Entretien Benjamin Biard

« La stratégie de lissage du discours pour accéder au pouvoir fonctionne »

Illustration : Vanya Michel & Emmanuel Troestler

Alors que le radi­ca­lisme de l’extrême droite tend à deve­nir mains­tream, que les suc­cès élec­to­raux des par­tis qui portent son idéo­lo­gie se mul­ti­plient, et que les posi­tions semblent prises une à une par une machine de guerre élec­to­rale et cultu­relle bien hui­lée, il semble utile de reve­nir sur les évo­lu­tions et les per­ma­nences des for­ma­tions d’extrême-droite en Europe. Ren­contre avec Ben­ja­min Biard, cher­cheur au CRISP, doc­teur en science poli­tique et poli­to­logue spé­cia­li­sé sur ces questions.

Comment définir l’extrême-droite ?

L’extrême droite, c’est une idéo­lo­gie qui repose sur trois éléments :

Le pre­mier, c’est le constat d’une inéga­li­té de fait sur Terre : pour les for­ma­tions d’extrême-droite (ED), il existe une inéga­li­té entre des races, entre des eth­nies, entre des reli­gions, des civi­li­sa­tions, etc. et il fau­drait donc éta­blir une hié­rar­chie sociale sur cette base inéga­li­taire supposée.

Le deuxième, c’est le but vers lequel tendre pour palier ce constat : le natio­na­lisme, viser une socié­té repliée sur elle-même. Atten­tion, si tous les par­tis d’extrême droite sont effec­ti­ve­ment natio­na­listes, en revanche, tous les par­tis natio­na­listes ne sont pas des par­tis d’extrême droite.

Et le troi­sième, c’est la ques­tion des moyens de pas­ser de ce constat consi­dé­rée comme pro­blé­ma­tique vers cet objec­tif natio­na­liste : des moyens qui peuvent être anti­dé­mo­cra­tiques, anti­cons­ti­tu­tion­nels, par­fois vio­lents phy­si­que­ment (Aube Dorée, en Grèce par exemple) et qui le sont en tout cas au niveau sym­bo­lique à l’exemple des dis­tri­bu­tions de bibles dans les mos­quées menées par les mili­tants de Bri­tain First au Royaume-Uni.

Comment se reconfigurent leurs idéologies actuellement ?

Quatre vagues d’extrême droite se sont suc­cé­dé depuis 1945.

La pre­mière vague (1945 – 55), ce sont ces for­ma­tions d’ED héri­tières des mou­ve­ments fas­cistes actifs lors de la Seconde Guerre mon­diale. Elles sont exsangues et reje­tées. Elles ne par­viennent plus à se main­te­nir dans le pay­sage poli­tique d’Après-guerre où que ce soit en Europe.

La seconde vague (1955 – 1980) est carac­té­ri­sée par une oppo­si­tion à la moder­ni­sa­tion et à l’État-providence. L’exemple emblé­ma­tique, c’est le mou­ve­ment pou­ja­diste en France qui arrive à per­cer et obtient des élus à l’Assemblée natio­nale en 1956 sans tou­te­fois par­ve­nir à s’enraciner dans la société.

De 1980 à 2000, une troi­sième vague émerge avec des lea­ders pro­vo­ca­teurs comme Filip Dewin­ter ou Jean-Marie Le Pen. Les par­tis d’ED com­mencent à prendre racine sur un dis­cours de résis­tance à la migra­tion et deviennent des acteurs de pre­mier plan dans le pay­sage poli­tique : l’UDC en Suisse, le FN en France ou le Vlaams Blok en Belgique.

