Entretien avec Jeanne Burgart Goutal

« L’écoféminisme vise à redéfinir le féminisme comme un mouvement global »

 Camp de femmes pour la paix de Greenham Common, contre l’installation de missiles nucléaires sur la base anglaise de la Royal Air Force du même nom, en 1982. Le Greenham Common est l’un des premiers mouvements de protestation à se proclamer écoféministe.Photo : Rabbitspawphotos, CC BY-SA 3.0

Jeanne Bur­gart Gou­tal, agré­gée de phi­lo­so­phie et pro­fes­seure dans un lycée mar­seillais, a mené pen­dant plus de dix ans une recherche sur l’écoféminisme mili­tant. Ce mou­ve­ment ne se contente pas de jux­ta­po­ser éco­lo­gie et fémi­nisme, mais cherche à arti­cu­ler ensemble ces deux dimen­sions intrin­sè­que­ment liées. Avec une his­toire longue de plus de 40 ans, ce mou­ve­ment reste pour­tant assez peu connu même s’il béné­fi­cie d’un fort regain d’attention ces der­nières années, notam­ment à tra­vers la réap­pro­pria­tion de la figure de la sor­cière. Nous l’avons ren­con­trée lors d’un entre­tien à pro­pos de son ouvrage « Être éco­fé­mi­niste — Théo­ries et pra­tiques » dans lequel elle revient sur les luttes, les acquis et les espoirs de ce mou­ve­ment pluriel.

Dans votre livre, vous retracez l’histoire de l’écoféminisme et montrez qu’il est en déclin entre 1995 et 2015 et se voit vivement critiqué, pourquoi ?

Tout d’abord, il faut bien dis­tin­guer l’écoféminisme à stric­te­ment par­ler, c’est-à-dire le mou­ve­ment éco­fé­mi­niste reven­di­quant cette éti­quette, qui est effec­ti­ve­ment en déclin durant cette période, des luttes menées par des femmes autour des enjeux envi­ron­ne­men­taux locaux qui, elles, res­tent très vivantes. On a ain­si obser­vé au contraire un essor énorme de ces mou­ve­ments envi­ron­ne­men­taux menés par des femmes, notam­ment en Amé­rique du Sud, de 1995 à 2015. Le déclin de l’écoféminisme stric­te­ment dit s’explique par plu­sieurs fac­teurs. Il s’agit d’un moment où des uni­ver­si­taires com­mencent à s’intéresser à l’écoféminisme qui n’était pas du tout consi­dé­ré jusque-là comme un mou­ve­ment aca­dé­mique, mais comme un mou­ve­ment mili­tant. Vient alors le moment où l’on va exa­mi­ner des théo­ries éco­fé­mi­nistes selon des cri­tères scien­ti­fiques et uni­ver­si­taires. Mani­fes­te­ment ces théo­ries ne réus­sissent pas à pas­ser le crible de l’analyse académique.

C’est aus­si une période où d’autres cou­rants fémi­nistes vont s’en prendre à l’écoféminisme. Il a été vic­time d’une myriade d’attaques sou­vent mal­hon­nêtes qui tra­duisent une mécon­nais­sance de l’ensemble des écrits éco­fé­mi­nistes. On lui a sou­vent repro­ché d’être essen­tia­liste, de rame­ner la femme à un pseu­do rôle natu­rel, d’avoir un pro­jet poli­tique conser­va­teur qui prône un retour à la « nature » qui en réa­li­té serait un retour à une tra­di­tion alié­nante. Mais ce n’est pas du tout le sens de ce mouvement !

On l’a aus­si beau­coup accu­sé d’être poli­ti­que­ment inef­fi­cace, de don­ner une trop grande place à la spi­ri­tua­li­té, aux cultes de la déesse, aux rythmes de la nature, d’endosser un côté folk­lo­rique new-age. Aujourd’hui encore, l’écoféminisme est par­fois réduit à un « truc de meufs » ver­sion éco­lo, comme si ses seuls enjeux tour­naient autour des ser­viettes hygié­niques, de la fabri­ca­tion de ses propres cos­mé­tiques, ou d’oppositions type poils ou épi­la­tion, couches lavables ou jetables, etc. Là encore, c’est une réduc­tion mal­hon­nête de ses enjeux.

