Entretien avec Bertrand Montulet

Être à tout moment partout à la fois

Illustration : Agathe Dananaï

Le concept d’idéologie mobi­li­taire qu’a déve­lop­pé le socio­logue Ber­trand Mon­tu­let avec Chris­tophe Mincke dans « La socié­té sans répit » per­met d’éclairer le tou­risme sous le jour d’une idéo­lo­gie plus glo­bale, celle de l’hypermobilité par­tout et tout le temps. Nous sommes en effet sou­mis à des injonc­tions à (se) bou­ger, par­tir, chan­ger, se mou­voir (socia­le­ment, géo­gra­phi­que­ment…) qui ne sont pas sans rap­port avec l’explosion tou­ris­tique. Un phé­no­mène de fébri­li­té géné­rale qui rend la volon­té d’enracinement ou la rou­tine bien peu dési­rables face à la recherche constante de nou­velles oppor­tu­ni­tés et au mouvement.

D’où vient cette injonction à voyager, à partir le plus loin possible puisqu’une destination proche parait toujours moins bien, moins désirable qu’une destination lointaine ?

Avec Chris­tophe Mincke, nous avons vou­lu mon­trer que nous vivions dans une socié­té qui est en train de remettre en cause les fron­tières et où est sans cesse répé­tée l’idée d’un espace ouvert où il y a tou­jours une nou­velle oppor­tu­ni­té dans le temps qui se pré­sente et qu’il faut pou­voir sai­sir. Cette oppor­tu­ni­té, c’est celle de décou­vrir de nou­veaux espaces, d’être soi-même dans la décou­verte de la vie et du monde. En somme, l’idéal mobi­li­taire affirme : « Je dois pou­voir aller n’importe où, n’importe quand, quand ça se présente ».

Cette mobi­li­té « kiné­tique », c’est-à-dire le fait de pou­voir chan­ger tout le temps de pro­jets, de pou­voir tout le temps rebon­dir sur une nou­velle chose qui se pré­sente, nous éloigne des sécu­ri­tés tra­di­tion­nelles. Ain­si, on ne fait plus des vacances comme dans les années 1970 où on retour­nait chaque année au même cam­ping, pour retrou­ver les mêmes per­sonnes, dans un lieu qu’on connait déjà et dans lequel on a une part d’identité. Non, dans l’idéologie domi­nante actuelle, le type de voyage valo­ri­sé sera : pou­voir cir­cu­ler, être au bon endroit au bon moment, là où se passent les choses. Et si ces choses sont loin, ce n’est pas grave. Et si l’espace où je suis ne va être dif­fé­ren­cié des autres que par quelques petites carac­té­ris­tiques, par exemple si ma chambre d’hôtel va être la même par­tout dans le monde, tant pis. Pour peu qu’on soit au bon moment au bon endroit.

Toutes ces pres­sions à devoir sai­sir de nou­velles oppor­tu­ni­tés de dépla­ce­ments sont comme redou­blées par un jeu média­tique, par toutes les images que nous rece­vons conti­nuel­le­ment sur des nou­veaux coins du monde à décou­vrir, des nou­veaux endroits où aller. Elles sont autant d’incitations nous disant : « Tu dois te réa­li­ser ! », « Qu’est-ce que tu fais de ta vie ? », « Com­ment, tu n’as pas vu tel endroit ? ». En fait, aujourd’hui, les voyages ont en quelque sorte déjà été effec­tués sur vidéo, avant même qu’on y soit allés. Voya­ger ne devient qu’une sorte de concré­ti­sa­tion d’un ima­gi­naire qu’on a déjà vécu, jus­te­ment par l’image elle-même. Loin d’une décou­verte aven­tu­rière, il y a toute une inci­ta­tion à aller sim­ple­ment concré­ti­ser des images. D’autant plus qu’on va à son retour (ou pen­dant le voyage lui-même sur les réseaux sociaux numé­riques) mon­trer la pho­to comme pour dire « j’y étais, je l’ai fait ».

