Dès le début de l’apparition du nouveau coronavirus et tout au long des mois qui ont suivi, nous avons tous et toutes pu constater que l’État s’est avéré étrangement incapable, curieusement empêché d’organiser des aides logistiques de base. En cause, semble-t-il, son corsetage puissant par l’imaginaire néolibéral. Ce qui a confirmé sa nature actuelle, sa nouvelle vocation, qui comme nous l’indiquait Alain Denault, l’incite à cesser d’être un État de droit pour devenir un État du droit. Entendez, du droit commercial. L’État n’est plus là que pour arbitrer entre acteurs économiques et faire respecter les lois du marché et règlementations commerciales. Dans des urgences et situations sortant de ce cadre comme nous l’avons connu ces derniers mois, il est tout simplement inadéquat et impuissant.
Alors que l’épidémie s’installe dans notre quotidien, puis le bouleverse lorsqu’est décidé dans la hâte le confinement, des appels à solidarité commencent à tourner sur les réseaux sociaux numériques, pour inviter à retourner la stratégie du choc par une déferlante de solidarité, à agir immédiatement quitte à passer en dessous des radars alors que plus globalement, l’ambiance est à la sidération et la critique sociale (curieusement) remisée pour des temps meilleurs (« L’après » fantasmé). En laissant le gouvernement d’urgence au plein pouvoir décider en paix, le niveau politique est au point mort, et l’action s’est déportée sur le terrain.
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Les brigades de solidarité populaire :
Seul le peuple sauve le peuple
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L’action des Brigades de solidarité populaire (BSP) fait partie de ces initiatives qui se sont multipliées lors du confinement. Ces collectifs de volontaires se sont développés dans différentes villes d’Europe — pour la Belgique, à Liège et à Bruxelles — répondant à un appel international à s’auto-organiser dont ils partagent les constats. En premier lieu le fait que « les gouvernements ne sont pas une solution à la crise sanitaire. Ils sont au service d’un système basé sur le profit et l’intérêt privé qui est à l’origine du désastre que nous connaissons et de la situation dramatique dans laquelle se trouvent les services de soins publics. »
La Brigade de Bruxelles-Saint-Gilles est hébergée par le DK, un lieu associatif situé dans le bas de la commune de Saint-Gilles qui ressemble beaucoup à un centro sociale autogestito italien. C’est d’ailleurs de cette tradition de forme d’action de solidarité directe et de terrain, qui trouve son origine dans l’Autonomie italienne mais aussi le communalisme de Murray Bookchin, que les Brigadistes se revendiquent pour essayer d’organiser un changement par le bas, en remplaçant les institutions existantes par des d’institutions dont se doteraient elle-même la population. Car, comme l’indique Gilles, un des membres de la Brigade bruxelloise, « comment faire confiance à des gens qui ont détruit les outils hospitaliers et les structures de solidarité depuis 30 ans ? Comment peuvent-ils se poser en sauveurs !? Sophie Wilmès en représentant l’archétype, elle qui a détruit des milliers de lits d’hôpital et tente aujourd’hui de passer pour la sauveuse de la nation ». Comment en effet donner le moindre crédit à des pompiers pyromanes ? Mais l’idée des Brigades c’est aussi celle de faire de la politique autrement, « de ne pas attendre des institutions ou de nos représentants qu’ils répondent aux urgences, d’attendre un sauveur ou une solution d’en haut, mais de se dire qu’il faut utiliser et organiser l’importante force sociale qui existe dans la société, souvent empêchée par l’atomisation des individus, pour provoquer un changement par le bas ». Une volonté reprise dans le slogan des BSP, un explicite « Seul le peuple sauve le peuple ».
Face au nouveau coronavirus, au confinement et ses conséquences sociales, chaque brigade développe des actions de première nécessité comme elle l’entend : certaines distribuent des colis alimentaires d’autres fournissent des repas, des masques, du gel, du soutien scolaire… Au total, 53 Brigades ont répondu à l’appel et agissent, principalement dans les grandes villes italiennes, françaises et donc belges. À Bruxelles, c’est sur la distribution de colis alimentaires pour des foyers précaires que la Brigade a centré son action : « on a décidé de commencer par ça, c’est un point de départ correspondant à la situation actuelle ».