On se situe depuis le tout début des années 2000 dans une qua­trième vague qui consacre leur volon­té d’accéder au pou­voir. Com­pre­nant que la prise du pou­voir res­te­rait hors de por­tée avec un style dur et pro­vo­ca­teur, les par­tis d’ED ont lis­sé leurs dis­cours et leur com­mu­ni­ca­tion pour se mon­trer res­pec­tables, capables d’exercer le pou­voir et ain­si accé­der aux médias et élar­gir leur base élec­to­rale. Mais aus­si échap­per aux lois contre le racisme et obte­nir, ou conser­ver, des finan­ce­ments publics qui peuvent être sus­pen­dus s’ils ne res­pec­taient pas les valeurs fon­da­men­tales des droits humains. C’est typi­que­ment le FN de Marine Le Pen qui revoit son style en pro­fon­deur pour se légi­ti­mer. Mais on peut aus­si son­ger au Job­bik qui tente de per­cer le pla­fond de verre qui s’impose à lui.

Ce pro­ces­sus pour se rendre plus accep­table ne se déroule pas que sur la forme mais aus­si sur le fond. Les par­tis d’ED ne vont plus se can­ton­ner aux enjeux d’immigration ou de sécu­ri­té et s’élargir à toutes les thé­ma­tiques ima­gi­nables. Il s’agit de se dis­tan­cier de l’image du par­ti mono­thé­ma­tique inté­res­sé uni­que­ment par l’immigration ou la sécu­ri­té inté­rieure (ou, dans le cas du Vlaams Belang par l’indépendance de la Flandre), et de se mon­trer capable de prendre des déci­sions sur un ensemble de domaines qui inté­ressent les citoyens comme l’environnement, l’enseignement, le socioé­co­no­mique, le sociétal…

On a l’impression que les succès électoraux se multiplient, que l’ED impose les termes du débat public, que leur idéologie conquiert les esprits et occupent de plus en plus les espaces numériques mais aussi l’espace public. Est-ce qu’on peut dire que la tendance est à la conquête ?

Si on regarde les courbes, on observe effec­ti­ve­ment que l’ED prend du poids en terme élec­to­ral. Dans tous les pays où elle exis­tait déjà mais aus­si dans des pays où elle n’existait pour ain­si dire pas : l’Espagne avec Vox, l’Allemagne avec l’AFD qui a opé­ré une per­cée assez spec­ta­cu­laire encore der­niè­re­ment dans deux Län­der alle­mands de l’Est.

Et puis, au-delà du score, il y a l’accès au pou­voir qui est de plus en plus fré­quent. En Autriche à par­tir de 1999, l’ED intègre le gou­ver­ne­ment. Posi­tion qu’elle a retrou­vée récem­ment. En Ita­lie, on se sou­vient du pas­sage au pou­voir récent de Mat­teo Sal­vi­ni et de la Lega, par­ti qui y avait en fait déjà par­ti­ci­pé plu­sieurs fois. Aujourd’hui, la Bul­ga­rie est diri­gée par une coa­li­tion dont fait par­tie une for­ma­tion d’extrême droite. Dans des pays plus au nord de l’Europe éga­le­ment. En Espagne, le par­ti Vox sou­tient le gou­ver­ne­ment régio­nal andalou.

On le voit, l’extrême droite aujourd’hui a réus­si à gagner les plus hautes sphères poli­tiques, l’agenda poli­tique par­le­men­taire et gou­ver­ne­men­tal : ses idées extré­mistes sont de plus en plus inté­grées et ses thé­ma­tiques de pré­di­lec­tion sont des ques­tions qui sont réel­le­ment débat­tues. Ce qui montre que la stra­té­gie de cette qua­trième vague de lis­sage du dis­cours pour accé­der au pou­voir fonctionne.

Qu’est-ce que le Vlaamse Belang (VB) mobilise dans ses discours actuels en termes d’imaginaire, de représentation et d’esthétique ? Notamment pour pouvoir jouer sur la force, une valeur phare maintenant que l’esthétique militarisante est proscrite ?

Au sein du par­ti, il y a eu cette ten­sion très forte sur la ques­tion de savoir si le VB devait res­ter un par­ti d’opposition, un Zwep­par­tij (un par­ti fouet) qui met la pres­sion sur les autres et tente d’influencer la vie poli­tique de l’extérieur – c’est la ligne Dewin­ter – ou bien s’il devait ten­ter de par­ti­ci­per au pou­voir. C’est cette der­nière ligne qui l’emportera et une nou­velle géné­ra­tion – incar­née par le pré­sident Van Grie­cken — arrive alors aux com­mandes du par­ti. Ce qui entraine un chan­ge­ment d’image et un élar­gis­se­ment des thé­ma­tiques de cam­pagne en plus des tra­di­tion­nels natio­na­lisme, migra­tion, islam et insé­cu­ri­té.

