Les chiens de garde, les poules sans tête et l’éléphant dans la pièce

Illustration : Vanya Michel

Soyons clairs : il est heu­reux que des jour­na­listes se soient sai­sis du cas d’enrichissement immo­ral de man­da­taires publics que consti­tue l’affaire Publi­fin et le sys­tème occulte de man­dats déri­vés en cas­cade per­met­tant de « se sucrer » entre amis. L’histoire montre que, lorsqu’ils font leur tra­vail de manière indé­pen­dante, véri­fiée et mesu­rée, les médias d’information sont un des garants du fonc­tion­ne­ment de la démo­cra­tie. Lorsque…

His­to­ri­que­ment, il est bon de le rap­pe­ler, la lutte du jour­na­lisme contre les secrets ou les abus du pou­voir va consti­tuer un levier impor­tant de contre-pou­voir. Le jour­na­lisme fait figure de « chien de garde » de la démo­cra­tie : celui qui aboie pour don­ner l’alarme. Encore convient-il qu’il ne sur­in­ter­prète pas son rôle en confon­dant tra­vail d’enquête et de contrôle, et mis­sion de jus­ti­cier ou de puri­fi­ca­teur éthique… La ten­ta­tion n’est jamais loin quand on sait à quel point l’évolution des hié­rar­chies de l’information, ces der­nières décen­nies, sur­va­lo­rise l’activité judi­ciaire, en par­ti­cu­lier l’activité pénale, par rap­port à la mise en pers­pec­tive de celle-ci dans la socié­té, ain­si que par rap­port à d’autres enjeux.

Dans ce registre, n’a‑t-on pas vu gran­dir, dans ce que l’on peut appe­ler la défer­lante média­tique post-Publi­fin, une exi­gence expli­cite de trans­pa­rence (sur les reve­nus de l’action repré­sen­ta­tive), et celle, sous-jacente, d’une pure­té ou d’une exem­pla­ri­té par­faite des res­pon­sables poli­tiques ? La pos­ture fait mouche, la plu­part du temps, auprès du corps social, qui attend que le poli­tique qui « dérape » soit sanc­tion­né par le pou­voir judi­ciaire, et, par­tant, que la Jus­tice lave plus blanc que blanc. Mais, « comme on a tous une part de gris en nous », notait le juge retrai­té Chris­tian Panier dans la Libre Bel­gique en 2007, les « citoyens-audiences » cherchent à se réap­pro­prier la part man­quante de blanc en eux « à tra­vers les puis­sants qui ont des ennuis », que leur culpa­bi­li­té soit démon­trée ou non.

LE GRAND BAZAR MÉDIATIQUE

Le sujet de maga­zine télé « Mon bourg­mestre a‑t-il le bras long ?», (re)diffusé début mars sur la RTBF dans la fou­lée d’une convain­cante enquête-illus­tra­tion sur les res­sorts de l’affaire Publi­fin, est, à cet égard exem­pla­tif. Le pro­pos de son auteur, qui suit les péré­gri­na­tions locales de quatre bourg­mestres « connus », est d’interroger, d’une part, les stra­té­gies de contour­ne­ment (bien réel) des règles d’incompatibilité entre fonc­tions minis­té­rielles et maïo­rales, d’autre part, les pra­tiques d’utilisation des leviers « d’influence » qu’offrent aux bourg­mestres des situa­tions de cumul de man­dats à dif­fé­rents niveaux de pouvoir.

Pour peu que l’on acquiesce à sa per­ti­nence, pareil ques­tion­ne­ment, nous semble-t-il, se doit d’être non seule­ment déve­lop­pé avec cohé­rence, mais aus­si trai­té de façon effec­tive et pro­bante. Ce que ne fait mani­fes­te­ment pas le repor­tage : il ne per­met en tout cas pas à son public de dépas­ser le niveau de la convic­tion intime de l’auteur. Concrè­te­ment, le repor­tage tra­duit les inter­ro­ga­tions de départ en dif­fé­rentes scènes sur dif­fé­rents théâtres d’action ; il tra­vaille de la sorte à une des­crip­tion « phé­no­mé­no­lo­gique » de situa­tions sélec­tion­nées et construites de manière à illus­trer les hypo­thèses de l’auteur, mais non à en démon­trer le bien­fon­dé. On est, ici, en pré­sence d’une construc­tion jour­na­lis­tique qui se déploie en dehors de toute construit concep­tuel ou argu­men­ta­tif sous-jacent, le jour­na­liste se posi­tion­nant plu­tôt en « sur­plomb » éthique. Seul le halo de sus­pi­cion per­ma­nente de son ques­tion­ne­ment, dans lequel baigne le sui­vi de quatre bourg­mestres « tests » ou « témoins », per­met de fon­der, vir­tuel­le­ment, la thèse du risque de dérive lié au cumul de mandats.