Cette situation, c’est celle d’un appauvrissement accéléré des précaires. Les personnes « en situation de pauvreté ou d’exclusion sociale », suivant la formule consacrée, représentaient déjà 38% des Bruxellois-ses en 2019 selon le Forum bruxellois de lutte contre la pauvreté. Nul doute que ce chiffre aura explosé à l’issue de plus de 3 mois de confinement et donc de chute de revenus pour beaucoup et que les BSP ont observée sur le terrain1 « On a constaté que toute une partie des gens déjà dans la zone grise, précarisée et fragile, ont sombré dans la pauvreté à cause de pertes d’une grosse partie de leurs revenus ». Ce sont tous les travailleurs et travailleuses au noir qui n’ont droit à rien, qui ont des petits salaires et qui se retrouvent en chômage partiel avec des salaires à 70 % ou bien celles et ceux qui ont tout simplement perdu leur job, les sans-emploi en galère administrative qui se retrouvent face à une institution fermée, les sans-papiers, des étudiant-es, des mères célibataires avec plusieurs enfants. Bref, « toutes celles et ceux pour qui la vie est déjà assez pénible en temps normal et qui ont basculé dans la survie avec le corona. »
Depuis début avril, un noyau dur de 30 personnes (autour duquel gravitent une centaine de bénévoles plus ponctuels) s’active ainsi pour livrer chaque semaine une centaine de familles, pour collecter les produits, préparer les colis alimentaires et tenir les permanences. Les livraisons se font sur toute la région bruxelloise même si la volonté est d’agir au plus près du quartier. Et depuis qu’on déconfine, on peut aussi venir chercher son colis au DK. Les profils des volontaires sont variés. Étudiant·es en secondaires ou à l’université, personnes précarisées elles-mêmes qui viennent filer un coup de main, travailleur désœuvré ou au chômage technique, travailleurs sociaux dont l’institution a fermé durant le confinement… Une équipe de bénévoles, sans petits chefs, au fonctionnement horizontal où les volontaires sont libres de venir suivant leurs disponibilités et de partir quand ils le veulent. Si les dons alimentaires de particuliers ont afflué au début du confinement, ils ont fortement diminué aujourd’hui alors même que la demande, elle, explose. Alors, la récup d’invendus de différents magasins, la collaboration avec d’autres asbl pour diffuser leur surplus, les dons financiers et pendant un temps, la vente de masques en tissu fait dans leur atelier à prix libre permettent le financement des colis.
UNE ACTION POLITISÉE
Qu’est-ce qui différencie ce type d’action d’autres actions solidaires de terrain, menées par exemple par les Restos du cœur ? « On avait dès le départ l’idée d’une initiative plus consciente politiquement. Ce qui nous différencie peut-être d’autres asbl ou initiatives, c’est qu’on tient un discours politique de critique radicale au sujet du système qui nous a mis dans cette situation-là. Les colis servent à aider les gens mais aussi à essayer de créer des contacts, d’organiser une solidarité directe et de base au sein de la société par un travail de fond. » La distribution de colis n’est donc pas une fin en soi mais l’un des outils dans la panoplie d’action des BSP. Et une première amorce à une action de terrain qui s’est toujours projetée au-delà du confinement. Elle ne va pas s’arrêter avec la fin de la quarantaine, la précarité et les contradictions de l’ordre capitaliste ne disparaissant pas avec la fin de l’épidémie. Les BSP ne souhaitent pas court-circuiter des groupes ou associations présentes depuis bien plus longtemps qu’elles sur le terrain, elles agissent en coordination avec elles et viennent plutôt en renfort de celles-ci. « Et puis, même si on commence par les colis alimentaires, il y a tout un tas de volets qu’on veut développer, qui sont plus du ressort de luttes conflictuelles. » Et de fait, les BSP se rendent présents dans des mouvements sociaux comme les actions de La santé en lutte ou le collectif pour une grève des loyers à Bruxelles : « on partage toutes ces initiatives de ces groupes avec les publics qu’on touche. On participe à essayer de mobiliser autour de ces mouvements de base qui nous aideront à changer la société, plus que nos colis qui sont de l’ordre du sparadrap sur une jambe de bois. » Et pour les BSP à Bruxelles, la forme de l’action est appelée à changer suivant les circonstances : « si les volontaires viennent à manquer on devra réduire ou arrêter les livraisons et passer à d’autres types d’actions politiques ».