Le dis­cours a évo­lué pour se cou­ler dans les évo­lu­tions socio­lo­giques même si on reste dans une idéo­lo­gie d’ED. Ain­si en est-il par exemple du dis­cours de défense des com­mu­nau­tés gays (au nom des liber­tés sexuelles, on doit com­battre l’islam) ou au nom de la liber­té des femmes (au sujet du voile). On le voit, ces ques­tions socié­tales peuvent ser­vir à mieux stig­ma­ti­ser les musul­mans du pays.

Autre point notable, un rajeu­nis­se­ment sen­sible. Van Gri­cken a 34 ans et s’est entou­ré d’une garde-rap­pro­chée de la même géné­ra­tion. Certes, Filip Dewin­ter ou Gerolf Anne­mans sont tou­jours là, mais ces anciens sont plus à l’arrière-plan. L’autre figure, impor­tante, Dries Van Lan­ghove, le lea­der de Schild & Vrien­den a quant à lui 26 ans. Ce renou­vel­le­ment géné­ra­tion­nel a per­mis de faire mouche au sein de l’électorat de pré­di­lec­tion de l’extrême-droite, à savoir : un élec­to­rat jeune, mas­cu­lin et peu diplô­mé. Phé­no­mène ren­for­cé par l’usage inten­sif des réseaux sociaux numé­riques par le VB puisque sur 800 000 € dépen­sés en Flandre au niveau des réseaux sociaux pour l’ensemble des par­tis poli­tiques, plus de la moi­tié a été mobi­li­sée par le seul VB. Ce qui est abso­lu­ment colos­sal pour un par­ti qui ne repré­sen­tait plus rien en termes d’élus et de finan­ce­ment public. Ils ont vrai­ment fait un pari sur l’importance des réseaux sociaux numé­riques pour viser l’électorat jeune.

Ce qui est frappant, c’est leurs costumes trois-pièces branchés qui leur donnent un air fringant et à la mode en plus de les repeindre en gendre idéal. Et en même temps, ils donnent une impression de force et joue sur un certain virilisme. Est-ce que ce sont des choses calculées ?

Il faut dis­tin­guer les cadres du par­ti comme Van Grie­ken ou le pré­sident des jeunes VB effec­ti­ve­ment très « gendre idéal » de la base mili­tante d’où émergent des figures comme Dries Van Lan­ghove qui incarne clai­re­ment ce côté viril et de démons­tra­tion de force. D’ailleurs Schild & Vrien­den a récem­ment orga­ni­sé des cours d’introduction à la boxe pour ses membres. Même s’ils n’atteignent pas les niveaux de groupe fran­çais comme Dis­si­dence fran­çaise, embryon de milice para­mi­li­taire qui se pré­pare phy­si­que­ment à « entrer en guerre avec l’envahisseur musul­man », il y a quand même une cer­taine forme de pré­pa­ra­tion à la confron­ta­tion vio­lente au sein du VB ou dans sa nébu­leuse, notam­ment à tra­vers les acti­vi­tés esti­vales des Jeunes VB où l’on peut rece­voir une intro­duc­tion à l’autodéfense.

Les idées d’extrême-droite sont-elles portées seulement par des partis ?

Non, il y a des pays où les par­tis d’extrême droite ont du mal à émer­ger mais où par contre on retrouve des mou­ve­ments au sein de la socié­té comme Pegi­da qui sont actifs en Angle­terre, en Alle­magne ou même en Bel­gique. Ils par­viennent à cap­ter l’attention des citoyens sur ces thé­ma­tiques migra­toires ou anti-islam au-delà de ce que peuvent faire les par­tis politiques.