Ce type de pro­duc­tion jour­na­lis­tique et l’orientation édi­to­riale dans laquelle il s’insère sont repré­sen­ta­tifs, à nos yeux, du « grand bazar média­tique » à l’œuvre…

Au-delà du véri­table lièvre levé dans les ter­riers de Publi­fin, on a vu se mul­ti­plier les « révé­la­tions » d’autres « cas » jugés sus­pects, à la faveur d’un énième phé­no­mène d’embal­le­ment média­tique, immo­dé­ré comme le veut le genre… « Quand une tem­pête média­tique se lève, notait à cet égard, en 2007, l’ex-éditorialiste du Mor­gen Yves Des­met il n’y a aucune mesure, encore moins de modé­ra­tion, qui vaille. Une tem­pête média­tique est de 12 beau­forts, ou elle n’existe pas. »

L’écrivain mais aus­si jour­na­liste Emile Zola le consta­tait, déjà à son époque, dans un texte peu connu datant de 1889 : « Mon inquié­tude unique, devant le jour­na­lisme actuel, c’est l’état de sur­ex­ci­ta­tion ner­veuse dans lequel il tient la nation (…) [I]l s’agit d’un fait social. Aujourd’hui, remar­quez quelle impor­tance déme­su­rée prend le moindre fait. Des cen­taines de jour­naux le publient à la fois, le com­mentent, l’amplifient. Et, pen­dant une semaine sou­vent, il n’est pas ques­tion d’autre chose : ce sont chaque matin de nou­veaux détails, les colonnes s’emplissent, chaque feuille tâche de pous­ser au tirage en satis­fai­sant davan­tage la curio­si­té de ses lec­teurs.»

IL FAUT NOURRIR LA BÊTE

Dans le contexte actuel, pour occu­per le ter­rain Publi­fin aus­si long­temps que les concur­rents s’y trouvent, eux aus­si, il s’agit de « nour­rir la bête » quo­ti­dien­ne­ment, voire heure par heure sur les sup­ports numé­riques, selon la logique de l’information en conti­nu. On a vu alors toutes les rédac­tions se mettre à cou­rir dans tous les sens, un peu comme des poules sans tête, à la recherche de l’une ou l’autre prise post-Publi­fin, de l’une ou l’autre indem­ni­té publique jugée « trop » éle­vée, de l’un ou l’autre cas d’incurie dans la ges­tion de l’argent public. Comme si cha­cun vou­lait son trophée…

Dans le grand mixer de l’information, tout a fait farine : d’une secré­taire par­ti­cu­lière de Magnette « indû­ment rému­né­rée » à la fille avo­cate de Jean-Claude Mar­court dont on se demande si elle a « vrai­ment tra­vaillé pour Nethys » ; de la pré­si­dente de la com­mis­sion d’enquête par­le­men­taire « atta­quée sur son salaire » au clas­se­ment pure­ment chif­fré des élus wal­lons en matière de cumul de man­dats ; des soup­çons de conflits d’intérêts dans le chef de tel conseiller pro­vin­cial hen­nuyer aux affaires Publi­part et Tele­net (impli­quant le pré­sident N‑VA de la Chambre) en Flandre ; des décla­ra­tions polé­miques ou mal­adroites de Louis Michel sur la rela­ti­ve­ment faible rému­né­ra­tion des par­le­men­taires au débat sur les salaires des CEO d’entreprises publiques ; d’«administrateurs sur­payés » (dans le titre) à l’ICDI de Char­le­roi en raison…d’un « mau­vais enco­dage comp­table » (dans le corps du texte) ; de la course poli­tique aux effets d’annonce de réformes de gou­ver­nance aux mul­tiples radio­sco­pies du PS lié­geois ; des réflexions sur la démo­cra­tie locale dévoyée aux débats sur la démo­cra­tie interne des par­tis ; et, au milieu de tout cela, de façon indis­tincte, la poli­ti­sa­tion de l’administration wal­lonne et la ques­tion, res­sor­tie du for­mol pour l’occasion, de la sup­pres­sion des provinces…