Une des ana­lyses de cette période, que pro­pose la socio­logue et mili­tante éco­fé­mi­niste alle­mande Maria Mies, est que dans les années 1990, dans le monde anglo-saxon, les pre­miers dépar­te­ments des études fémi­nistes s’ouvrent à l’université. C’est un moment his­to­rique mais cette ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion du fémi­nisme n’a pu se faire qu’au prix d’une cer­taine dépo­li­ti­sa­tion et d’un renon­ce­ment à une forme de radi­ca­li­té poli­tique qu’on trouve jus­te­ment dans l’écoféminisme. Selon Mies, on a assis­té à une sorte de « tra­hi­son fémi­niste » par rap­port à la dimen­sion poli­tique très enga­gée des pre­miers com­bats, et à un repli vers des contro­verses hyper théo­riques, des notions très abs­traites de construc­tion et décons­truc­tion du genre. Ain­si, on aurait écar­té du champ du fémi­nisme « offi­ciel » les enjeux de sur­vie éco­no­mique ou éco­lo­gique qui étaient au cœur de l’écoféminisme. Ce der­nier aurait donc été reje­té ou asep­ti­sé au pro­fit d’une pen­sée offi­cielle admis­sible au sein de l’académie, alors qu’au départ, il pré­sen­tait des actes très radi­caux, très far­fe­lus, tein­tés par­fois de juge­ments à l’emporte-pièce. Et qu’il rele­vait plu­tôt de slo­gans poli­tiques à cent lieues de la science. Ce fos­sé a été presque fatal pour l’écoféminisme.

Il s’agit bien d’un mouvement féminin, féministe et politique, à ce moment-là ?

Abso­lu­ment, on pour­rait même dire que dès sa nais­sance, l’écoféminisme est une sorte d’élargissement du fémi­nisme, pour mon­trer que le fémi­nisme ne se limite pas à un com­bat mené par les femmes pour les femmes. Il vise ain­si à repen­ser et redé­fi­nir le fémi­nisme comme un mou­ve­ment glo­bal. Fran­çoise d’Eaubonne, mili­tante fémi­niste fran­çaise liber­taire à qui on attri­bue la créa­tion du mot éco­fé­mi­nisme, écrit même qu’il doit être un nou­vel huma­nisme, qu’il doit être au cœur d’un nou­veau pro­jet de créa­tion d’une nou­velle huma­ni­té, d’une nou­velle civi­li­sa­tion fon­dée sur d’autres valeurs et d’autres modes de fonc­tion­ne­ment que le patriar­cat capi­ta­liste actuel. Il y a vrai­ment ici le pro­jet de ren­ver­ser et refon­der une civi­li­sa­tion, une éco­no­mie, de chan­ger de para­digme. On peut donc dire que c’est un mou­ve­ment radi­ca­le­ment révo­lu­tion­naire, anti­ca­pi­ta­liste, alter­mon­dia­liste affu­blé d’une fibre poli­tique très affirmée.

Depuis quelques années, l’écoféminisme ressort de l’ombre, notamment à travers la vague des « sorcières » (fortement popularisé par l’essai éponyme de Mona Chollet). On voit aussi se créer des petits comités pour préparer et inspirer des actions de désobéissance civile, vers une vie plus alternative, un monde plus désiré. Il y a aussi un renouveau du féminisme avec la vague #Metoo. Comment l’écoféminisme a‑t-il refait surface ?

Effec­ti­ve­ment, depuis 2015, le fémi­nisme revient sur le devant de la scène, ce n’est plus un concept rin­gard et démo­dé. Paral­lè­le­ment au renou­veau fémi­niste que vous évo­quez, il convient de men­tion­ner aus­si toute la mobi­li­sa­tion pour le cli­mat face à l’urgence éco­lo­gique qui n’est plus l’histoire de quelques éco­los che­ve­lus mais devient un véri­table enjeu social brû­lant et une pré­oc­cu­pa­tion très lar­ge­ment répan­due. Nous sommes donc dans un contexte tout à fait pro­pice à la redé­cou­verte de l’écoféminisme. Cela se décline sous dif­fé­rentes formes. Il existe dans cer­tains col­lec­tifs une cer­taine façon d’agir et de pen­ser dans la filia­tion de l’écoféminisme des débuts. Ils se mobi­lisent sur des enjeux très poli­tiques, par exemple contre le nucléaire, et ils ont une connais­sance de l’histoire de l’anticapitalisme du mou­ve­ment. Mais d’autres formes un peu plus éton­nantes se contentent de jouer sur une ima­ge­rie éco­fé­mi­niste. Ce qui peut don­ner lieu à une sorte de récu­pé­ra­tion, par exemple, il existe des coques pour smart­phones éco­fé­mi­nistes ! Quand le grand capi­tal réus­sit à ce point-là à récu­pé­rer ce type de mou­ve­ment, on peut se poser des ques­tions. Ou quand on se sert d’Instagram pour pos­ter des pho­tos de ses « rituels de sor­cière » en uti­li­sant, donc, les outils tech­no­lo­giques du capi­tal, c’est un peu étonnant…

