Quittons un moment les terres rebattues des controverses sur les masques, les tests ou le confinement. Quoiqu’il arrive, aujourd’hui comme hier et demain, nous sommes condamnés à cohabiter avec les virus. Et il est peut-être temps de perdre la guerre que nous avons déclarée à la nature, il y a près de trois siècles.
Penchons-nous un court instant sur une polémique culturelle française qui révèle plus de significations qu’elle n’y parait. Celle sur l’entrée ou non au Panthéon des dépouilles d’Arthur Rimbaud et de Paul Verlaine, ces deux bateaux ivres, selon l’expression de l’écrivain Gilbert Sinoué, qui vécurent une folle passion amoureuse, en particulier à Bruxelles et à Londres.
Rimbaud, icône de la révolte, auteur culte surgi des Ardennes, égaré dans les sables de l’Abyssinie et mort à 37 ans, en 1891, fascine toujours autant, comme en témoignent les tags en Palestine ou les dernières lettres de Jim Morrison.
Parmi les rimbaldiens, Frédéric Martel, historien de l’émancipation des homosexuels et auteur, aux côtés d’une avalanche de célébrités dont tous les derniers ministres de la culture, d’une pétition réclamant le transfert des corps du couple le plus mythique de la poésie moderne, des cimetières de Charleville et des Batignolles vers une ancienne église à Paris qui accueille les tombeaux, entre autres, de Rousseau, de Zola, de Jean Moulin et de Simone Veil, ces « illustres figures « de l’histoire de France.
Mais l’initiative de « panthéoniser » l’homme aux semelles de vent, au visage si photogénique et aux vers fulgurants, et son amant maudit, se voit brutalement contrée par une tribune, signée parmi d’autres, par Tahar Ben Jelloum et Erri De Luca, qui dénonce « l’idéologie bien pensante », « l’américanisme » et le « communautarisme » qui sous-tendent ce projet de « pacs morbide ».
Il est vrai que déjà en 1927 les surréalistes, André Breton et Louis Aragon en tête, protestaient contre l’inauguration d’un buste du poète et la « ridicule tentative de récupération » de « celui qui aura ramené Patti Smith à Charleville–Mézières » selon Fishbach, une révélation de l’électro-pop.
La pétition originelle souligne « l’enrichissement par leur génie de notre patrimoine », « les symboles de la diversité qui durent endurer l’homophobie » et évoque des raisons tant politiques que morales et littéraires pour célébrer Rimbaud et Verlaine, ces révoltés bohèmes et réfractaires à toute institution et à toute consécration.
C’est bien là, me semble-t-il, que gît une insurmontable contradiction. Dans une note intitulée « Panthéonades », Verlaine raille le sort réservé à Victor Hugo, « ils l’ont fourré dans cette cave où il n’y a pas de vin », rappelle le chercheur à l’université de Namur, Denis Saint-Amand. Bref, des poètes bien trop sauvages, refusant conventions et convenances, revendiquant un héritage communard, face à un pouvoir qui tenterait de récupérer « ces gilets jaunes du XIXe siècle », pour reposer dans un sanctuaire de la république.
Plutôt que d’exhumer les cadavres de ceux qui témoignent tant de lassitude que d’ironie à l’égard du monde petit-bourgeois, il serait peut-être opportun, suggère le chercheur, de créer un fonds Rimbaud et Verlaine pour aider les jeunes poètes et les acteurs de monde culturel.
Et de se souvenir de l’autre Rimbaud, Frédéric, le frère, ressuscité par David Le Bailly, modeste travailleur ruiné par sa famille au nom de la légende dorée d’un trafiquant d’armes aux confins des déserts de l’Arabie.