« Et depuis, je suis condamné à continuer de vous tuer ». Ce vers, tiré du poème qui ouvre le magnifique récit d’Émilienne Malfatto pose le cadre, l’ambiance pesante et moite dans laquelle elle nous plonge au long de la centaine de pages de son nouveau roman. Le colonel, le général, l’ordonnance, le soldat… autant de personnages que l’on croise sans jamais qu’ils soient nommés, comme pour mieux souligner l’inhumanité de leur mission et nous renvoyer à l’immonde réalité de notre monde perpétuellement en guerre où les victimes sont rarement nommées, distinguées, individualisées. Entre ses poèmes percutants, l’autrice nous immerge dans les pensées de ces hommes, instruments d’un pouvoir incarné par un être prostré derrière un bureau, sous un parapluie. Ces hommes, qui « floutent » le monde qui les entoure pour s’en extraire et accomplir leurs horreurs hors d’eux-mêmes. Depuis le début de la Reconquête, le colonel ne dort pas, ne dort plus ; « Après quel mort, quel interrogatoire, quelle bataille, quel corps qui n’en était plus un. C’est venu peu à peu, lui semble-t-il ». Alternant entre douceur et cruauté, entre prose et poésie, ce récit est une plongée dans la solitude des hommes qui font la guerre, dans le silence paradoxal au milieu des bombes assourdissantes, dans l’ignoble « habitude » de donner la mort… dans l’absurdité de ces guerres de pouvoir désincarnées où chacun perd son individualité, son nom… et le sommeil.
July RobertLe colonel ne dort pas
Émilienne Malfatto
Du Sous-sol, 2022