Une autre évo­lu­tion que je remarque depuis quelques mois, c’est que plu­sieurs par­tis poli­tiques com­mencent à s’intéresser à l’écoféminisme. Les par­tis verts évi­dem­ment, mais aus­si d’autres par­tis de gauche ou d’extrême gauche qui en ont com­pris l’importance de ces enjeux. Je sais que dans plu­sieurs par­tis éco­los en France, en Suisse, et c’est peut-être le cas en Bel­gique, il existe des com­mis­sions éco­fé­mi­nistes. Une réflexion est menée pour voir dans quelle mesure, « éco­fé­mi­ni­ser » le pro­gramme pro­po­sé par le par­ti et l’intégrer dans ses pra­tiques internes. Donc, il y a une volon­té poli­tique, et c’est assez nou­veau, car his­to­ri­que­ment, l’écoféminisme s’est tou­jours for­te­ment méfié des partis.

Dans votre livre, vous distinguez quatre strates qui structurent l’écoféminisme actuel. Pouvez-vous revenir sur cette description du mouvement ?

Pour l’imager, je l’ai décou­pé comme un oignon avec ses couches par cercles concen­triques. Et la pelure tout autour, ce serait ce que j’ai appe­lé les « éco­fé­mi­nistes à leur insu ». Les thèmes tour­nant autour de l’é­co­fé­mi­nisme sont vrai­ment dans l’air du temps, on peut le per­ce­voir chez beau­coup de per­sonnes, dans des films, des livres, des dis­cours quo­ti­diens publics sans que le mou­ve­ment soit for­cé­ment connu de ces per­sonnes. On peut lire ou entendre de plus en plus fré­quem­ment que l’on agresse la nature « comme on agresse les femmes », ou qu’on agresse les femmes « comme on agresse la nature ». Des liens sont éta­blis entre les femmes et la nature. Il s’agit d’une sorte d’intuition très répan­due. C’est donc la pre­mière strate, faite de per­sonnes qui ont ce genre de pen­sée sans connaitre leur théo­ri­sa­tion par le mou­ve­ment écoféministe.

La pelure un peu au-des­sous, ce serait ce que j’ai appe­lé les « éco­fé­mi­nistes en herbe ». Il s’agit de toute la vague de jeunes femmes qui connaissent l’existence du mou­ve­ment éco­fé­mi­niste même si pas for­cé­ment de façon très appro­fon­die. Elles essaient de mettre quelques zones de pra­tique en cohé­rence avec les idéaux éco­fé­mi­nistes. Les gestes peuvent être très variés : pas­ser au zéro déchet, ne pas uti­li­ser de pro­tec­tion hygié­nique jetable, réduire ses achats de vête­ments neufs, sa consom­ma­tion de viande, deve­nir végane… Par­fois ce sont des formes plus spi­ri­tuelles : célé­brer les sol­stices et les équi­noxes, les pleines lunes ou les nou­velles lunes. C’est la deuxième strate : com­ment injec­ter un peu d’écoféminisme dans son quotidien ?