UN GOUVERNEMENT POUR LES MARCHÉS
Pour Gille et les BSP, la crise a confirmé que dans le néolibéralisme actuel, la fonction des gouvernants était plus d’assurer la continuité du marché que de gérer les besoins de la population. « Les actes des gouvernements ont été très en deçà de la menace supposée. Si une autre crise se profile un jour ça en dit long sur leur capacité d’agir politiquement dans l’intérêt des populations. » Qu’est-ce qui aurait pu se faire autrement dans la gestion de cette période d’épidémie selon lui ? En premier lieu, décider la suspension immédiate des loyers qui représentent plus de la moitié du revenu des foyers à Bruxelles, une ville qui connait « une gentrification globale et de fortes augmentations des loyers par des privés et des agences immobilières qui se constituent des fortunes et rendent les prix de plus en plus inabordables ». Mais toucher à la propriété privée, valeur très ancrée dans la Belgique bourgeoise, est loin d’aller de soi. Ainsi, aucune réquisition de logements vides ni réaffectation des hôtels (vides) ou des restaurants, qui auraient pu devenir des plateformes logistiques pour organiser la distribution de nourriture à ceux qui en avaient besoin n’ont été envisagés ne serait-ce qu’une minute : « On aurait aussi pu imaginer modifier leur fonction pendant le temps de l’épidémie mais la sacro-sainte propriété privée est un mythe qui construit notre société, et qui, même pendant une telle crise, rend compliqué le développement de solution de ce genre. Car nourriture et logements sont disponibles, ainsi que des lits d’hôpitaux supplémentaires au sein des cliniques privées, c’est juste qu’on n’en a rien fait ». La réquisition par les pouvoirs publics encore une fois, même par temps de crise, même dans l’urgence absolue comme celle qu’on a vécu, reste un grand tabou. On l’a aussi constaté dans la production des masques.
Alors que pendant le confinement, pour la plupart d’entre nous, atomisés au possible, distanciation oblige, nous avons tous souffert de l’impossibilité de jauger (hors des réseaux sociaux) de la colère sociale et du degré de politisation des individus, les BSP sont restés au contact de la population. Ils ont constaté un durcissement des discours des publics des colis, sur le mode du monde d’après qui doit changer : « À la fois chez les volontaires et dans nos publics on a rencontré des messages qui montraient un grand désir de changement. » Mais à présent, ce genre de discours tend à décroitre à mesure qu’on déconfine. « Après, je pense qu’on a un besoin d’une espèce de pseudo normalité pendant quelques mois, de retourner au boulot pour notamment combler les manques financiers, de sortir, de sociabiliser, mais les conséquences de la crise vont se faire sentir d’ici deux ou trois mois, ce qui va réveiller la colère des gens. » Ce qui promet une rentrée très chaude… et une seconde vague militante à venir.
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RÉPANDRE LA SOLIDARITÉ
ET POLITISER LES INTERNAUTES
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Face aux urgences sociales entrainées par un confinement décidé à la hâte, et après une période de valse-hésitation, par le gouvernement, de nombreux groupes d’entraide se sont spontanément constitués via et sur Facebook. Ils visent à faciliter l’organisation de la vague de solidarité qui s’est mise à naitre et à mettre en relation les personnes en besoin avec celles et ceux qui peuvent aider. « Spreading the solidarity, not the virus » est l’un d’entre eux. Il présente la particularité d’assumer des positions et discussions politiques pour les mettre au cœur de l’action de terrain là où beaucoup d’autres groupes les ont écartées par peur de fâcher certains volontaires.
Le confinement a en effet eu des effets sociaux immédiats. D’une part, des personnes âgées ainsi que des personnes « à risques » (porteuses d’une pathologie favorisant le développement du coronavirus et son issue fatale) se sont retrouvées assignées à résidence. Toutes ne bénéficiaient pas des moyens financiers ou d’une aide familiale ou amicale pour faire leurs courses et leur permettre de se nourrir. D’autre part, une partie de la population déjà fragile socialement s’est retrouvée avec encore moins de revenus et a basculé dans la pauvreté. Non seulement elle s’est retrouvée sans ressources. Mais aussi face à un État social désorganisé et fonctionnant au ralenti. En effet, de nombreuses institutions publiques mais aussi d’asbl parapubliques d’aides et d’entraide en tout genre ont fermé leurs portes et envoyé leurs travailleurs-euses à la maison. Cette situation mêlant limitation de la vie sociale et besoin d’aides a entrainé un basculement des solidarités sur internet. De nombreux groupes Facebook d’entraide ont alors surgi pour répondre à ces besoins criants.
