Succes story ou access stories ?

Par Valentine Bonomo

Illustration : Vanya Michel

On dit sou­vent que c’est l’exception qui confirme la règle. Dans la socié­té vali­diste qui est la nôtre, on pour­rait dire que c’est l’exception qui confirme la norme. Le vali­disme est une forme d’oppression qui induit des dis­cri­mi­na­tions et la pré­va­lence de pré­ju­gés à l’encontre des per­sonnes vivant en situa­tion de han­di­cap phy­sique ou men­tal. Le vali­disme est une atti­tude nor­ma­tive qui condi­tionne le fonc­tion­ne­ment géné­ral de la socié­té, selon les cri­tères propres aux per­sonnes dites « valides ».

Les per­sonnes valides, dont je fais par­tie, sont sou­vent impres­sion­nées de voir des per­sonnes en situa­tion de han­di­cap faire des choses « nor­males » : sor­tir, créer, voya­ger, vivre seul·e ou au contraire faire famille, entre­prendre, mili­ter, faire des études avan­cées… L’imaginaire col­lec­tif les pré­sente alors comme extra­or­di­naires, des genres de super héro·ïnes en sommes. Mais pré­sen­ter les per­sonnes en situa­tion de han­di­cap comme des héro·ïnes est aus­si une manière de per­pé­tuer l’oppression, d’accepter que per­dure les obstacles.

Parce qu’en vrai, on ne sou­haite à per­sonne d’être des supers héro·ïnes : sou­vent isolé·es, à la fois anti­so­ciales et suradapté·es, contraint·es à l’irréprochabilité. Alors si les per­sonnes han­dies qui (s’en) sortent, se rendent visibles dans un monde qui n’est pas pré­vu pour elleux ne sont pas des supers héro·ïnes au des­tin excep­tion­nel (et récu­pé­rable par le bull­do­zer média­tique, deve­nant l’étendard confor­miste des valeurs qu’une socié­té don­née cherche à per­pé­tuer), elles pour­raient pour­tant, dans un heu­reux ren­ver­se­ment, nous venir en aide. Com­ment ? En nous obli­geant à repen­ser en pro­fon­deur l’enjeu de la par­ti­ci­pa­tion d’une plus grande diver­si­té de per­sonnes à la pro­duc­tion et la dif­fu­sion des ima­gi­naires via l’éducation et la vie culturelle.

Aujourd’hui, la ques­tion de l’accessibilité des espaces publics est en par­tie une obli­ga­tion légale. Acces­si­bi­li­té du public aux lieux cultu­rels ok, mais qu’en est-il des espaces de créa­tion pour les artistes elleux-mêmes, de la scène, des loges, des écoles, des salles de tra­vail ? Il existe une mul­ti­pli­ci­té d’angles morts dans notre manière de pen­ser « l’accès » qui ne demandent qu’à prendre vie, qu’à deve­nir des espaces d’expression pour une plus grande diver­si­té de formes de vie.

Dans le maré­cage cultu­rel dans lequel on patauge, il s’agirait bien de finir de bar­bo­ter pour oser aller tou­cher le fond du pro­blème. Quitte à s’embourber pour un temps dans la vase des idées confuses. Prendre en compte les situa­tions de han­di­cap ren­voie à la com­plexi­té d’une presque infi­ni­té de situa­tions sin­gu­lières dont on pour­rait se conten­ter de trai­ter les plus visibles pour évi­ter de se noyer. Doit-on vrai­ment s’adresser à tout le monde tout le temps ? L’accessibilité de nos pro­duc­tions est-elle une condi­tion limi­tante ? Dois-je tou­jours pro­po­ser des choses que tout le monde doit pou­voir com­prendre ? À ces ques­tions ver­ti­gi­neuses et non exhaus­tives, j’opposerai plu­tôt celles-ci : S’adresse-t-on tou­jours aux mêmes ? Écoute-t-on tou­jours les mêmes ? Quelle est notre res­pon­sa­bi­li­té par rap­port aux dépenses de l’argent public ? Le Groupe de Tra­vail « Culture Inclu­sive » de Uni­ted Stages — un label d’organisations cultu­relles enga­gées notam­ment pour le droit des étran­gers — s’est ins­pi­ré du guide pour « acces­si­bi­li­ser » un évè­ne­ment des Déva­li­deuses, dis­po­nible en ligne, lors de sa pre­mière réunion en juin 2022 : Quel idéal d’accessibilité sou­haite-t-on et peut-on atteindre selon l’évènement, la taille de la struc­ture et les moyens finan­ciers dont on dis­pose ? Com­ment com­mu­ni­quer sur l’accessibilité et tou­cher les per­sonnes concer­nées ? Com­ment mettre en place un plan de com­mu­ni­ca­tion qui inclut les ques­tions d’accessibilité ? Com­ment pen­ser les pro­ces­sus créa­tifs, la consti­tu­tion des équipes avec une pers­pec­tive inclu­sive ? Le fes­ti­val Équi­noxe ayant eu lieu en avril à Bruxelles a ser­vi d’exemple pour ce qui a été mis en place tant au niveau de l’accueil que de sa programmation.

Pen­ser l’accès, les mille moda­li­tés pour rendre acces­sible, c’est s’offrir un accès à soi-même pour voir et ren­con­trer d’autres manières d’être en vie, leur per­mettre de deve­nir visible pour, para­doxa­le­ment, ces­ser d’être trop regar­dée. Alors peut-être que nos gestes valides per­draient un peu de leur évi­dence stan­dar­di­sée, que nos corps valides sor­ti­raient de leur car­can, fait d’un alliage d’efficience et de pro­duc­ti­vi­té, et que nous regar­de­rions nos habi­tudes pour ce qu’elles sont : des habi­tudes, et non pas des lois de la nature.

Liens et références :

https://lesdevalideuses.org

https://equinoxesfestival.be/fr

https://www.instagram.com/laurpontak et son fanzine « Roule ou crève - Tips de lutte antivalidiste mais surtout pour mieux vivre sa vie handi »

https://www.mulakoze.com notamment l’intervention de Marianne Mulakozé lors du cycle Pouvoirs et Dérives IV de La Bellone ayant eu lieu au Café Congo en novembre 2021.

https://unitedstages.wordpress.com

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