Une chatte n’y retrou­ve­rait pas ses petits ! Et pour cause : il y a là autant de cha­tons que de pous­sins, de chiots, de veaux et d’éléphanteaux… Au sein de cette grande ména­ge­rie poli­ti­co-média­tique, le risque est de voir le dis­cours public ver­ser soit dans l’hystérie de l’amalgame, soit dans l’insignifiance de l’accumulation stric­te­ment moné­taire. Les exemples ne manquent pas.

DÉMENCE DE L’EXCÈS, PERVERSITÉ DU REJET

Dans l’exercice jour­na­lis­tique de cal­cul des reve­nus pro­fes­sion­nels des élus, tout se passe comme si telle ou telle valeur moné­taire était signi­fiante en elle-même : « La future pré­si­dente de la com­mis­sion Publi­fin gagne 7000 euros net par mois. Trop ? », titrait la Libre Bel­gique, en man­chette, le 14 février 2017. Ou, pire, comme si le mon­tant épin­glé et le tra­vail pres­té en échange deve­naient, a prio­ri, sus­pects, dans « le cli­mat géné­ral », tant pour la fonc­tion exer­cée que pour la per­sonne « impli­quée » (au sens ambi­va­lent du terme, à la fois active et sus­pecte). Y a‑t-il eu véri­fi­ca­tion ou absence de véri­fi­ca­tion des élé­ments qui com­posent l’information ? Autre­ment dit, quel tra­vail réel, et pas seule­ment nomi­nal, a‑t-il été effec­ti­ve­ment pres­té ? Avec quelle effi­ca­ci­té en regard de quel objectif ?

Rien de tout cela n’est ni clair, ni expli­cite. Ce qui pose un réel pro­blème, moins sur le plan déon­to­lo­gique en tant que tel, que sur celui de la res­pon­sa­bi­li­té sociale des jour­na­listes, de l’information et des médias. De fait, à la dif­fé­rence de ce qui a été éta­bli, jour­na­lis­ti­que­ment, dans le dos­sier Publi­fin, les divers sujets épin­glant des rému­né­ra­tions « sus­pectes » ne tranchent pas. Ils donnent aux per­sonnes concer­nées, le plus sou­vent, la pos­si­bi­li­té de faire valoir leur point de vue, mais en bout de course, ils ne rendent pas de juge­ment. Volon­tai­re­ment ou non, ils laissent leur audience libre de « se faire son idée ». Et ils laissent, de la sorte, le doute s’installer, dans la mesure où la démarche de véri­fi­ca­tion n’est pas menée jusqu’au bout : c’est la parole des uns contre les mises en ques­tion des autres.

La « démence de l’excès » finit par­fois par engen­drer « la per­ver­si­té du rejet », notait le cofon­da­teur de l’hebdomadaire Marianne, Jean-Fran­çois Kahn, voi­ci quelques années… Qu’il s’agisse, ici, du rejet d’outils ou de modèles d’action publics comme les inter­com­mu­nales (ou de leur aban­don aux mains de la seule ges­tion et des seuls inté­rêts pri­vés), de la cri­tique per­ma­nente des élus et du monde poli­tique en géné­ral sur les réseaux sociaux, ou de « l’oubli » de tout ce qui a évo­lué et pro­gres­sé en Wal­lo­nie depuis une ving­taine d’années, en ce com­pris la règle­men­ta­tion, même impar­faite, de la démo­cra­tie locale.

UN PRÉSUPPOSÉ TOXIQUE

Le rejet consé­cu­tif à l’excès, à la satu­ra­tion, est aus­si un phé­no­mène fré­quent qui touche le monde des médias frap­pé d’infobésité, mais aus­si vec­teur d’une anxié­té liée au trop plein, à l’incompréhension aus­si. « Je pense que c’est le pro­blème que l’on a, admet Laurent Mathieu, pré­sen­ta­teur des JT RTBF du week-end. Il y a tel­le­ment d’informations que les gens ne com­prennent pas tou­jours ce que l’on veut dire. » Quel que soit le baro­mètre rete­nu, on constate, en matière de rejet, que la presse et les jour­na­listes font par­tie des ins­ti­tu­tions socié­tales lar­ge­ment dis­cré­di­tées aux yeux de l’opinion publique.