Un groupe d’action créé en une heure
Réalisant très tôt la gravité de la situation autant que l’impréparation du gouvernement, Nadine et une amie initient ce groupe d’entraide dès le premier jour du confinement. Bientôt rejointes par des centaines de membres : « Sur base d’un post où je me demandais que faire avec ce confinement qui venait et qui a suscité beaucoup de réactions, on a créé ce groupe. En une heure, on était déjà 600 ! Tous proposant d’aider, traduisant les déclarations et les outils, fondant spontanément des groupes de travail (traduction, graphisme, organisation, réflexion…) c’était très joli ! ». La plateforme d’entraide « Spreading the solidarity – not the virus (« Propager la solidarité, pas le virus », slogan qui a fait florès depuis) est née. Leur première initiative a été de diffuser une affiche qui invitait chacun·e à laisser son numéro pour que des voisins dans le besoin puisent faire appel à eux. Ce visuel, rapidement traduit en 15 langues a ensuite fait le tour du web et des halls d’entrée d’immeuble. Le groupe se veut alors un lieu où non seulement on proposait de l’aide et/ou on en demandait (par exemple faire des courses pour des personnes isolées).
La plateforme atteint plus de 4500 membres. Elle a permis une assistance physique et permis de mettre en relation des bénévoles avec des personnes nécessitant de l’aide sur le mode de l’offre/demande de services. « C’était impressionnant de voir comment une série de personnes sans expériences ont pu monter en quelques jours une banque alimentaire, des services de distribution et de courses. » Le groupe a aussi initié un « Grocery for all » (« des courses pour tous »), c’est-à-dire des boites placées dans différents commerces où les personnes qui le peuvent laissent une denrée alimentaire et celles qui en ont besoin s’y servent. « Notre action est vraiment partie d’un constat d‘inaction, du manque d’un plan d’urgence. On a fait quelque part le travail dont l’État providence aurait dû s’occuper.» Mais la plateforme ne s’est pas limité à de la logistique, elle a aussi été un lieu où s’informer, échanger, et débattre sur ce qu’il nous arrivait.
Un groupe facebook politisé
Une des particularités de la plateforme – et contrairement à beaucoup d’autres groupes Facebook d’entraide pendant le confinement — a été d’autoriser sinon d’encourager les discussions politiques là où elles sont généralement prohibées et bloquées par les administrateurs, notamment par peur de se mettre à dos ou perdre certains membres. Nadine, insiste sur ce point : « Certains membres n’envisageaient cette crise que comme un problème purement sanitaire et se plaignaient dès qu’un post politisé était publié. Or, nous pensons qu’aucune solidarité ne peut être mise en place sans discussions et toile de fond sociopolitiques. Sinon, la solidarité devient juste un outil de charité pour qu’un groupe (ceux qui aident) se sente bien en aidant les autres. Autres constamment réduits à n’être que des personnes à aider. » Les échanges et discussions ont tout au long du confinement en effet essayé de lier cette crise sanitaire à une analyse du capitalisme contemporain ainsi qu’aux mesures néolibérales prises en Belgique ces dernières années qui l’ont causé. Mais aussi à différents terrains de lutte : « au racisme (certains groupes ont été atteints de manière plus forte que d’autres), au féminisme (car il n’y a pas eu de procédures efficaces en direction des femmes vulnérables confinées avec des partenaires violents). Mais aussi avec la solidarité internationale en évoquant les situations vécues dans le Sud global. »
Des posts condamnant la mort d’Adil, ce jeune Molenbeekois tué par la police lors d’une poursuite, a dans ce cadre joué comme un révélateur de certaines dissensions et provoqué un flot de commentaires ne comprenant pas la nécessité de pointer les abus policiers pourtant légion en plein confinement. Ce sont les mêmes qui ne comprenaient pas ce que la politique ou la solidarité internationale venaient faire là-dedans. Résultat : « On a perdu près de 600 personnes d’un coup. Peu importe, le travail doit être plus qualitatif que quantitatif. Et puis, on a remarqué qu’une présence de l’aspect politique plus visible amenait finalement plus de monde et de dynamique au groupe ! »
