Entretien avec Lily Zalzett et Stella Fihn

Quand l’associatif exploite pour la bonne cause

Illustration : Vanya Michel

Lorsqu’iels expriment un mal-être, les travailleur·euses de l’associatif sont régu­liè­re­ment confronté·es à un dis­cours insi­dieux que résume la for­mule : « Te plains pas, c’est pas l’u­sine ! ». Com­pa­ré à d’autres sec­teurs du monde du tra­vail, ce serait, en effet, un pri­vi­lège de pou­voir tra­vailler sans logique de pro­fit, sur des mis­sions qui ont du sens, dans une ambiance cool, éga­li­ta­riste où tout le monde se tutoie sous le regard bien­veillant d’un patron, lui-même, sala­rié. C’est pré­ci­sé­ment cette asser­tion qu’ont choi­sie pour titre Lily Zal­zett et Stel­la Fihn pour leur livre qui décons­truit l’idée d’une « famille asso­cia­tive » afin de rompre avec son mythe, et de dévoi­ler l’exploitation struc­tu­relle qui pro­voque, chaque jour, un nombre crois­sant de départs, démis­sions et burn out.

Dans ce livre, les deux autrices fran­çaises cherchent à inter­ro­ger le rap­port dou­lou­reux que bon nombre de travailleur·euses entre­tiennent vis-à-vis de l’associatif. Leurs pro­pos s’appuient sur un double point de vue : celui d’une ex-sala­riée, deve­nue mili­tante syn­di­cale au sein d’ASSO (Action des Salarié·es du Sec­teur Asso­cia­tif) et, celui d’une mili­tante dans des col­lec­tifs auto­nomes, obser­vant une déser­tion des espaces de luttes par l’associatif. À par­tir de leurs expé­riences per­son­nelles, Lily Zal­zett et Stel­la Fihn convoquent les témoi­gnages de per­sonnes ayant tra­vaillé dans l’associatif afin de dis­sé­quer ce sec­teur. Y sont ain­si abor­dées les dif­fé­rentes domi­na­tions qui s’exercent mal­gré les ten­ta­tives d’invisibiliser le rap­port employeur-employé et les inéga­li­tés entre salarié·es, ou encore, l’« idéo­lo­gie du dévoue­ment » qui empri­sonne les travailleur·euses dans le sur­tra­vail, les contrats pré­caires et les heures sup­plé­men­taires non payées. Le sen­ti­ment de bos­ser pour la « bonne cause » est éga­le­ment mis à mal dans le livre lorsqu’on regarde de plus près la fonc­tion qu’occupent les asso­cia­tions dans la socié­té et le lien ambi­gu qu’elles entre­tiennent avec l’État. De l’encadrement du pro­lé­ta­riat dès le début du 20e siècle à celui des jeunes de quar­tiers à par­tir des années 1980, le monde asso­cia­tif n’a jamais été libre et auto­nome par rap­port au pou­voir poli­tique. Deve­nues les pres­ta­taires idéales de l’État car les moins chères et les plus com­pé­ti­tives, les asso­cia­tions sont désor­mais obli­gées de répondre à d’innombrables appels d’offre, mar­chés publics et appels à pro­jets afin de garan­tir leur sur­vie. Fau­drait-il pour autant déser­ter le sec­teur asso­cia­tif ? Pas for­cé­ment. Mais lut­ter en son sein ne se fait pas à n’importe quel prix. Cela sup­pose de croi­ser toutes les oppres­sions et de pen­ser les luttes de façon trans­ver­sales. En défi­ni­tive, comme le dit l’une des autrices : « Ça ne s’op­pose pas de lut­ter contre l’État et contre son employeur. Ça s’ar­ti­cule ».

Aviez-vous le sentiment d’un manque, voire d’un impensé, dans la théorie critique concernant la souffrance au travail dans le secteur associatif ?

Lily Zal­zett : Il y a des ouvrages qui existent mais qui sont plu­tôt uni­ver­si­taires, on manque de cor­pus d’intervention là-des­sus. On avait envie de réa­li­ser des entre­tiens avec des per­sonnes en souf­france, de récol­ter et, en même temps, de libé­rer la parole. Ce tra­vail d’écriture se veut être un outil de lutte. Pour per­mettre aux travailleur·euses de prendre du recul et de retrou­ver un espace de parole. Et pour faire en sorte qu’iels soient moins isolé·es. Car on a vu de nom­breuses per­sonnes par­tir en burn out et se sen­tir res­pon­sable de ce qu’il leur était arri­vé, se disant : « C’est de ma faute, j’ai trop tra­vaillé ». C’est pour­quoi il était impor­tant pour nous de sor­tir des tra­jec­toires indi­vi­duelles du burn out.

Stel­la Fihn : Cette souf­france struc­tu­relle est à mettre en lien avec le mythe construit autour du pro­jet asso­cia­tif. Celui de l’en­ga­ge­ment, des mis­sions qui ont tout de même du sens, des modes d’or­ga­ni­sa­tion qui sont moins enca­drés que dans les autres sec­teurs du monde du tra­vail. Il y a un flou artis­tique qui pro­duit struc­tu­rel­le­ment une exploi­ta­tion et qui l’invisibilise. Et, donc, qui aug­mente la souf­france. On se retrouve embringué·e dans cette dyna­mique, à sur­tra­vailler et ce, sans même arri­ver à le formuler.