Plu­sieurs argu­ments servent d’alibis, lar­ge­ment auto­ré­fé­ren­tiels, à un tel embal­le­ment col­lec­tif. Tan­tôt on poin­te­ra « le cli­mat actuel de sus­pi­cion autour des inter­com­mu­nales », comme pour jus­ti­fier d’autres formes de sus­pi­cion. Dans la fou­lée, on res­ser­vi­ra la clas­sique mais indé­mon­trable « demande du public » ou son « droit à l’information ». Tan­tôt encore, on évo­que­ra « le propre des sagas poli­tiques » qui fonc­tionnent par « cha­pitres et rebon­dis­se­ments », à la manière de « vraies séries télé­vi­sées », avec « cer­tains épi­sodes plus pre­nants que d’autres ». En somme, c’est l’existence de la mobi­li­sa­tion média­tique dans la durée et le recours, pour durer, au pro­ces­sus de la feuille­ton­ni­sa­tion qui auto­ri­se­raient les médias à injec­ter de nou­veaux « rebon­dis­se­ments » dans la « saga » alors même que les infor­ma­tions qui les ali­mentent ne sont pas sûres. Il est plus impor­tant d’entretenir la cou­ver­ture média­tique, même arti­fi­ciel­le­ment, que de dif­fu­ser des infor­ma­tions qui ne se dégonflent pas aus­si­tôt publiées.

Si un tel estom­pe­ment de la norme jour­na­lis­tique a pu se pro­duire, c’est aus­si qu’un pré­sup­po­sé s’est construit et a gagné l’ensemble des esprits à mesure que se sont mul­ti­pliés les sujets « gou­ver­nance » : les pra­tiques poli­tiques locales seraient, par prin­cipe ou par essence, sujettes à cau­tion, la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive serait cor­rom­pue par les poli­ti­ciens, les rému­né­ra­tions publiques seraient indû­ment éle­vées, et la confiance citoyenne serait détruite par « toutes ces affaires » qui mettent en cause des élus ou des gou­ver­nants cupides.

Bien que toxique, ce pré­sup­po­sé, sur le moment, s’est paré d’une telle force d’évidence qu’on n’en a pas ou plus aper­çu « l’éléphant dans la pièce ». Certes, les mal­ver­sa­tions de Publi­fin, à côté d’autres scan­dales reten­tis­sants, en Bel­gique, en France ou en Europe, sont de nature à creu­ser, un peu plus, le fos­sé, la défiance abys­sale de la popu­la­tion envers l’ensemble des ins­ti­tu­tions et, sin­gu­liè­re­ment, envers celles du pou­voir poli­tique et par­ti­cra­tique. Mais les « affaires » poli­tiques, en sont-elles pour autant des élé­ments moteurs ?

DE PUISSANTES LAMES DE FOND

Et c’est ce dont traite, pré­ci­sé­ment, l’enquête « Noir, jaune, blues » pré­sen­tée début 2017, vingt ans et quelque après sa pre­mière édi­tion. Ses résul­tats et ses ana­lyses amènent, pour expli­quer la rup­ture du pacte de confiance, à mettre plu­tôt l’accent sur l’œuvre de puis­santes lames de fond, taille élé­phant, qui réduisent en miettes la « puis­sance d’agir » du poli­tique. En tête de ces ten­dances lourdes qui tra­versent nos socié­tés, on retrouve, sans sur­prise, l’hégémonie sou­vent cynique d’une sphère finan­cière glo­bale et non régu­lée, qui agit au seul ser­vice des inté­rêts du capi­ta­lisme action­na­rial et patri­mo­nial, et qui trans­forme les repré­sen­tants démo­cra­tiques des peuples en obli­gés ou en fon­dés de pouvoir.