Ces injonctions au voyage et à partir prennent donc place dans un système plus global où plus on est mobile, mieux c’est. Un système qui nous enjoint constamment à la mobilité généralisée, à changer de boulot, de logement, de partenaires, d’opérateur pour trouver le meilleur prix…

Ce n’est en effet qu’un épi­phé­no­mène d’une logique glo­bale sui­vant laquelle il n’est plus pos­sible de s’ancrer : res­ter au même endroit, ce n’est aujourd’hui plus valide. Il suf­fit pour s’en convaincre d’observer la réac­tion des gens lorsqu’on leur dit qu’on ne part pas en vacances : on atti­re­ra pro­ba­ble­ment un regard un peu attris­té et des remarques de type « ah mon pauvre vieux… ». Et ce, même si on affirme avoir des acti­vi­tés inté­res­santes pré­vues ici

Ces idées de pou­voir aller par­tout, d’avoir envie d’aller par­tout, de construire soi-même son voyage en fonc­tion des oppor­tu­ni­tés qui se pré­sentent, de por­ter soi-même sa mobi­li­té cor­res­pondent très bien à l’idéologie d’aujourd’hui. C’est-à-dire aux dis­cours sui­vant les­quels nous devrions abso­lu­ment avoir une acti­vi­té, mais où nous devons en plus nous acti­ver et faire nos choix nous-mêmes, don­ner un sens à ce qu’on fait, être tou­jours dans des pro­jets. Et pou­voir évi­dem­ment rebon­dir sur de nou­veaux pro­jets qui se pré­sen­te­raient dans le temps.

Car même en vacances, on est som­més d’être actifs. Les vacances ne peuvent plus être le moment où on se dit « je m’arrête », sinon elles ne seront pas réus­sies. Donc, le voyage, c’est la pre­mière réponse à cette injonc­tion à la mobi­li­té, mais ça ne suf­fit pas. Si on dit qu’on est tout le temps res­té sur la plage, on nous dira qu’on est pas­sé à côté de son voyage. Il y a donc toute une pres­sion non seule­ment à être actif (à par­ti­ci­per à une série d’activités) mais aus­si à l’activation (à être la source de sa propre acti­vi­té). Et tout ça fait par­tie d’un même esprit idéologique.

C’est né avec le néolibéralisme ?

Si le néo­li­bé­ra­lisme a beau­coup d’accointances avec ce modèle-là, c’est avant tout for­te­ment lié à l’individualisation, un pro­ces­sus sui­vant lequel l’individu veut de moins en moins que le groupe lui assigne une place pré­dé­fi­nie et veut de plus en plus trou­ver lui-même la place qu’il va prendre, en fonc­tion de ses propres res­sources. Évi­dem­ment, le néo­li­bé­ra­lisme a sur­fé sur ce pro­ces­sus pour dire : « OK, trouve ton tra­vail ! Et si tu n’en trouves pas, c’est que tu ne t’es pas assez acti­vé pour ».

Plus for­mel­le­ment, le modèle du mar­ché éco­no­mique est lui-même un modèle d’étendue spa­tiale où les fron­tières ne sont pas les bien­ve­nues : je dois pou­voir com­mer­cer avec n’importe qui sans entrave. Le modèle de l’économie libé­rale ren­voie éga­le­ment, comme Marx l’avait déjà fait remar­quer, au pro­jet de récu­pé­rer le plus rapi­de­ment pos­sible le capi­tal inves­ti, pour mieux le réin­ves­tir ailleurs. L’espace ouvert et le flux constant de capi­taux cor­res­pondent donc par­fai­te­ment au modèle spa­tio­tem­po­rel valo­ri­sé aujourd’hui dans la socié­té sans répit.

Est-ce que cet idéal mobilitaire a tendance à servir les classes plus aisées, mieux dotées pour « saisir les opportunités », au détriment des classes populaires ?

Il y a en tout cas toute une ques­tion de rayon­ne­ment social lié à la mobi­li­té loin­taine. Quel est encore le sens, à l’heure de la vidéo­con­fé­rence, de faire des réunions inter­na­tio­nales qui demandent à tous les par­ti­ci­pants de se dépla­cer en avion ? Si c’est res­té une pra­tique très fré­quente, c’est avant tout parce qu’elle confère du pres­tige aux indi­vi­dus qui la pra­tiquent et qui évo­luent sou­vent dans les classes aisées (hommes et femme d’affaires, uni­ver­si­taires, etc.). Car plus on bouge, plus c’est prestigieux.