Il existe en réa­li­té toute une galaxie d’extrême-droite dont les par­tis ne sont qu’un élé­ment. Il y a ces mou­ve­ments citoyens mais aus­si des réseaux d’intellectuels (Renaud Camus, théo­ri­cien du « grand rem­pla­ce­ment », Hen­ry de Les­quin, raciste ouver­te­ment reven­di­qué…), des médias (comme Bou­le­vard Vol­taire en France ou Le Peuple en Bel­gique repris par Mischaël Modri­ka­men). Il y a aus­si toute la « facho­sphère » sur inter­net, un ensemble de pages, sites, forums où s’exprime des orga­ni­sa­tions, groupes ou indi­vi­dus d’ED. Pas néces­sai­re­ment d’ailleurs en par­ta­geant des articles hai­neux mais sim­ple­ment en par­ta­geant des articles de la presse tra­di­tion­nelle soi­gneu­se­ment sélec­tion­nés qui mettent en évi­dence des faits divers où un étran­ger com­met un crime. C’est le cas d’un groupe comme Fde­souche, très actif sur Face­book ou du blog catho­lique inté­griste, le Salon beige. Cette galaxie, tra­ver­sée de ten­sions, influence les lea­ders d’extrême droite et agit en guise de lob­by à l’égard de ces partis.

Pour revenir aux réseaux sociaux numériques, quels types de contenus ont été diffusés par le VB lors de la dernière campagne ?

Outre des articles de presse mon­trant l’étranger qui agresse un local, le VB dif­fuse des extraits d’entretiens avec ses lea­ders, des cap­sules d’intervention de ses élus au par­le­ment. Mais aus­si des vidéos des actions choc de Filip Dewin­ter qui bran­dit le Coran devant la Chambre et affirme que c’est la source de tous nos maux. Ou encore du « safa­ri » qu’il avait orga­ni­sé avec Geert Wil­ders il y a quelques années à Molenbeek.

Et puis on a aus­si tout un ensemble d’éléments qui relèvent du popu­lisme, style poli­tique dont l’extrême-droite fait un bel usage, avec cette volon­té constante et sur toutes les thé­ma­tiques d’opposer à un peuple — qui serait consi­dé­ré comme étant homo­gène, natio­nal pour l’extrême droite, pour le VB ce sont les Fla­mands — des élites plu­rielles (les élites poli­tiques, éco­no­miques, média­tiques, cultu­relles, uni­ver­si­taires, judi­ciaires, etc. bref « l’establishment »). Ces élites sont dénon­cées comme cor­rom­pues et ne gou­ver­nant que pour leurs propres inté­rêts tan­dis que le peuple est lui paré de toutes les vertus.

On pointe du doigt ce que le peuple ne pos­sède pas maté­riel­le­ment ou cultu­rel­le­ment, mais aus­si ce que le peuple pos­sède et pour­rait ne plus pos­sé­der à l’avenir à cause de « l’envahissement de la Flandre par les immi­grés ». C’est que Domi­nique Rey­nié appelle le « popu­lisme patri­mo­nial ». Le patri­moine maté­riel et cultu­rel des locaux, ici, des Fla­mands, serait mis en dan­ger par l’immigration. Une immi­gra­tion qui serait pré­pa­rée par les élites poli­tiques qui ouvri­raient les fron­tières à ces étran­gers au détri­ment des locaux.

Cela rappelle les « élites cosmopolites » de l’extrême droite des années 30…

Ce terme de « cos­mo­po­li­tisme » est d’ailleurs repris aujourd’hui par l’extrême-droite qui arrive à impo­ser son cli­vage eth­no­cen­trisme / cos­mo­po­li­tisme (ou, pour reprendre la ver­sion fron­tiste Nation / Mon­dia­lisme) là où his­to­ri­que­ment ce sont des cli­vages comme Église / État, le cli­vage lin­guis­tique ou le cli­vage socioé­co­no­mique qui a domi­né la vie poli­tique en Bel­gique et ailleurs depuis des dizaines d’années.

