Femmes en politique : les silences seront notre victoire

 Action « Votez Femmes » de différents groupes féministes contre la sous-représentation des femmes en politique devant le Parlement, Bruxelles, 1974 - Photo Jaak : Brouwers / Coll. Carhif-AVG.

Le 4 novembre 2020, Kama­la Har­ris est élue vice-pré­si­dente des États-Unis. Le fait est his­to­rique : elle est la pre­mière femme afro-indienne à occu­per cette fonc­tion à la Mai­son Blanche et suc­cède à 49 vice-pré­si­dents. Autre pays, même constat, Éliane Tillieux, dépu­tée fédé­rale du Par­ti socia­liste, devient la pre­mière Pré­si­dente de la Chambre des représentant·es : elle suc­cède à 51 hommes dans cette fonc­tion. Tout qui milite pour une socié­té non sexiste ne peut que se réjouir de ces vic­toires. Cepen­dant, lorsqu’on étu­die la place glo­bale des femmes en poli­tique, ces vic­toires sont des excep­tions dans une culture poli­tique encore lar­ge­ment domi­née par les hommes, en Bel­gique comme ailleurs. En 2020, sans consi­dé­ra­tion pour ses idéaux poli­tiques, pour­quoi fau­drait-il encore se réjouir lorsqu’une femme accède à une haute fonc­tion de l’Etat ?

Femmes politiques : une histoire récente

Le droit de vote des femmes n’est pas si ancien. Dans de nom­breuses démo­cra­ties, les femmes n’obtiennent ain­si le droit de vote qu’après la Pre­mière Guerre mon­diale (France, Alle­magne, Pays-Bas, Royaume-Uni…) ou plus tar­di­ve­ment après la Seconde, comme en Bel­gique (mais aus­si en Ita­lie, au Por­tu­gal, en Grèce…). Cette conquête fémi­niste est le fruit d’un long com­bat mené par les femmes pour faire recon­naitre leur droit élé­men­taire. Elles ont gagné leur droit d’éligibilité plus vite que leur droit de vote : les pre­mières femmes élues au niveau fédé­ral sié­geaient alors même qu’elles n’avaient pas pu voter elles-mêmes. Il s’agit des socia­listes Marie Spaak-Jan­son (1921) et Lucie Dejar­din (1929).

L’analyse gen­rée des résul­tats élec­to­raux tra­duit la non-cor­ré­la­tion entre l’octroi d’un droit et son effec­ti­vi­té. Les femmes peuvent effec­ti­ve­ment voter, elles peuvent se pré­sen­ter sur des listes élec­to­rales mais elles conti­nuent à être mino­ri­taires dans la plu­part des cénacles et sont presque inexis­tantes dans les fonc­tions pre­mières (telles que pré­si­dentes de par­ti, cheffes de gou­ver­ne­ment, pré­si­dentes d’assemblées, bourg­mestres, gou­ver­neures ou Pre­mières ministres)1. Pal­lier cet échec de la pari­té en poli­tique reste un enjeu majeur dans un pro­jet de socié­té inclusive.

Parité, quotas, tirette, etc.

Dès 1948 donc, l’accès aux élec­tions légis­la­tives est garan­ti pour les femmes, mais elles res­tent mino­ri­taires comme can­di­dates et élues à tous les niveaux de pou­voirs et tout par­ti confon­du (elles pla­fonnent aujourd’hui à 10 % d’élues dans les par­le­ments belges). À par­tir des années 19902, de nou­velles règles élec­to­rales entrent en vigueur. En 1994, la loi Smet-Tob­back impose une repré­sen­ta­tion mini­male d’un tiers par genre sur les listes. Ces quo­tas seront ensuite por­tés à 50 % en 2002.

La même année, la Consti­tu­tion est modi­fiée afin d’y intro­duire le prin­cipe du droit fon­da­men­tal à l’égalité des hommes et des femmes et d’organiser leur égal accès aux man­dats élec­tifs et publics. L’article 11bis garan­tit notam­ment la pré­sence de femmes au sein du gou­ver­ne­ment fédé­ral. Mal­heu­reu­se­ment, à cette époque, les places les plus stra­té­giques res­tent trus­tées par des hommes.

En 2009, une nou­velle règle­men­ta­tion impose une alter­nance de genre dans les deux pre­mières places des listes élec­to­rales, pour favo­ri­ser la pré­sence des femmes aux places éli­gibles. En 2018, le sys­tème est encore une fois ren­for­cé par l’instauration du sys­tème dit de « la tirette », qui impose l’alternance entre les hommes et les femmes sur l’ensemble de la liste.

Enfin, en 2019, et pour la pre­mière fois, un décret impose un quo­ta dans un exé­cu­tif. Depuis lors, le gou­ver­ne­ment wal­lon doit être au moins com­po­sé d’un tiers d’hommes ou de femmes.