Si vous dites « moi, j’aime res­ter dans mon pays », le regard va direc­te­ment être sus­pi­cieux : « Tiens, est-ce que c’est un natio­na­liste ? Est-ce que c’est quelqu’un qui n’est pas ouvert au monde ? » Or, bien sûr, ce n’est pas parce que vous ne bou­gez pas que vous n’avez pas un cos­mo­po­li­tisme rela­tion­nel, c’est-à-dire une ouver­ture aux autres cultures, un inté­rêt pour ce qui se passe ailleurs, etc. Et ce n’est pas parce que vous bou­gez que vous avez néces­sai­re­ment cette ouver­ture. Pre­nons l’exemple cari­ca­tu­ral de tou­ristes qui ne sortent pas de leur Club Med mais qui affir­me­ront quand même « je suis allé au Séné­gal » alors qu’ils n’ont rien vu du pays. Ce n’est pas parce que le voyage est effec­tué que néces­sai­re­ment l’ouverture au monde est pré­sente. Mais mal­gré tout, on valo­ri­se­ra celui qui a voya­gé. Pre­nons aus­si l’exemple de l’étudiant Eras­mus qui aura pares­sé sur la plage à Bar­ce­lone mais qui sera pour­tant mieux vu et valo­ri­sé que celui qui sera res­té étu­dier labo­rieu­se­ment en Bel­gique. C’est comme s’il fal­lait néces­sai­re­ment être mou­vant pour être quelqu’un de bien. Il y a une idéo­lo­gie qui va dire : « Ah, voi­là quelqu’un qui voyage, qui découvre, qui est ouvert au monde ! » Peut-être qu’aujourd’hui, cette repré­sen­ta­tion com­mence à être bat­tue en brèche pour des ques­tions éco­lo­giques et se recon­fi­gu­re­ra à l’avenir.

Comme toute idéologie, non seulement, on est enjoint de faire quelque chose, ici de se bouger, de s’activer, de chercher le changement pour lui-même, mais en plus, on est aussi prié d’aimer ça et de l’affirmer. Comment cela se manifeste-t-il ?

Dans cette idéo­lo­gie mobi­li­taire, on vous demande de vous acti­ver, mais on ne va pas vous dire quoi et com­ment faire. Car c’est éga­le­ment à vous de trou­ver le moyen de ren­trer dans ce sys­tème en lui don­nant du sens, en éla­bo­rant un plan de manière auto­nome. La mobi­li­té doit deve­nir quelque chose qu’on estime posi­tif parce que sinon on remet en ques­tion cette injonc­tion à l’ouverture, à sor­tir des sen­tiers bat­tus, à devoir par exemple par­tir et réus­sir ses vacances par l’activité. Parce que sinon vous ne par­ti­ci­pez pas au monde qui est pro­po­sé, vous ne cher­chez pas votre propre déve­lop­pe­ment per­son­nel et vous êtes donc consi­dé­ré comme un loser ! Ou stig­ma­ti­sé comme inactifs.

C’est la même chose avec les injonc­tions don­nées aux chô­meurs. Il ne suf­fit pas de se dire qu’on est au chô­mage, c’est-à-dire un tra­vailleur pri­vé d’emploi, et rece­voir son allo­ca­tion ». Non, on est prié de s’activer, c’est-à-dire qu’on doit prou­ver qu’on cherche un emploi et ce, même si on sait qu’on n’a aucune chance d’en trou­ver ! Si on peut le prou­ver, on rece­vra son allo­ca­tion, sinon ce sera la preuve qu’on ne veut pas se réa­li­ser soi-même. Parce que la seule réa­li­sa­tion pos­sible, c’est en cher­chant du tra­vail, en res­tant « En Marche ». Il faut res­ter dans la fic­tion que la socié­té n’y est pour rien…

Dans le modèle idéal-typique en vigueur dans les années 60, je vise dans mes études à atteindre un sta­tut social que j’espérais gar­der toute ma vie. Avec peut-être des pos­si­bi­li­tés de pas­ser des concours ou de rece­voir des pro­mo­tions (des « mobi­li­tés de fran­chis­se­ment ») pour mon­ter les éche­lons de la pyra­mide. Glo­ba­le­ment, les choses sont stables et mon sta­tut m’est don­né par la société.

