Guerre en Ukraine

Plongée au cœur d’un sac de nœuds

Illustration : Fanny Monier

L’irruption d’une guerre, jusqu’ici « clas­sique », en Europe et dans un 21e siècle bien enta­mé, a d’abord inter­lo­qué. Puis, l’on a vite recon­nu notre monde tel qu’il va : le flot d’informations que char­rient aus­si bien les jour­na­listes que les blogs, les tweets, les vidéos d’amateurs, les confé­rences de presse, et l’on en passe, empêche de prendre quelque recul afin d’embrasser la situa­tion pour ten­ter d’y réflé­chir. Dans ce contexte pour le moins bru­meux et empli de para­doxes, on attend de la gauche (l’on consi­dère aus­si bien la social-démo­cra­tie que les ten­dances plus radi­cales) qu’elle pro­duise des ana­lyses éclai­rantes. Or, s’exclame Serge Hali­mi dans le Monde Diplo­ma­tique, « dans cette affaire, l’inexistence de la gauche est sidé­rante. Elle ne pèse pas, se tait ou dit n’importe quoi. ». En va-t-il de même en Bel­gique francophone ?

Pour en savoir plus, nous avons pro­cé­dé à la lec­ture et à la syn­thèse des publi­ca­tions éma­nant des sites offi­ciels d’Écolo, du PS, du PTB et de la Gauche anti­ca­pi­ta­liste. Nous ins­cri­vant dans la logique de Serge Hali­mi qui n’évoque que « la gauche », nous ne réfé­ren­ce­rons pas les cita­tions éven­tuelles d’autant qu’au sein même des par­tis diverses posi­tions peuvent coexis­ter. Nous relè­ve­rons tou­te­fois que glo­ba­le­ment la gauche radi­cale est plus pro­lixe et polé­mique que la social-démocratie.

Cette recen­sion est aus­si liée au fait que nous avons vou­lu faire un sort au mani­chéisme que dénonce par exemple Pierre Rim­bert dans le Monde Diplo­ma­tique qui sou­ligne de façon fort per­ti­nente que « lorsque la Rus­sie enva­hit l’Ukraine le 24 février der­nier, les diri­geants occi­den­taux font un choix déter­mi­nant. Plu­tôt que de réagir à une inva­sion mili­taire contraire à la Charte des Nations unies, (…) ils théâ­tra­lisent un conflit entre deux civi­li­sa­tions irré­duc­ti­ble­ment oppo­sées. (…) Eux contre nous. Les brutes contre les bons ».

Une lecture critique des discours de la gauche

Les contri­bu­tions dis­po­nibles sur les sites offi­ciels des par­tis de gauche évoquent divers aspects com­muns. Les­quels sont cepen­dant lar­ge­ment intri­qués, for­mant en quelque sorte un « sac de nœuds » qu’il faut bien ten­ter de démê­ler si l’on en veut par­ler de façon rela­ti­ve­ment claire. Nous avons scin­dé notre rele­vé en deux par­ties : la pre­mière est consa­crée à ce qui ne regarde pas direc­te­ment la guerre (enten­due dans un sens géné­rique), la seconde est cen­trée sur les aspects plus spé­ci­fi­que­ment liés au conflit inter­na­tio­nal armé.

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES

  • Le droit international

Sur ce point, on ne peut que consta­ter une (évi­dente) una­ni­mi­té des par­tis. Aucune posi­tion à gauche ne nie que l’invasion mili­taire russe soit un acte qui viole le droit inter­na­tio­nal et en par­ti­cu­lier la Charte des Nations-Unies.

  • La diplo­ma­tie

Les par­tis s’accordent éga­le­ment sur la néces­si­té de la négo­cia­tion. Seul l’acteur à la manœuvre varie : il doit s’agir de l’Union euro­péenne pour cer­tains, de l’OSCE (Orga­ni­sa­tion pour la sécu­ri­té et la coopé­ra­tion en Europe) pour d’autres.

  • Les poli­tiques migratoires

Si l’on se réjouit géné­ra­le­ment de la vague de soli­da­ri­té qui a tra­ver­sé l’Europe et a per­mis un accueil cor­rect des réfugié.es d’Ukraine, cer­tains à gauche s’appuient sur cette expé­rience pour reven­di­quer une autre poli­tique migra­toire à l’échelle de l’UE et, en Bel­gique, pour que les faci­li­tés offertes aux Ukrainien·nes soient éten­dues à tout·es les migrant·es, quel que soit leur pays d’origine. Ce qui implique une révi­sion com­plète des poli­tiques en matière d’accueil et d’infrastructures.