Mécanisme correcteur

Per­sonne n’aime les quo­tas. Ni les hommes poli­tiques qui ont dû renon­cer à une place qui leur sem­blait légi­time au pro­fit d’une femme parce qu’elle est une femme, ni les femmes qui se voient attri­buer une place éli­gible ou un poste dans un exé­cu­tif parce qu’elles repré­sentent le genre sous-représenté.

Pour autant, d’un point de vue sta­tis­tique, tout le monde s’accorde sur leur effet posi­tif. Au fédé­ral, le nombre de femmes élues est pas­sé de 15 % en 1995 à 41 % en 2019. Les femmes occu­paient 2 man­dats sur 17 dans le gou­ver­ne­ment en 1995, alors que dans la majo­ri­té actuelle elles occupent la moi­tié des postes. Dans les enti­tés fédé­rées, l’augmentation est éga­le­ment signi­fi­ca­tive, bien qu’assez dif­fé­rente selon les régions. Jusqu’en 2004, il n’y avait aucune femme ministre en Région wal­lonne, aujourd’hui elles occupent 3 man­dats sur les 8 que compte le gou­ver­ne­ment wal­lon. En Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles, 3 femmes sur 5 depuis 2019. Et la Fédé­ra­tion a comp­té en 2014 la pre­mière ministre des Droits des femmes3.

La popote interne

Pour autant, lorsqu’il s’agit de choi­sir la per­sonne qui occu­pe­ra le poste de tête de liste, et ce, qu’importe le niveau de pou­voir, les femmes sont très mino­ri­taires. Le nombre de femmes bourg­mestres ne repré­sente pas plus de 19 % des bourg­mestres en place. De la même manière, nous avons connu récem­ment la pre­mière femme Pre­mière ministre de l’histoire de la Bel­gique, mais sa nomi­na­tion s’est dérou­lée dans une période inédite de pan­dé­mie, dans le cadre d’un man­dat tran­si­toire, et parce que son pré­dé­ces­seur accé­dait à d’autres fonctions…

Même constat pour les pré­si­dences des par­tis poli­tiques, un poste cru­cial dans le pay­sage poli­tique com­plexe qui est le nôtre. Tant en Flandre (1/6) qu’en Wal­lo­nie (1/6), les femmes peinent à accé­der à ces postes.

Pour cer­tains obser­va­teurs poli­tiques, les par­tis poli­tiques ne sont pas tou­jours enclins à favo­ri­ser la pari­té dans leur orga­ni­sa­tion élec­to­rale et dans l’accession à des postes-clés. Dès lors, il n’est pas éton­nant que lorsqu’il s’agit d’attribuer des postes sur base de négo­cia­tions internes et dans le cadre de majo­ri­tés élec­to­rales, la pré­sence des femmes reflète peu leurs résul­tats élec­to­raux4.

Culture virile et climat hostile

Cer­tains élé­ments cultu­rels et sociaux consti­tuent aus­si des freins impor­tants à la pari­té en politique.

La culture du monde poli­tique reste domi­née par des modèles mas­cu­lins qui seraient répu­tés incar­ner l’autorité et ins­pi­rer confiance. Face à cette culture gen­rée très sté­réo­ty­pée, pen­dant des années, les femmes poli­tiques ont adop­té les codes et atti­tudes de leurs homo­logues mas­cu­lins afin de cor­res­pondre au mieux à l’image atten­due du res­pon­sable poli­tique5.

Cepen­dant, l’arrivée crois­sante de femmes dans la sphère poli­tique, y com­pris à des fonc­tions exé­cu­tives, tend à modi­fier ce méca­nisme de mimé­tisme. En effet, on voit appa­raitre dans les dis­cours média­tiques une valo­ri­sa­tion de la poli­tique au fémi­nin qui s’exercerait au tra­vers de carac­té­ris­tiques et d’attitudes dites « fémi­nines », comme l’attention aux autres, le dia­logue, l’empathie, le dés­in­té­res­se­ment… Cette ten­dance a été illus­trée par la valo­ri­sa­tion pen­dant la crise sani­taire des pays diri­gés par des femmes6, comme si être une femme pré­dis­po­sait ces diri­geantes à prendre davan­tage soin de leur population.

C’est donc mal­heu­reu­se­ment tou­jours au tra­vers de sté­réo­types de genre bien ancrés que l’action d’un homme ou d’une femme poli­tique sera jugée valable ou adé­quate. Cette vision des iden­ti­tés gen­rées est un frein per­ma­nent pour les femmes poli­tiques, qui risquent à tout moment de ne pas cor­res­pondre à l’image atten­due. Ces sté­réo­types consti­tuent un frein aus­si pour les hommes qui sou­hai­te­raient faire de la poli­tique autrement.

Les femmes poli­tiques doivent par ailleurs sou­vent répondre, réagir ou se jus­ti­fier sur des élé­ments qui n’ont rien à voir avec leur man­dat poli­tique. Les remarques sexistes ou com­por­te­ments dépla­cés leur font ain­si subir une « double peine » : après avoir été vic­times de sexisme, elles subissent des réper­cus­sions lorsqu’elles le dénoncent. Au point que nom­breuses sont celles (Lau­rette Onke­linx, Joëlle Mil­quet, Véro­nique Sal­vi,…) qui ont pré­fé­ré renon­cer, tota­le­ment ou par­tiel­le­ment, à la vie politique.