Les discours de l’extrême droite ont-ils contaminé d’autres formations politiques qui essaient de tirer les marrons du feu en vue de gains électoraux ?

La force élec­to­rale des par­tis d’ED a indé­nia­ble­ment mis à l’agenda cer­taines thé­ma­tiques qu’ils portent et conduit des par­tis plus tra­di­tion­nels à réorien­ter leur dis­cours. En Bel­gique, par exemple, la NV‑A qui n’est pas un par­ti d’extrême droite mais qui est par contre un par­ti natio­na­liste a obser­vé qu’elle était capable de récu­pé­rer des élec­teurs du VB, et pour ce faire, a axé ses der­nières cam­pagnes sur l’immigration, l’identité natio­nale fla­mande et la sécu­ri­té inté­rieure même si les mesures prô­nées ne sont pas les mêmes.

Cette contamination ne touche pas que les partis de droite puisqu’au Danemark, les sociaux-démocrates ont, disent de nombreux commentateurs, gagné les élections parce qu’ils avaient des propositions programmatiques très proches de celles du Parti Populaire Danois…

Il y a en tout cas une volon­té de récu­pé­rer des élec­teurs. Le par­ti Social-Démo­cra­tie a voté en 2018 l’interdiction du voile inté­gral dans l’espace public et a pré­sen­té un pro­jet de réforme visant à ren­voyer les migrants non occi­den­taux dans les camps afri­cains sous super­vi­sion de l’ONU : des mesures qui se retrou­vaient dans le pro­gramme du Par­ti Popu­laire danois (ED). Cela étant, elles res­tent très édul­co­rées par rap­port à celles du par­tir d’ED.

Est-ce qu’on a une idée dans l’électorat ce qui fait mouche dans les arguments de l’ED et pourquoi ?

Il s’agit de jouer sur l’incertitude, la peur du déclas­se­ment, de l’invasion et du déclin des élec­teurs et élec­trices les plus vul­né­rables. Et de dési­gner la cause de tous leurs maux comme étant l’immigré, le musul­man, etc. C’est donc d’abord la peur qui est mobi­li­sée et qui fait mouche avant la haine même si une por­tion mino­ri­taire de l’électorat est cer­tai­ne­ment moti­vée par un racisme ou une xéno­pho­bie pro­fonde. On peut aus­si son­ger à la peur de l’insécurité lar­ge­ment mobi­li­sée par l’ED, en poin­tant notam­ment les défaillances du sys­tème judi­ciaire, tou­jours cou­pable de ne pas assez punir.

C’est une base com­mune qui ne doit pas mas­quer cer­taines spé­ci­fi­ci­tés sui­vant les pays ou les régions. Ain­si, en Flandre, l’ED s’est d’abord construite sur le natio­na­lisme et l’indépendance de la Flandre avant d’être anti-immi­gra­tion et pro­sé­cu­ri­taire. Cette ques­tion natio­na­liste per­met de récu­pé­rer une part signi­fi­ca­tive de l’électorat. En Espagne, Vox doit son suc­cès avant tout à son posi­tion­ne­ment clai­re­ment uni­ta­riste vis-à-vis des demandes d’indépendance de la Cata­logne et pas spé­cia­le­ment à ses posi­tions sur la ques­tion migratoire.

Comment endiguer la poussée de l’extrême-droite ?

Réduire l’impact de l’extrême droite, cela peut-être réduire leur impor­tance élec­to­rale ou bien réduire leur influence. Par exemple, un par­ti comme le RN en France pos­sède très peu de député·es mais exerce une influence consi­dé­rable sur la vie poli­tique française.