  • Vla­di­mir Poutine

Assez una­ni­me­ment, le pré­sident russe fait l’objet de très sévères cri­tiques ad homi­nem, dans le registre du tyran, de l’autocrate, du cal­cu­la­teur cynique et du cri­mi­nel de guerre.

  • La ques­tion de l’extrême-droite en Ukraine et en Russie

Sur l’extrême-droite ukrai­nienne, et notam­ment sur le degré de « nazi­fi­ca­tion » du pays, deux dis­cours s’opposent nettement.

Le pre­mier sou­ligne l’existence de milices néo­na­zies (comme le bataillon Azov) qui com­battent aux côtés de l’ar­mée ukrai­nienne, jetant ain­si le trouble sur les posi­tions idéo­lo­giques du gou­ver­ne­ment en place. Ces milices pré­sentent aus­si un vrai risque notam­ment en cas d’accord de paix puisque l’armement dont elles dis­posent pour­rait ser­vir à désta­bi­li­ser le pays.

L’autre posi­tion affirme, en revanche que, puisque depuis les élec­tions légis­la­tives de 2019, les orga­ni­sa­tions fas­cistes ukrai­niennes ne comptent ensemble qu’un dépu­té sur 450, la « déna­zi­fi­ca­tion » de l’Ukraine n’est qu’une reprise de la pro­pa­gande russe cher­chant à jus­ti­fier son invasion.

Une rare contri­bu­tion s’intéresse au fait que Pou­tine, fort admi­ré par l’extrême-droite euro­péenne, soit « entou­ré par une pléiade de par­tis, groupes et poli­ti­ciens fas­cistes, dont le LDPR du natio­na­liste violent Jiri­novs­ki. » L’idéologie de toute cette mou­vance repose, explique-t-on, sur une stra­té­gie « eur­asiste », celle « d’une Rus­sie-Eur­asie dont la pièce mai­tresse serait pré­ci­sé­ment l’Ukraine rat­ta­chée à la Rus­sie. »

  • Les accords de Minsk

Le pre­mier accord de Minsk a été signé le 5 sep­tembre 2014 dans la capi­tale bié­lo­russe par les repré­sen­tants de l’U­kraine, de la Rus­sie et des Répu­bliques popu­laires de Donetsk et de Lou­gansk, enti­tés séces­sion­nistes de l’U­kraine, pour mettre fin à la guerre du Don­bass, qui avait écla­té en avril 2014 en Ukraine orien­tale. Il a dû être revu en rai­son de son inca­pa­ci­té à mettre fin aux hos­ti­li­tés. Quoi qu’il en soit, ces textes suc­ces­sifs sont un autre sujet de dis­corde à gauche.

Pour cer­tains, l’Ukraine n’a jamais res­pec­té la condi­tion exi­geant qu’elle pro­cède à une réforme consti­tu­tion­nelle qui aurait don­né aux régions séces­sion­nistes de Donetsk et de Lou­gansk, à majo­ri­té rus­so­phone, un sta­tut spé­cial qui res­pecte leur spé­ci­fi­ci­té lin­guis­tique. Le non-res­pect de ces accords par l’Ukraine serait la rai­son de son inva­sion par la Russie.

D’autres pré­sentent une lec­ture du res­pect des accords de Minsk radi­ca­le­ment dif­fé­rente. D’une part, ce sont les menées russes (annexion de la Cri­mée et contrôle infor­mel d’une par­tie du Don­bass) qui ont contraint les accords de Minsk. De plus, la Rus­sie a constam­ment vio­lé les exi­gences sécu­ri­taires défi­nies par les trai­tés. Notam­ment en restrei­gnant de plus en plus la marge de manœuvre de l’OSCE et sa pos­si­bi­li­té de contrô­ler les fron­tières russo-ukrainiennes.

La clause 10, pour­tant essen­tielle, des accords de Minsk-II, qui exi­geait « le retrait de toutes for­ma­tions armées étran­gères, d’équipements mili­taires, aus­si bien que des mer­ce­naires du ter­ri­toire ukrai­nien », n’a jamais ain­si été mise en œuvre par la Rus­sie. Enfin, cet argu­men­taire, enten­dant bri­ser un lieu com­mun, met en avant l’idée que la Répu­blique popu­laire de Donetsk et celle de Lou­gansk ne sont pas le résul­tat d’une volon­té popu­laire et que leurs diri­geants sont tota­le­ment inféo­dés à la Rus­sie.