Mais aujourd’hui, la rou­tine est deve­nue quelque chose d’infréquentable. Ça devient dif­fi­cile d’affirmer « je suis bien là où je suis ». S’installer, s’établir, accep­ter la rou­tine, c’est per­çu comme quelque chose qui va nous détruire : non, il faut se bou­ger, chan­ger, entre­prendre ! C’est à moi de mon­trer tout le temps qui je suis. J’ai une posi­tion pro­fes­sion­nelle, mais qui sait si mon poste exis­te­ra encore dans 5 ans ? Si par mal­heur mon emploi est remis en ques­tion, ma qua­li­té sera de me recons­ti­tuer dans mon iden­ti­té sur autre chose. Or, tenir ce dis­cours n’est pas si facile que ça. Car en réa­li­té, on a besoin de rou­tine pour faire un bon bou­lot. Et puis, cha­cun inves­tit énor­mé­ment dans son par­cours pro­fes­sion­nel, il y a quelque chose d’identitaire pro­fond pour soi qui est lié à son tra­vail et se recons­truire n’est pas sans coût.

Justement, que masquent ces injonctions ? Des rapports sociaux de domination ? Des souffrances sociales ?

Nous sommes dans une socié­té qui vous enjoint à « mon­ter des pro­jets », avec une équipe puis une autre, etc. Mais à côté de ces cir­cu­la­tions en flux où les tra­vailleurs passent de pro­jet en pro­jet, d’équipe en équipe, nous avons aus­si tou­jours des struc­tures pyra­mi­dales héri­tées de la socié­té de l’ancrage.

Or, on consta­te­ra que cela peut être très avan­ta­geux de tenir ce type de dis­cours mobi­li­taire lorsqu’on est tout en haut de la pyra­mide… C’est-à-dire pré­ci­sé­ment là où on va pou­voir faci­le­ment déve­lop­per toute une série de pro­jets et se mou­voir socia­le­ment ‑on va même par­fois venir vous cher­cher parce que votre pro­fil est inté­res­sant- tout en ayant l’assurance du sta­tut d’être en haut. Bref, c’est très aisé de vivre la mobi­li­té quand on a toutes les sta­bi­li­tés de la pyra­mide… Et d’appeler tout le monde à plus de sou­plesse, de flexi­bi­li­té, d’agilité quand sa posi­tion à soi n’est pas remise en ques­tion. Cela per­met à un domi­nant d’être celui qui res­pecte le mieux les impé­ra­tifs mobi­li­taires (l’activité, l’activation, la par­ti­ci­pa­tion et l’adaptation), ce qui main­tient sa domi­na­tion en légi­ti­mant sa place tout en haut de la pyra­mide et l’exclusion de ceux qui sont à la traine. Le plus fort dans le jeu de mobi­li­té, c’est celui qui peut non seule­ment faire bou­ger l’autre, mais qui peut aus­si choi­sir ses mobilités.

D’autant que dans notre socié­té, on va tou­jours nier le coût de cette mobi­li­té — que l’individu doit por­ter seul. C’est-à-dire d’un pro­ces­sus qui va nous faire cou­rir par­tout et tout le temps, au risque de l’épuisement. On devrait donc tou­jours se poser la ques­tion de savoir si ce coût de mobi­li­té ramène vrai­ment une plus-value suf­fi­sante ou pas.

À propos de coût, est-ce qu’une société qui place comme valeur cardinale cette hypermobilité peut devenir écologique ?

Il y a l’idée ancienne de liber­té der­rière toute cette mobi­li­té, celle qui vous per­met d’aller où vous vou­lez, quand vous vou­lez. On se sou­vient par exemple du slo­gan « ma voi­ture, c’est ma liber­té ». Mais lorsque la mobi­li­té devient une injonc­tion, une obli­ga­tion à bou­ger, ça devient com­plè­te­ment para­doxal. Et puis sur­tout, com­ment contrô­ler les coûts liés à cette mobi­li­té phy­sique géné­ra­li­sée ? Com­ment conti­nuer à dire qu’il faut (se) bou­ger et prô­ner en même temps une réduc­tion de la mobi­li­té phy­sique en rai­son de son coût écologique ?

