Misha Defonseca raconte comment, à la recherche de ses parents déportés dans l’Europe de l’Est, elle est recueillie et elle survit grâce à la protection d’une famille de loups. Son livre, qui sera aussi adapté au cinéma, connait un immense succès.
Sigmund Freud argumente sa théorie de la sublimation, soit le détournement des pulsions sexuelles vers la création esthétique, en se fondant sur la biographie de Léonard de Vinci, qui semble ne pas avoir eu de « vie sexuelle ». Freud illustre notamment par ce constat les relations complexes entre la psychanalyse et l’art.
Kitty Genovese est assassinée à New York le 13 mars 1964 à coups de couteau. Pendant plus d’une demi-heure, 38 témoins de ce meurtre assistent à la scène. Aucun n’appellera les services de secours ni n’interviendra. Le fait divers, outre un film transposé en France, a donné lieu à une théorie, appelée l’effet du témoin, fréquemment utilisée par les sciences sociales.
Hannah Arendt, lorsqu’elle assiste au procès d’Eichmann à Jérusalem, élabore son concept de banalité du mal. À son grand étonnement, l’accusé lui apparait comme un fonctionnaire quelconque, soucieux d’obéir à sa hiérarchie et non comme un nazi fanatique. Aucunement comme un monstre souffrant de troubles pathologiques.
François-René de Chateaubriand rencontre en 1791 le président des États-Unis Georges Washington. Lors de leur entretien, ils conversent notamment de la Révolution française. Washington montre même à l’auteur des Mémoires d’outre-tombe une clé de la Bastille, symbole de 1789.
Cinq histoires remarquables… À ceci près qu’elles sont rigoureusement inexactes. De pures fictions, des légendes urbaines, des interprétations fausses, bref, des fake news comme on les nomme aujourd’hui.
Misha Defonseca a totalement inventé son aventure avec les loups pour s’offrir une famille de substitution suite à l’épisode traumatique de la perte de ses parents en pleine guerre. Léonard de Vinci a en fait eu une activité amoureuse intense. Freud a projeté sur le peintre italien ses propres démons et son abstinence comme une relation en miroir. Il n’y a pas eu 38 témoins inactifs face au drame de Kitty Genovese mais cette affabulation nourrit notre fiction intime, nous offrant le beau rôle si nous étions confrontés à une telle situation. Enfin, Hannah Arendt a créé en Eichmann, qui était un nazi avéré dès les années 1930, un personnage conceptuel qui doit beaucoup à Martin Heidegger, son grand amour de jeunesse. Et Chateaubriand a totalement inventé l’épisode de son échange avec le premier président américain, convaincu d’enrichir la célébrité à venir de ses œuvres littéraires.
Cinq fictions, mises en exergue par Pierre Bayard dans un subtil et passionnant livre intitulé Comment parler des faits qui ne sont pas produits ? (Minuit, 2020). Pour nous convaincre, avec grand talent et une immense culture, de la fécondité du faux et de notre droit fondamental à la fabulation. La fabrique de la fiction par les êtres de récit que nous sommes, bien loin des théories du complot ou des vérités alternatives, la connexion avec de multiples univers alternatifs, favorisent tout d’abord le bien-être psychique tant individuel que collectif. Le droit de se raconter des histoires, « qui prend aussi ses distances avec l’idéologie contemporaine qui voudrait que le monde soit depuis peu entré dans l’ère de la post-vérité », est fondamentalement utile au progrès collectif comme à l’équilibre personnel de ceux qui y recourent. Il s’agit bien de reconnaitre les vertus de l’imagination et de préserver le droit des fabulateurs à raconter de bonnes histoires face aux menaces qui pèsent sur la fiction littéraire de par les minutieuses vérifications des « chicaneurs », qui « méconnaissent cet espace intermédiaire de l’invention si nécessaire à l’équilibre psychique des individus comme à la survie des peuples ».