Après plus de 70 années de règne, la reine Elisabeth II d’Angleterre a définitivement posé sa couronne à terre. Quelques semaines de deuil ont été médiatiquement imposées à grands coups de directs, de rétrospectives, d’émissions et d’hommages en tous genres. Ce passage obligatoire passé, on peut enfin se permettre à nouveau de se mettre sous l’oreille un God Save the Queen. La version punk. Retour en octobre 1977 : le morceau figure en plage 5 de le face A de « Never Mind The Bollocks, Here’s the Sex Pistols », seul et unique album des Sex Pistols. Le single « God Save The Queen » sort quant à lui quelques mois plus tôt, le 27 mai 1977. On est alors à deux semaines du jubilé d’argent de la reine. Comprenez par-là : des célébrations en grande pompe afin de fêter les 25 ans de règne de Sa Majesté.
Le Royaume-Uni, alors encore sous le choc de la crise pétrolière de 1973, animé par de nombreux mouvements de grève, plongé dans une situation économique désastreuse avec une inflation battant tous les records et un taux de chômage inédit, décide néanmoins de consacrer des centaines de milliers de livres sterling – autrement dit, une manne importante d’argent public – afin de commémorer le règne d’une famille qui est tout sauf démocratique. Un terreau fertile pour le fer de lance anglais du mouvement punk, qui se saisit de l’occasion pour attraper à la gorge un des symboles les plus intouchables de l’Union Jack. Gonflée de hargne et nourrie par un rejet viscéral de la société, la bande à Johnny Rotten et à Sid Vicious n’y va pas par quatre chemins : « God save the queen — The fascist regime — They made you a moron — A potential H bomb »1.
Le 7 juin 1977, malgré le grondement du peuple, le jubilé de la reine a bel et bien lieu. Londres est en liesse. Sur les bords de la Tamise, environ 80 personnes montent à bord d’un bateau de tourisme2. À leur bord : les Sex Pistols, des journalistes et des fans du groupe. Après que l’alcool ait commencé à embrumer les esprits, les musiciens entament un set. Le bateau finit par arriver au niveau du Parlement. Ils se mettent alors à jouer « God Save The Queen » et tendent un doigt d’honneur en guise de salutation. Il ne faudra évidemment pas attendre longtemps pour qu’ils soient cueillis par la police anglaise. Le groupe a néanmoins réussi son pari : détourner l’attention tout en crachant son venin sur le système.
« And our figurehead — Is not what she seems — God save history — God save your mad parade »3. Car au-delà de l’apparat doré dont bénéficie la famille royale, cette dernière traine encore derrière elle un passé sombre et peu glorieux. En effet, bien que la plupart des 56 pays du Commonwealth aient obtenu leur indépendance sous Elisabeth II, les traces, les douleurs et les humiliations demeurent néanmoins prégnantes. Sans oublier ces richesses engrangées par la famille royale, issues en grande partie de l’esclavagisme qui a perduré pendant plusieurs siècles.
« We’re the flowers in the dustbin — We’re the poison in your human machine — We’re the future, your future »4. En février 1979, le bassiste Sid Vicious est retrouvé mort d’une overdose. Il avait 21 ans. Trois mois après, Margaret Thatcher dépose ses valises au 10 Downing Street et débute onze années tachées de bains de sang sociaux. Des acquis sociaux au niveau de la santé et de l’éducation seront supprimés, les inégalités sociales ne feront que s’accentuer. Le 8 septembre dernier, Elisabeth II s’en va. L’Histoire hoquète : quelques jours avant, elle avait rencontré et validé le mandat de la nouvelle Première ministre, Liz Truss. Cette dernière se réclame corps et âme de la Dame de Fer. Les Anglais·es, embourbé·es dans des ornières socio-économiques peu enviables, ont pourtant fait le choix d’un retour aux bonnes vieilles pratiques du thatchérisme. Il ne reste alors qu’une chose à faire : (ré)écouter haut et fort les Sex Pistols.
- God save the queen – Le régime fasciste – Ils ont fait de toi un crétin – Une bombe H potentielle
- Eric Bureau, « Le concert fou des Sex Pistols », Le Parisien, 4 juin 2017
- Et notre emblème — N’est pas ce dont elle a l’air – Que Dieu sauve l’histoire – Que Dieu bénisse ta parade folle
- Nous sommes les fleurs dans la benne à ordures — Nous sommes le poison dans ta machine humaine — Nous sommes le futur, ton futur