LOGIQUES DE GUERRE

  • Les sanc­tions

La ques­tion des sanc­tions prises à l’encontre de la Rus­sie est une nou­velle source de divi­sion. D’une part, cer­tains affirment qu’il faut conti­nuer à mettre en œuvre de lourdes sanc­tions contre les oli­garques proches du pou­voir, à œuvrer pour exclure la Rus­sie et la Bié­lo­rus­sie des sys­tèmes ban­caires et des échanges inter­na­tio­naux et qu’il faut cou­per les robi­nets d’énergies russes qui irriguent l’Europe. Cepen­dant, ces sanc­tions ne doivent pas s’inscrire dans la durée, en rai­son du fait que le peuple russe fini­rait par en sup­por­ter seul les frais.

D’autres avancent que les sanc­tions favo­risent les spé­cu­la­teurs et doutent de leur effi­ca­ci­té, d’une part. Et de l’autre, ils mettent l’accent sur le fait que les sanc­tions et les réponses à ces sanc­tions peuvent avoir des consé­quences catas­tro­phiques sur le plan éco­no­mique pour le monde entier et pour les peuples euro­péens en particulier.

Le seul point d’accord à gauche porte sur les conclu­sions qu’il faut tirer de la mise en évi­dence de la dépen­dance à la Rus­sie en matière d’énergies fos­siles en appe­lant à un déve­lop­pe­ment mas­sif des éner­gies renou­ve­lables (le cas échéant, avec un dépla­ce­ment des bud­gets mili­taires vers la décarbonation).

  • Four­nir des armes ou pas ?

La ques­tion de la four­ni­ture d’armes divise éga­le­ment la gauche. Une gauche, arguant du paci­fisme, s’oppose à une stra­té­gie d’« esca­lade », et donc à la livrai­son d’armes à toutes les par­ties, en ce qu’elle risque de mener à une confron­ta­tion plus glo­bale et com­porte des risques d’utilisation d’armes nucléaires. Elle s’oppose à une autre concep­tion, celle qui met en avant le droit des habitant.es à résis­ter à l’invasion de leur pays. C’est pour­quoi cette par­tie de la gauche se pro­nonce en faveur de l’armement des Ukrainien·nes (« même par l’Otan »), d’autant qu’existe une demande popu­laire pour ce faire. Ce qui n’implique pas pour autant le moindre sou­tien à une remi­li­ta­ri­sa­tion générale.

Enfin, la ques­tion du désar­me­ment nucléaire géné­ral (face au dan­ger de des­truc­tion totale du monde) est assez consen­suelle à gauche.

  • Les négo­cia­tions

Cer­tains appellent à un ces­sez-le-feu immé­diat, au retrait des troupes russes et à une négo­cia­tion sous l’égide de l’OSCE, qui devrait par­ve­nir à une démi­li­ta­ri­sa­tion et à l’établissement de garan­ties de sécu­ri­té mutuelles. Cette posi­tion s’appuie sur la convic­tion que ce sont les États-Unis qui s’opposeraient aux négo­cia­tions (et même les inter­di­raient à l’Ukraine). Ce qui conduit à prô­ner un ces­sez-le-feu mais sans que les condi­tions en soient fort claires et à sous-entendre que l’Ukraine devrait se plier à un cer­tain nombre de pré­oc­cu­pa­tions russes jugées « raisonnables ».

D’autres évoquent cette ques­tion en rap­pe­lant que c’est aux « Ukrainien·nes de se pro­non­cer quant à leur ave­nir » et de déci­der quand négo­cier, sachant que cet argu­men­taire s’appuie sur la convic­tion que les Russes ne seraient pas inté­res­sés par des discussions.

L’après-guerre est ima­gi­née sur base d’« une dis­cus­sion avec la Rus­sie sur une nou­velle archi­tec­ture de sécu­ri­té par­ta­gée en Europe » tan­dis que, pour d’autres, ce pro­ces­sus n’est pas pos­sible avec le régime russe actuel.