Chaque restruc­tu­ra­tion ou délo­ca­li­sa­tion d’une filiale belge de mul­ti­na­tio­nale le montre : la logique domi­nante de la ren­ta­bi­li­té finan­cière à court terme confronte le monde poli­tique régio­nal ou natio­nal à sa propre impuis­sance – d’où la place phé­no­mé­nale prise par l’ersatz qu’est la com­mu­ni­ca­tion poli­tique. Fon­da­men­ta­le­ment, ce que les mani­fes­ta­tions de colère tra­duisent à l’égard du poli­tique, c’est une cri­tique – d’autant plus viru­lente qu’elle ne s’exprime pas tou­jours direc­te­ment en ces termes – de l’incapacité des gou­ver­nants à encore pou­voir « faire le métier », c’est-à-dire, faire de la poli­tique, au sens plein du terme : gou­ver­ner la socié­té en cher­chant à rendre meilleurs la vie col­lec­tive et les des­tins indi­vi­duels, et non se voir réduit à flat­ter les inté­rêts pri­vés pour s’attirer leurs faveurs ou leur bien­veillance vis-à-vis de l’économie, des emplois et des comptes locaux ou nationaux.

Pris en étau par en haut, le pou­voir poli­tique l’est aus­si par le bas : la ten­dance de l’individu contem­po­rain à « s’autonomiser », à s’affranchir des appar­te­nances col­lec­tives, des iden­ti­tés héri­tées et des valeurs « ciments », en voie d’effritement, de la socié­té consti­tue une autre source de la dif­fi­cul­té d’agir du poli­tique. Pareille confi­gu­ra­tion socié­tale nou­velle, explique le coor­di­na­teur de l’enquête Benoît Scheuer1, vient nour­rir le sen­ti­ment ou la conscience que « la socié­té n’existe plus », comme le sou­tient le socio­logue Alain Tou­raine, et que « l’individu est seul », puisque la glo­ba­li­sa­tion a, selon lui, détruit toutes les ins­ti­tu­tions col­lec­tives et la socié­té elle-même2.

DES ACIDES CORROSIFS

La muta­tion est d’autant plus forte dans ses effets qu’un autre « acide », pointe Scheuer, vient cor­ro­der la car­ros­se­rie de la socié­té : l’expansion ver­ti­gi­neuse, en dix ans, des médias sociaux et de leurs conte­nus aux effets dérou­tants. Les réseaux sociaux incarnent une donne nou­velle, tant pour les médias que pour les res­pon­sables poli­tiques, les mou­ve­ments sociaux et les citoyens, notam­ment quant à la vitesse et à l’ampleur de la pro­pa­ga­tion des infor­ma­tions. Ce qui change aus­si, par leur inter­mé­diaire, ce sont les modes, désor­mais plus hori­zon­taux, de récep­tion, de per­cep­tion et de hié­rar­chi­sa­tion sociales des nou­velles d’actualité, via leur appro­pria­tion par les uti­li­sa­teurs des réseaux sociaux.

De quoi ren­for­cer encore le sen­ti­ment d’autonomie de l’individu au cœur de ces réseaux fon­da­men­ta­le­ment plus com­mu­nau­taires que sociaux. Mais, d’un autre côté, en pré­sence de méca­nismes d’intégration sociale qui ne fonc­tionnent plus ou à peine, et gagné par la peur du déclas­se­ment social, l’individu numé­rique se voit ren­voyé à son iso­le­ment, aux domi­na­tions qu’il subit dans sa vie quo­ti­dienne, et, en fin de compte, à son sta­tut de vic­time qui ne trouve plus à s’exprimer dans un mou­ve­ment de contes­ta­tion de l’ordre socio-éco­no­mique. Le repli iden­ti­taire est à por­tée demain…

Face à de tels défis, il ne suf­fit pas de rem­por­ter la bataille de la com­mu­ni­ca­tion sur les « affaires ». Ni de se lan­cer dans une course de vitesse pour réfor­mer la gou­ver­nance locale et ses règles (sans même attendre les résul­tats et les recom­man­da­tions de la com­mis­sion d’enquête par­le­men­taire Publi­fin, pour­tant dési­gnée à cette fin). Le corps social, déçu et en colère, n’en a que faire… même s’il lui arrive de s’en sai­sir, dans son désar­roi géné­ral, comme d’un os à ron­ger. Ce n’est pas la trans­pa­rence du poste de conduite qui doit être revue, mais la capa­ci­té à conduire le véhi­cule public au mieux de l’intérêt géné­ral qui doit être refondée.

  1. Inter­ven­tion à l’IHECS, le 27 février 2017, devant un audi­toire d’étudiants en 1er mas­ter de journalisme.
  2. Alain TOURAINE, La fin des socié­tés, Seuil, 2013

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