Autres particularités, l’aspect multilingue du site, « On poste en trois ou quatre langues en général, pour atteindre un maximum de gens. » Les membres sont ainsi invités à poster dans leurs langues, d’autres traduisant ce qui doit l’être. Ce qui a permis notamment à toute une frange de la population immigrée et pas forcément franco ou néérlando-phones de trouver de l’assistance et/ou des informations utiles. Une attention née notamment de la nature très mixte de l’équipe des admin, formée d’immigré-es (dont Nadine, arrivée du Liban il y a 10 ans) comme de locaux. Ce qui a permis une très grande diversité des intervenant·es dans les discussions et dans la couverture des besoins en aide notamment pour les populations immigrées, souvent déjà peu pourvues en contacts et réseaux à Bruxelles, qui se sont vues contraintes de vivre isolées : « On voulait monter une plateforme pour demander ou proposer de l’aide mais aussi pour évoquer ses peurs, partager ses analyses politiques de la situation ou des nouvelles de son pays. C’est un évènement global, on a dû aller en lockdown dans le monde entier, on avait des familles à l’étranger, et donc, à la peur pour nous ici se cumulait la peur pour nos proches là-bas. »
Le groupe a pu agir comme une machine à politiser les gens de bonne volonté soudainement mis au contact des réalités de la pauvreté en Belgique : « ça a ouvert les yeux de beaucoup sur les conséquences de l’austérité, y compris de gens qui la défendaient auparavant. » Même si aujourd’hui les autorités travaillent à faire oublier les colères passées. Et en termes de changement de rapport de force ? « Difficile à dire pour le moment ce qu’il va arriver, mais une chose est sûre : les effets de la crise ne font que commencer… »
L’urgence de revenir à des formes de militance « en présentiel »
L’analyse de la période récente devient aussi l’occasion de faire le bilan de la militance virtuelle, via les outils numériques. Ainsi en est-il des côtés éreintants de la gestion d’un groupe de plusieurs milliers de personnes où il devient par exemple nécessaire d’évacuer une dimension de dénonciation de celles et ceux qui n’auraient pas assez bien respecté le confinement : « On a eu des internautes qui jouaient dans le public shaming et invitaient carrément à les dénoncer à la police ! Ce qui a suscité d’intenses débats et recadrages évidemment » car d’une part ces commentaires touchaient en premier lieu les quartiers populaires et prenaient rarement en compte les dimensions socioéconomiques de celles et ceux qui ne respectaient pas à 100% le confinement. Et parce que d’autre part, un groupe de solidarité n’est tout simplement pas un auxiliaire de la police.
Nadine a aussi noté l’existence de plusieurs groupes jouant comme contrefeux à l’instar du groupe Take care of care : « Ils ont fait une pétition en ligne pour soutenir les soignant·es avec des revendications à peu près décentes. Mais en réalité, le groupe était piloté par le MR et essayait de donner le beau rôle à Sophie Wilmès, repeinte en responsable généreuse et compréhensives. La droite, qui a saboté l’hôpital public et refusait toute négociation, noyautait donc certains groupes de ‘’solidarité’’ ».
Mais les principales analyses que Nadine développe concernent l’usage des outils internet pour mener une action militante. « On a utilisé Jitsy [Logiciel de visioconférence, équivalent libre de Zoom] pour les réunions d’équipes et puis des messageries. C’est incroyable de constater tout ce qu’il est possible de faire sans jamais se rencontrer ! » Mais pour Nadine, il est urgent de revenir à des contacts physiques entre activistes. « La distanciation physique et les rapports par écran interposé ont fait beaucoup de mal au militantisme, dans sa dimension communicationnelle : beaucoup de nuances se sont perdues, beaucoup de quiproquos ont émergé débouchant parfois sur des disputes qu’on n’aurait pu éviter en face-à-face. » Les outils numériques se sont donc imposés dans l’urgence et il fallait faire avec pour toucher beaucoup de gens, mais ça a aussi tué beaucoup de dynamiques de luttes. « Se voir pour de vrai est indispensable pour désamorcer les conflits, pour faire des discours clairs (pas coupés par la technique ou le son pourri), pour exprimer des nuances, pour montrer son empathie au discours de l’autre… » Et de tirer de cette expérience une conclusion très opérationnelle : « On a besoin de ces plateformes pour la mobilisation mais pour l’organisation, c’est très différent. Je préfère autant que possible ne plus les utiliser pour le moment et reprendre des contacts directs. D’autant que le Covid-19 nous a appris que rester le plus local possible était le plus efficace. Un des enjeux actuels, c’est bien celui de susciter des connexions de proche en proche, en commençant par ses voisins et son propre quartier ! »
- L’Observatoire de la santé et du social de Bruxelles estime « à la louche » que les chutes de revenus des Bruxelloises·ses durant le confinement concernent en moyenne entre 22 % et 44 % des revenus suivant les mois.