Il existe dif­fé­rents moyens pour limi­ter l’impact élec­to­ral ou l’influence poli­tique de ces par­tis d’extrême droite. Des moyens juri­diques mis en œuvre par les auto­ri­tés judi­ciaires avec des demandes d’interdiction. Mais aus­si tout un arse­nal légis­la­tif sur le finan­ce­ment des par­tis (comme l’Article 15ter de la Loi de 1989 en Bel­gique) qui per­met de sus­pendre le ver­se­ment de cet argent public aux par­tis liber­ti­cides ou encore les dis­po­si­tifs de loi contre le racisme telle que la Loi Mou­reaux. Il y a le cor­don sani­taire média­tique pré­sent au sud du pays – mais pas au nord. Et le cor­don sani­taire poli­tique c’est-à-dire l’accord entre des par­tis poli­tiques pour ne pas gou­ver­ner avec le VB qui est tenu par la majo­ri­té des par­tis fla­mands à l’exception de la NV‑A (mais qui dans les faits le res­pecte quand même). Et puis, il y a un ensemble d’actions de la socié­té civile, par exemple Les Ter­ri­toires de la mémoire qui peuvent orga­ni­ser des voyages de mémoire à Ausch­witz ou qui orga­nise des confé­rences, monte des cam­pagnes de sen­si­bi­li­sa­tion, publie des livres, orga­nisent des expo­si­tions, dif­fusent des tracts visant à infor­mer le public qui peuvent faire chan­ger d’avis d’éventuels élec­teurs des par­tis d’ED.

Quel bilan peut-on peut faire du cordon sanitaire ?

Ce qu’on a pu obser­ver au niveau fla­mand pour le Vlaams Blok puis le Vlaams Belang, c’est une forme de « fatigue élec­to­rale » de leurs élec­teurs tra­di­tion­nels s’apercevant que le par­ti, en rai­son du cor­don, n’accèderait jamais au pou­voir. D’ailleurs, la NV‑A a joué sur ce phé­no­mène et en disant que voter pour le VB, c’était gâcher son vote, et a appe­lé les élec­teurs à voter pour eux, arguant du fait que, certes la NV‑A était moins radi­cale que le VB mais qu’elle aus­si vou­lait l’indépendance de la Flandre et avait des mesures fortes sur l’immigration ou la sécu­ri­té. Alors, certes plus modé­rées que celles du VB. Mais que c’est jus­te­ment cette modé­ra­tion qui leur per­met­trait d’accéder au pou­voir. Ça a fonc­tion­né et depuis lors, la NV‑A a accé­dé à tous les niveaux ima­gi­nables. Ici, le cor­don a ser­vi la NV‑A au détri­ment du VB. Même si des élec­teurs, au der­nier scru­tin, sont retour­nés au ber­cail après la ges­tion migra­toire ferme sur le point de vue dis­cur­sif de Theo Fran­cken mais fina­le­ment peu pro­bante à leurs yeux. Le cor­don sani­taire a effec­ti­ve­ment eu un impact néga­tif sur l’électorat et le score du Vlaams Belang. Par contre, cela ne signi­fie pas que cela a eu un impact sur l’influence qu’il exerce.

Les différentes manières d’appliquer le cordon au nord et au sud expliquent-elles ce fameux phénomène où côté francophone l’extrême droite est quasi inexistante ?

Outre les freins que j’évoquais, en Bel­gique fran­co­phone, c’est le double cor­don sani­taire poli­tique et média­tique qui a per­mis de limi­ter le déve­lop­pe­ment de l’ED. Les médias ne donnent aucune tri­bune à des per­sonnes issues de l’ED comme cela peut être le cas en Flandre où Van Grie­ken s’exprime libre­ment et en direct sur les pla­teaux de télé­vi­sion. Mais d’autres d’éléments côté fran­co­phone expliquent aus­si la dif­fi­cul­té pour l’extrême droite d’émerger comme l’absence d’un lea­der cha­ris­ma­tique qui pour­rait mobi­li­ser les foules ou encore la frag­men­ta­tion pro­fonde des for­ma­tions d’ED en Wal­lo­nie (Nation, Agir, Les Belges d’abord…) avec de nom­breuses scis­sions et conflits internes qui les para­lysent. Mais le cor­don com­plique tout de même sérieu­se­ment leur tâche pour se faire connaitre.

Dernier ouvrage paru : L’extrême droite en Europe occidentale (2004-2019), Courrier hebdomadaire n° 2420-2421, CRISP, 2019.

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