  • L’Otan

Une pre­mière posi­tion sou­tient que c’est l’Otan qui a usé de la stra­té­gie de la ten­sion avec la Rus­sie, notam­ment dans la mesure où, après les révo­lu­tions de cou­leur sou­te­nues par l’Oc­ci­dent et visant un chan­ge­ment de régime, les pays voi­sins de la Rus­sie ont rejoint l’O­tan l’un après l’autre.

Pour d’autres, ce scé­na­rio ima­gi­nant un encer­cle­ment stra­té­gique de la Rus­sie comme cause de la guerre est entiè­re­ment fic­tif et n’est étayé par aucune preuve. Il ne sert qu’à sou­te­nir les pré­oc­cu­pa­tions dites « rai­son­nables » de la Russie.

UN « SAC DÉMÊLÉ » ?

1- Nous avons tâché de sélec­tion­ner les ana­lyses de la gauche belge fran­co­phone les plus repré­sen­ta­tives pos­sible, tout en les clas­sant par « thèmes » pour ten­ter de mettre en exergue les posi­tions en concur­rence. Bien qu’il soit assez clair que ce décou­page est rela­ti­ve­ment arti­fi­ciel, il per­met néan­moins une forme d’énumération qui tend, espé­rons-nous, à mon­trer en quoi la guerre d’Ukraine brasse tant de don­nées que la com­plexi­té qui en découle devrait conduire à la plus grande pru­dence en matière de prises de position.

2- Si l’on veut mesu­rer la valeur du pro­pos de Serge Hali­mi, on consta­te­ra qu’il est quelque peu outran­cier. Certes, tenue par sa par­ti­ci­pa­tion aux ins­tances inter­na­tio­nales, la gauche social-démo­crate au pou­voir est contrainte à une cer­taine dis­cré­tion et à tenir des pro­pos géné­raux assez consen­suels. De plus, comme les gou­ver­ne­ments belges sont le fruit de com­pro­mis par­fois fort fra­giles, les pro­pos poten­tiel­le­ment dis­so­nants sont tus.

En revanche, la gauche radi­cale est libre de s’exprimer tant qu’elle peut et ne s’en prive pas. Ce qui est en somme posi­tif puisque l’on peut ain­si com­men­cer à pro­blé­ma­ti­ser le conflit rus­so-ukrai­nien. D’une part, parce que sont abor­dés de nom­breux aspects, par­fois fort peu trai­tés ailleurs, d’autre part, parce que s’opposent, fort net­te­ment, des visions du monde.

3- Ain­si, il appa­rait tout d’abord que le dis­cours qui pré­va­lait durant la Guerre froide a gar­dé de beaux restes. Une par­tie de la gauche radi­cale n’a jamais ces­sé de voir l’Otan comme le bras armé de l’impérialisme amé­ri­cain, prin­ci­pa­le­ment diri­gé contre la Rus­sie… à pré­sent que l’URSS a dis­pa­ru. Dans cette optique, la guerre dont est vic­time l’Ukraine trou­ve­rait une expli­ca­tion dans un encer­cle­ment par l’Otan que la Rus­sie cher­che­rait légi­ti­me­ment, sur le prin­cipe au moins, à bri­ser. Cette situa­tion serait le fruit des révo­lu­tions de cou­leur (la révo­lu­tion des Roses en Géor­gie, orange en Ukraine, des Tulipes au Kir­ghi­zis­tan, etc.) sou­te­nues (for­cé­ment) par l’Occident et qui ont conduit à l’adhésion de nombre de pays à l’Otan.

Cette ver­sion connait aus­si dans le chef de ses tenants une for­mu­la­tion éco­no­mique. Dans la mesure où la Rus­sie n’exerce plus l’influence qu’avait l’URSS en Europe cen­trale et orien­tale et que ce sont l’Allemagne, sur le plan éco­no­mique, et les USA, sur le plan mili­taire, qui prennent la place lais­sée vacante, l’affrontement entre les deux sys­tèmes capi­ta­listes (russe et occi­den­tal), par défi­ni­tion tous deux à la recherche de la crois­sance, était assez inévi­table. Et c’est l’Ukraine qui dès 2014 en a fait les frais.