Et puis, com­ment faire vivre nos espaces locaux aujourd’hui ? On entend beau­coup de plaintes sur les coûts éco­lo­giques de la mobi­li­té mais per­sonne n’a réagi, ou si peu, quand la poste a sup­pri­mé de nom­breuses boites aux lettres en Wal­lo­nie. Ou quand on a sup­pri­mé les écoles de vil­lage pour les dépla­cer dans les centres urbains. Dans une logique éco­no­mique capi­ta­liste, depuis les années 80, on a ain­si concen­tré tous les ser­vices, obli­geant à des tra­jets sup­plé­men­taires et moto­ri­sés pour dépo­ser son cour­rier ou ses enfants, faire ses courses… Ce qui d’ailleurs pro­voque plus d’embouteillages car il nous faut tous aller au même moment, à la même heure et au même endroit. Il y a tout un enjeu éco­lo­gique à une décen­tra­li­sa­tion et à une déconcentration…

En plus de ce phé­no­mène de concen­tra­tion, les ser­vices locaux tendent aus­si à dis­pa­raitre en rai­son d’une logique de vitesse par le trans­port indi­vi­dua­li­sé qui fait que les espaces locaux fina­le­ment ne sont plus que des lieux de point à point. Il y a quelques années, j’avais ima­gi­né pour le Conseil cen­tral de l’économie un scé­na­rio de socio­lo­gie-fic­tion pro­vo­cant afin d’alimenter leur réflexion. Ain­si, si vous met­tiez un limi­teur de vitesse à 50 km/h sur toutes les voi­tures, vous n’interdirez pas la mobi­li­té : tout le monde pour­ra conti­nuer à se dépla­cer. Sauf que les trans­ports en com­mun devien­dront plus per­for­mants car vous irez plus vite en trans­port en com­mun qu’en voi­ture. Et puisque cela devien­dra cou­teux de se dépla­cer, même pour aller à 10 km, on peut aus­si ima­gi­ner un redé­ploie­ment local des ser­vices et com­merces de proximité.

Que faire pour sortir de cette guerre de vitesse et des distances qui comme vous le dites, « handicape bon nombre de catégories sociales et fatigue les autres » ? Existe-t-il des alternatives à l’idéologie mobilitaire ? Faut-il réapprendre les vertus de l’immobilité ?

Je crois que nous devons trou­ver moyen de reva­lo­ri­ser le local tout en ne niant pas le glo­bal dans ce local (c’est toute l’idée déjà énon­cée de « glo­cal »). Mais aus­si de trou­ver les moyens de ralen­tir : com­ment mettre du temps dans les espaces ? Au niveau urba­nis­tique, est-ce qu’on crée des réseaux qui per­mettent d’aller vite d’un point à l’autre mais où il n’y a plus de lieux parce que tout le monde est en mou­ve­ment constant ? Ou bien est-ce qu’on crée des lieux où il y a des fran­chis­se­ments, des espaces lents où on est obli­gé de prendre du temps pour faire les choses mais où on va ren­con­trer des gens, et où on va avoir une vie plus ancrée ? Ce qui ne veut pas dire qu’elle est décon­nec­tée. Quel équi­libre trou­ver entre ce qui serait de l’ordre du réti­cu­laire de la vitesse et ce qui relève des espaces locaux qui gardent du sens, des lieux. C’est à repen­ser complètement.

Le pro­blème, c’est que les réponses qu’on voit naitre sont des réponses d’extrême droite natio­na­liste avec des ten­ta­tives de recréer des fron­tières, des États-nations, où il y aurait des nous iden­ti­fiés et sup­po­sé­ment iden­tiques iden­ti­tai­re­ment. Non, il faut plu­tôt voir com­ment par­ve­nir à redon­ner du sens à des espaces qui vont bou­ger len­te­ment, mais qui sont bien connec­tés pour qu’on puisse aus­si avoir des acti­vi­tés externes. Com­ment est-ce qu’on assure ces connexions pour qu’elles soient les moins coû­teuses éco­lo­gi­que­ment ? Est-ce que c’est des livreurs qui doivent pas­ser chez tout le monde ? Ou est-ce que cha­cun doit se dépla­cer pour aller cher­cher son colis ? Com­ment reden­si­fier les villes, étendre et ren­for­cer l’offre en trans­ports en com­mun fiables, sûrs, et fré­quents ? Il y a des choix poli­tiques de long terme à réa­li­ser et je pense que nous ne rédui­rons pas nos contra­dic­tions sans chan­ger de modèle éco­no­mique : on ne trou­ve­ra pas en interne les solu­tions pour réduire les pro­blèmes qu’il cause, que ce soit en termes de dérè­gle­ment cli­ma­tique ou de mobilité.

Bertrand Montulet & Christophe Mincke, La société sans répit - La mobilité comme injonction, Éditions de la Sorbonne, 2019.

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