquoi ?

Parce que c’est une escro­que­rie pla­né­taire, un mar­ché obs­cène, qui per­met de défis­ca­li­ser des sommes d’argent consi­dé­rables et de blan­chir de l’argent. C’est une escro­que­rie d’État. La der­nière ten­dance de l’art contem­po­rain est à la déma­té­ria­li­sa­tion des œuvres, il n’y a plus qu’un concept sans œuvre. Par exemple, il y a cet artiste fran­çais qui a été ache­té très cher par l’État — donc avec de l’argent public. Son œuvre s’appelle « Help Me to Become a US citi­zen ! » [de Mathieu Lau­rette NDLR]. Ce sont toutes ses démarches pour obte­nir un pas­se­port amé­ri­cain, il a ven­du ça en tant qu’œuvre d’art contem­po­rain ! Une de mes pre­mières mesures serait de tra­duire cette per­sonne en cour de jus­tice et de lui deman­der le rem­bour­se­ment des sommes qui lui ont été ver­sées. C’est vous dire si je me suis fait des amis dans la pro­fes­sion artistique…

Une autre mesure ?

Je pro­po­sais donc de punir toutes les mani­pu­la­tions de lan­gage comme par exemple « crois­sance néga­tive ». Il faut arri­ver à empê­cher les mani­pu­la­tions du lan­gage, d’obliger à appe­ler un chat un chat. Une de mes direc­tions en tant que ministre aurait été une direc­tion du lan­gage. La culture c’est d’abord du lan­gage. Ain­si, appe­ler un plan de licen­cie­ment col­lec­tif un « plan de sau­ve­garde de l’emploi » aurait été pas­sible d’une très forte amende. Une de mes pre­mières mesures aurait été de for­cer le Par­ti socia­liste à chan­ger de nom. Ces gens-là ne sont pas pour le socia­lisme, c’est-à-dire pour la pro­prié­té col­lec­tive des moyens de pro­duc­tions. Gros­so modo, on ne peut pas pos­sé­der à titre pri­vé une usine et les ouvriers qui sont dedans. Être socia­liste, c’est de s’opposer à cela. Or, Fran­çois Hol­lande n’a pas pro­po­sé de fer­mer la Bourse, les socia­listes actuels sont pour la bourse, ils ne sont pas socia­listes. Donc, le pro­blème qu’on a à gauche c’est que pré­ci­sé­ment les gens qui défendent le capi­ta­lisme s’appellent des socia­listes : ça rend fou ce truc-là ! Une façon de cla­ri­fier les pro­blèmes dans l’esprit des gens serait de com­men­cer par inter­dire au PS de por­ter ce titre. Ils peuvent s’appeler autre­ment : les capi­ta­listes réfor­ma­teurs, les sociaux-libéraux…

Au niveau du financement de la culture, des subventions ? On sait que vous êtes assez critique du financement par projet, mais alors, comment ça se passerait ?

On revien­drait à la sub­ven­tion sans condi­tion. C’est-à-dire que sur la base de la qua­li­fi­ca­tion d’une asso­cia­tion, de la recon­nais­sance de son tra­vail, d’admettre qu’elle a des choses inté­res­santes à faire, lui serait attri­buée une sub­ven­tion abso­lu­ment sans aucune condi­tion. Avec, comme aupa­ra­vant, un contrôle a pos­te­rio­ri, pour véri­fier que cette somme n’est pas uti­li­sée frauduleusement.

Cette sub­ven­tion sans condi­tion, c’est fon­da­men­tal, ce n’est pas négociable.

Nous, au Pavé, on n’acceptera des sub­ven­tions que le jour où ils nous remet­tront des sub­ven­tions de fonc­tion­ne­ment sans aucune condi­tion, sur base de la confiance, du fait que nous avons des choses intel­li­gentes à faire. Alors, certes, fonc­tion­ner sans sub­ven­tions nous met une contrainte d’équilibre com­mer­cial impor­tante et un sur­tra­vail, mais ça nous rend aus­si beau­coup plus libre. La sub­ven­tion, qui était l’instrument de liber­té, est deve­nue l’instrument de l’aliénation. C’est pré­ci­sé­ment le fait de pou­voir faire ce que l’on veut qui fait que l’on rede­vient intelligent.

Et au sujet du statut des intermittents du spectacle ?

C’est un sta­tut qui devrait être appli­qué à la tota­li­té des sala­riés. C’est un sta­tut qui est extrê­me­ment luxueux dans la mesure où il recon­nait qu’un tra­vailleur a besoin de pen­ser à son tra­vail et d’être finan­cé pour cela. En revanche, la dimen­sion effrayante de ce sta­tut, c’est qu’il faut cou­rir les cachets en per­ma­nence : c’est donc à la fois mer­veilleux et insé­cu­ri­sant. Il fau­drait cor­ri­ger cela.

En tout cas, on peut s’inspirer de ce sta­tut d’intermittent pour accor­der à des tra­vailleurs, quel que soit leur tra­vail, le droit d’être finan­cé pour pen­ser. Il n’y a pas de rai­son qu’il n’y ait que les artistes qui béné­fi­cient de cela : pour­quoi un tra­vailleur social n’aurait-il pas le droit de s’arrêter une semaine pour pen­ser à son tra­vail ? Donc c’est un sta­tut qui devrait être étendu.

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