C’est une convic­tion… Dont on ne peut s’empêcher de s’étonner au moins pour deux rai­sons prin­ci­pales. La pre­mière vient de ce qu’il semble que le carac­tère mani­chéen et obso­lète de cette lec­ture héri­tée d’une autre époque échappe quelque peu à ses zéla­teurs. La seconde tient au sort à venir de l’Ukraine, qui n’apparait que comme la regret­table vic­time col­la­té­rale d’enjeux qui la dépassent. Ce qui ne consti­tue néan­moins pas une rai­son suf­fi­sante de l’aider à se défendre – d’autant que nul ne sait quel régime pour­rait ensuite s’y éta­blir (c’est là qu’est agi­té le spectre d’une extrême-droite ukrai­nienne armée). D’où encore le flou qui entoure les appels à un ces­sez-le-feu immé­diat en par­ti­cu­lier sur la ques­tion des fron­tières et sur le sort de la Cri­mée, etc. : l’on ne sou­cie guère des condi­tions préa­lables à une négo­cia­tion éven­tuelle, condi­tions pour­tant dont dépend le sort, consi­dé­ré semble-t-il comme secon­daire, de la « vic­time collatérale ».

4- Une seconde lec­ture s’appuie sur la convic­tion que c’est aux Ukrainien·nes qu’il revient de se pro­non­cer quant à leur ave­nir et qu’en consé­quence il y va, dans cette affaire, du droit à la résis­tance comme acte fon­da­men­tal de l’autodéfense des opprimé·es. Ce qui jus­ti­fie les livrai­sons d’armes. Et le fait, tout en sou­te­nant les sec­teurs de gauche, de ne pas se mêler direc­te­ment de la future situa­tion de l’Ukraine libé­rée, sans en nier pour autant les pro­blèmes poten­tiels. Mais le prin­cipe de l’autodétermination et de la liber­té prime sur tout.

Il est fort symp­to­ma­tique que cette posi­tion se sou­cie assez peu de la per­sonne de Vla­di­mir Pou­tine, pas plus du reste que des ana­lyses oppo­sant l’Occident impé­ria­liste à la Rus­sie. Le dis­cours, sans nier les pro­blé­ma­tiques impé­ria­listes, se centre essen­tiel­le­ment sur la situa­tion inté­rieure russe. Ain­si, le socio­logue Yau­he­ni Kryz­ha­nous­ki sou­ligne avec d’autres ana­lystes l’angle mort des ana­lyses pré­cé­dentes c’est-à-dire l’ensemble des rai­sons de poli­tique inté­rieure qui ont conduit le régime de Vla­di­mir Pou­tine à se lan­cer dans son « opé­ra­tion spé­ciale » en Ukraine : « On ne peut pas se satis­faire des rai­sons pro­cla­mées par les auto­ri­tés russes. Il n’y avait pas de menace mili­taire immé­diate pour la Rus­sie (…) Les jus­ti­fi­ca­tions par le com­bat contre le nazisme en Ukraine ou la réponse au soi-disant géno­cide contre la popu­la­tion rus­so­phone n’ont pas beau­coup de sens non plus. » Les rai­sons de la guerre sont sans doute plu­tôt à trou­ver dans la situa­tion où se trou­vait le régime russe en 2022. Vla­di­mir Pou­tine vieillis­sant voyait sa popu­la­ri­té s’effriter et la domi­na­tion des élites se trou­vait en dif­fi­cul­té. Pour s’assurer de gar­der le pou­voir (et la main­mise sur les pro­fits tirés du contrôle des matières pre­mières), la dési­gna­tion d’un enne­mi qu’il faut com­battre offre non seule­ment une jus­ti­fi­ca­tion mais la défense de la patrie – la guerre — per­met de légi­ti­mer le pou­voir en place en le pré­sen­tant comme pro­tec­teur. Autre avan­tage selon Yau­he­ni Kryz­ha­nous­ki, « le conflit mili­taire han­di­cape et mar­gi­na­lise la contes­ta­tion poli­tique interne (…), conso­lide le sys­tème éta­tique (…), et per­met de pour­suivre la répres­sion de l’opposition et la cen­sure des médias… ».

L’on aura ici don­né un aper­çu, non exhaus­tif, des dif­fé­rents dis­cours que peut tenir la gauche face à un conflit tel que celui qui ravage l’Ukraine et qui esquissent deux lec­tures fort dif­fé­rentes de cette guerre, dont dépendent la ques­tion et sur­tout les condi­tions de la sor­tie du conflit. Il ne nous revient pas de pro­po­ser une solu­tion ou une posi­tion juste : nous ne visons ici qu’à don­ner à réflé­chir sur base d’une mise en pers­pec­tive du désastre. Aux lec­teurs et lec­trices de se for­ger une conviction !

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