La pelure encore au-des­sous, un peu plus proche du noyau, serait ce que j’ai nom­mé les « porte-paroles de l’écoféminisme ». Ce sont des per­son­na­li­tés, des col­lec­tifs ou des asso­cia­tions qui se reven­diquent de l’écoféminisme et qui luttent acti­ve­ment voire pro­fes­sion­nel­le­ment en sa faveur. Je fais réfé­rence par exemple à des per­son­na­li­tés comme Van­da­na Shi­va et son ONG Nav­da­nya qui défend la petite agri­cul­ture pay­sanne en Inde, ou à Sta­rhawk (mili­tante et sor­cière néo­pa­ga­niste de San Fran­cis­co), ses for­ma­tions à la per­ma­cul­ture et ses blo­cus autour des grands forums éco­no­miques mon­diaux. Cette strate-là, elle est en expan­sion, et on observe régu­liè­re­ment la nais­sance de nou­veaux col­lec­tifs éco­fé­mi­nistes très mobi­li­sés dans les marches du cli­mat dans dif­fé­rentes villes de France. Cette troi­sième strate est donc syno­nyme de ver­sion mili­tante de l’écoféminisme.

Le cœur, la qua­trième strate, serait consti­tué des « éco­fé­mi­nistes radi­cales ». Ce sont des femmes ou des groupes de femmes qui ont car­ré­ment fait le choix de sor­tir de la socié­té, ou en tout cas d’essayer de construire un mode de vie le plus cohé­rent pos­sible avec les idéaux éco­fé­mi­nistes. Ce qui revient sou­vent concrè­te­ment à se mar­gi­na­li­ser parce que cela sup­pose de boy­cot­ter, de se déso­li­da­ri­ser de beau­coup de choses qui com­posent notre sys­tème. Elles adoptent un mode de vie décrois­sant, en rédui­sant au néces­saire leur consom­ma­tion, leur usage des tech­no­lo­gies. Je donne dans mon livre l’exemple de Syl­vie Barbe, une femme qui a fait le choix de vivre dans une yourte qu’elle a construite elle-même, dans la forêt, sur un ter­rain sans eau cou­rante et sans élec­tri­ci­té. Elle a choi­si de se pri­ver des outils tech­no­lo­giques uti­li­sés cou­ram­ment par refus de par­ti­ci­per à la dégra­da­tion de la pla­nète et à l’exploitation du tra­vail des ouvrières du tex­tile ou de l’électronique, notam­ment par les fabri­cants des smart­phones. C’est une ver­sion un peu hip­pie et la plus radi­cale de l’écoféminisme.

L’écoféminisme est-il devenu le combat d’un féminisme blanc et élitiste comme on le lui reproche parfois ?

C’est vrai qu’il y a une cer­taine homo­gé­néi­té socio­lo­gique par­mi les per­sonnes qui se reven­diquent expli­ci­te­ment comme éco­fé­mi­nistes. Ce sont sou­vent des étu­diantes ou des diplô­mées du supé­rieur, pour la plu­part blanches et issues de familles aisées. Ce qui n’empêche pas que les pro­fils de femmes lut­tant sur des enjeux envi­ron­ne­men­taux sans uti­li­ser cette éti­quette soient beau­coup plus variés.

Dans l’histoire de l’écoféminisme, il y a tou­jours eu des éco­fé­mi­nistes qui ont eu la volon­té de faire des ponts avec le Black Femi­nism et les fémi­nismes inter­sec­tion­nels. Mais les asso­cia­tions, les col­lec­tifs n’ont mal­heu­reu­se­ment pas vrai­ment réus­si à se ren­con­trer. Concrè­te­ment, aujourd’hui, les pas­se­relles entre les dif­fé­rents col­lec­tifs comme l’écoféminisme et l’afro-féminisme ou l’écologie déco­lo­niale ne se font qu’assez rare­ment. Il y a néan­moins quelques figures qui lancent des ponts en France telle Fati­ma Ouas­sak, fon­da­trice du Front de mères, qui elle, jus­te­ment, va par­fois uti­li­ser le mot éco­fé­mi­nisme et par­fois pas. Elle en repré­sente en tout cas une figure impor­tante, qui rap­pelle que l’écologie se joue avec des enjeux très pré­sents et très sui­vis dans chaque ter­ri­toire, en par­ti­cu­lier dans les quar­tiers de banlieue.