Les femmes poli­tiques sont aus­si davan­tage vic­times de cybe­rhar­cè­le­ment ou de cyber­sexisme, au point de par­fois devoir quit­ter les réseaux sociaux et perdre ain­si en visi­bi­li­té7. Et l’objectif der­rière cette vio­lence est clair : exclure les femmes de l’espace public numé­rique, alors même que près de 92 % des conte­nus sexistes signa­lés ne sont pas sup­pri­més par les pla­te­formes qui les abritent.

Deux textes ini­tiés par le PS ont été dépo­sés cette année à ce sujet : un par Laurent Devin sur la sen­si­bi­li­sa­tion, la pré­ven­tion et la lutte contre les dis­cours de haine et le har­cè­le­ment, y com­pris dans l’univers numé­rique, et un second par Gwe­naëlle Gro­vo­nius sur les vio­lences faites aux femmes, trans­po­sées dans les uni­vers numériques

De nom­breuses ini­tia­tives existent dans ce cadre de la lutte contre les dis­cri­mi­na­tions, sou­li­gnons par exemple la rédac­tion du « Code du droit des femmes » par l’association Fem&L.A.W., une ASBL créée par des femmes, juristes et fémi­nistes dont l’objectif social est au confluent du droit et des fémi­nismes. Le Nou­veau Plan Droits des Femmes 2020 – 2024 de la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles, quant à lui, s’articule autour de quatre axes : lut­ter contre les vio­lences faites aux femmes ; décons­truire les sté­réo­types et agir sur les repré­sen­ta­tions ; assu­rer une meilleure repré­sen­ta­tion des femmes dans tous les sec­teurs pro­fes­sion­nels et à tous les niveaux dans les ins­tances de déci­sion et les postes à res­pon­sa­bi­li­tés ; et enfin faci­li­ter la conci­lia­tion vie pri­vée – vie pro­fes­sion­nelle. Par ailleurs, la confé­rence inter­mi­nis­té­rielle sur les Droits des Femmes a pour mis­sion de ren­for­cer la coor­di­na­tion et les col­la­bo­ra­tions entre les dif­fé­rents niveaux de pou­voir pour garan­tir les droits des femmes dans tous les domaines de leur vie quotidienne.

Car, comme l’ont affir­mé les dépu­tées du Par­le­ment wal­lon puis du Par­le­ment fédé­ral en octobre der­nier, « les femmes sont plus qu’un quo­ta ». C’est exact, elles repré­sentent près de la moi­tié de l’humanité. Il est grand temps qu’elles ne soient plus sous-repré­sen­tées en politique.

  1. Les pour­cen­tages gen­rés des man­dats poli­tiques sont dis­po­nibles ici. À titre d’exemple, il n’y a qu’une femme à la pré­si­dence d’un par­ti poli­tique et il n’y a que 18 % de femmes bourg­mestres en Wal­lo­nie et une seule bourg­mestre sur 19 com­munes à Bruxelles.
  2. Dans le pro­lon­ge­ment des mou­ve­ments fémi­nistes tels que « Votez femmes », voir « Les femmes et le droit de vote en Bel­gique : un peu d’histoire », Centre d’Archives et de Recherches pour l’Histoire des Femmes.
  3. Sabine Panet, « Cinq ans de minis­tère des droits des femmes : pari tenu ? », Axelle Mag, N° 217, Avril 2019.
  4. Comme le sou­ligne Sophie van der Dus­sen : « L’ordre utile sur une liste de can­di­dats et les votes de pré­fé­rence sont deux autres fac­teurs impor­tants. Or à ce niveau-là, c’est le choix des par­tis qui reste déter­mi­nant. (…) C’est un groupe res­treint de man­da­taires et de diri­geants du par­ti qui choi­sit la per­sonne à mettre en tête de liste ou qui désigne celles et ceux qui assu­re­ront un poste clé. Les par­tis poli­tiques sont donc in fine les acteurs qui ont en mains les cartes d’une évo­lu­tion vers davan­tage de pari­té. » in « La repré­sen­ta­tion des femmes en poli­tique (1994 – 2013) », Cour­rier heb­do­ma­daire du CRISP, N°2199 – 2200, 2013.
  5. Les Femmes Pré­voyantes Socia­listes (FPS) ont consa­cré un dos­sier très com­plet sur cette ques­tion en 2018 consul­table ici.
  6. Voir par exemple cet article : « Coro­na­vi­rus : les pays diri­gés par des femmes s’en sont mieux sor­tis, selon une étude », Gré­goire Ryck­mans, rtbf.be, 29/08/2020.
  7. « Les jeunes femmes poli­tiques, cybe­rhar­ce­lées », Bel­ga publiée le 20/05/2019 sur rtbf.be.

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