J’ai consta­té que ce terme « éco­fé­mi­nisme » est en fait très dif­fi­cile à por­ter et à s’approprier. Moi-même, je ne me dis pas éco­fé­mi­niste. Déjà, parce que c’est com­pli­qué de com­prendre pour­quoi au juste asso­cier éco­lo­gie et fémi­nisme, cela sup­pose toute une cor­ré­la­tion qui reste en plus dis­cu­table. Et puis parce que ce n’est pas néces­saire de se reven­di­quer comme tel pour en faire. La socio­logue Gene­viève Pru­vost parle ain­si des « éco­fé­mi­nismes ver­na­cu­laires » pour dési­gner des femmes ou des col­lec­tifs qui ont un mode de vie éco­fé­mi­niste mais sans uti­li­ser le terme d’écoféministe, par exemple des marai­chères bio. Il n’est donc pas tou­jours simple de défi­nir les contours du mou­ve­ment ain­si que la meilleure stra­té­gie à adop­ter. Par exemple est-ce qu’on inclut toutes les femmes agri­cul­trices, ou au contraire faut-il écou­ter com­ment les gens conscien­tisent leur lutte ? Peu de femmes reven­diquent l’étiquette éco­fé­mi­niste. Cela reste l’affaire d’un cer­tain milieu.

Quelle place occupe l’écoféminisme dans la culture artistique et populaire ?

Dans la culture artis­tique, il y a actuel­le­ment une foi­son de thèmes éco­fé­mi­nistes. C’est très mar­qué dans le spec­tacle vivant, dans les arts visuels contem­po­rains ou dans dif­fé­rentes expos qui se centrent sur la puis­sance des femmes, sur la figure de la sor­cière et les rituels. C’est vrai­ment un effet de mode incroyable. Et dans la culture popu­laire, il y a quelques exemples que je donne dans mon livre qui m’ont frap­pée. Par exemple Vaia­na des Stu­dios Dis­ney met en scène des thèmes éco­fé­mi­nistes. Dans ce film d’animation, l’ile habi­tée par les per­son­nages est évi­dem­ment une méta­phore de la Terre. On y observe un épui­se­ment des res­sources, les pêcheurs ne trouvent plus de pois­sons, parce que la Terre a été bles­sée. C’est une petite héroïne fémi­nine qui va réus­sir à mener sa quête. On voit bien là, dans l’imaginaire col­lec­tif, un écho à l’écoféminisme — certes, dans sa ver­sion la plus naïve et ven­dable. Ceci dit j’ai l’impression que cela crée un cer­tain chan­ge­ment des ima­gi­naires. Cela ne suf­fi­ra pas à chan­ger le monde, mais cela aide­ra peut-être à rem­pla­cer au moins ou à effri­ter quelques clichés.

Peut-on qualifier l’écoféminisme de mouvement politique selon vous ?

On pour­rait le défi­nir comme un mou­ve­ment poli­tique, mais au sens très large du terme car c’est aus­si un mou­ve­ment phi­lo­so­phique, un mou­ve­ment théo­lo­gique, et un mou­ve­ment artis­tique comme on vient de l’évoquer. C’est poli­tique au sens où il y a une cri­tique du fonc­tion­ne­ment des États, de la poli­tique inter­na­tio­nale et une aspi­ra­tion à un autre fonc­tion­ne­ment. Mais le para­doxe vient du fait que l’écoféminisme a tou­jours reje­té le pou­voir. Il y a à la fois l’aspiration de faire socié­té de façon nou­velle et la cri­tique de ces dimen­sions hié­rar­chiques, de domi­na­tion, que l’on asso­cie sou­vent à la poli­tique. La pen­sée poli­tique de l’écoféminisme s’inscrit en fait dans la tra­di­tion anar­chiste, celle de faire socié­té sans pas­ser par des rap­ports de domi­na­tion et de pen­ser les rap­ports sociaux de manière tout à fait cir­cu­laire, démo­cra­tique et par­ti­ci­pa­tive. Et cette cri­tique du pou­voir se retrouve à bon nombre de niveaux, non seule­ment dans la sphère poli­tique au sens de l’État ou des ins­ti­tu­tions inter­na­tio­nales, mais aus­si par exemple dans le fonc­tion­ne­ment des entre­prises ou des ins­ti­tu­tions. Il y a vrai­ment un désir de bri­ser la logique hié­rar­chique à chaque fois qu’elle se pointe pour redis­tri­buer le pou­voir, répar­tir la pos­si­bi­li­té de déci­der et prendre en main le des­tin collectif.

Jeanne Burgart Goutal, Être écoféministe, Théories et pratiques, L’Échappée, 2020

Cet entretien est une version extraite et remanié d’un entretien plus long publié dans le Cahier de l’éducation permanente N°56 « Les nouveaux visages de l’engagement » (PAC Editions, 2021)

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