Cependant, vous observez depuis quelque temps une prise de conscience chez les travailleur·euses de l’associatif par rapport à ces conditions de travail délétères comme en témoigne, en France, l’essor du syndicat Asso. Comment l’expliquez-vous ?

SF : Je pense que c’est lié au fait que le sec­teur asso­cia­tif est véri­ta­ble­ment en train de rem­pla­cer les ser­vices publics. On demande de plus en plus aux asso­cia­tions de s’oc­cu­per de la repro­duc­tion sociale dans son ensemble. Les travailleur·euses asso­cia­tif com­mencent à s’en rendre compte et com­prennent qu’il serait en réa­li­té plus avan­ta­geux pour eux d’avoir un sta­tut de fonctionnaire.

LZ : Aupa­ra­vant, les travailleur·euses asso­cia­tifs syn­di­qués rejoi­gnaient la branche dans laquelle iels bos­saient. Iels ne se recon­nais­saient pas tant comme salarié·e de l’associatif mais plu­tôt comme travailleur·euses dans le social, la culture ou encore le médi­co-social. Aujourd’hui, les salarié·es se demandent de plus en plus si la situa­tion com­mune ce n’est pas uni­que­ment le fait de tra­vailler dans la culture mais aus­si d’a­voir, par exemple, un Conseil d’Administration. Au-delà de ce que tu fais, de ce dans quoi tu tra­vailles, le cadre de l’association défi­nit un com­mun. Au sein d’Asso, on syn­dique les tra­vailleurs asso­cia­tifs tous domaines de tra­vail confon­dus. Ce qui n’est pas non plus sans poser de ques­tions. Il n’y a par exemple pas de conven­tion col­lec­tive com­mune à l’associatif.

La force du livre est de montrer ce qui est structurel à tous types d’associations confondus. Vous n’avez pas voulu proposer une cartographie du monde associatif. Est-ce que c’était un choix voulu dès le départ ?

LZ : C’é­tait un choix qui répon­dait à un dis­cours qui m’a tou­jours éner­vé dans le sec­teur, celui qui consiste à dire : « oui mais ça c’est vrai que dans les grosses struc­tures ». Comme si dans les petites asso­cia­tions tout allait bien parce que c’est « fami­lial ». D’ailleurs, dans nos entre­tiens, on rece­vait des per­sonnes tra­vaillant dans de toutes petites struc­tures mais qui expri­maient une souf­france simi­laire à celle des travailleur·euses des grandes asso­cia­tions. Nous avons donc plu­tôt vou­lu mon­trer ce qui était com­mun en termes d’exploitation et de souf­france au tra­vail. L’idée est de ras­sem­bler les travailleur·euses dans la lutte plu­tôt que de les divi­ser en fonc­tion des spé­ci­fi­ci­tés du secteur.

Vous montrez que dès les origines – avec la loi de 1901 – un rapport ambigu et d’instrumentalisation se noue entre État et associations en France.

SF : Pour l’État, la créa­tion du monde asso­cia­tif sert à pro­duire de la paci­fi­ca­tion. Dès le début du 20e siècle, l’idée est d’en­ca­drer tout ce qui est cor­po­ra­tions ouvrières ou pro­lé­taires, tout ce qui est com­munes libres, orga­ni­sa­tions auto­gé­rées. Entre l’As­so­cia­tion inter­na­tio­nale des tra­vailleurs (AIT), les cor­po­ra­tions ouvrières méga-puis­santes, ou les com­mu­nau­tés auto­gé­rées qui se déve­loppent, les États euro­péens ont du fil à retordre avec les masses pro­lé­ta­riennes. Il y a donc une vel­léi­té de la part de l’État à pou­voir inté­grer, contrô­ler et légi­fé­rer sur ces orga­ni­sa­tions, avant qu’elles ne deviennent trop sub­ver­sives et dangereuses.

C’est véri­ta­ble­ment à par­tir des années 1970 que s’opère une délé­ga­tion du ser­vice public à l’associatif. Avant on avait une fonc­tion de l’État qui consis­tait, via le ser­vice publiques, à mettre en place les condi­tions néces­saires à ce que la socié­té puisse se repro­duire : la salu­bri­té et la san­té publique, l’éducation, et tout un tas d’outils pour que les inéga­li­tés ne soient pas trop criantes, ou plu­tôt que la socié­té conti­nue à exis­ter sans explo­ser, mal­gré des inéga­li­tés struc­tu­relles. Désor­mais, avec la délé­ga­tion du ser­vice public aux asso­cia­tions, non seule­ment la repro­duc­tion n’est plus un ser­vice de l’État mais elle devient un marché.

De plus, on observe cette arnaque ultime qui consiste à employer des « tra­vailleurs pairs » [des per­sonnes qui ont une expé­rience de vie et/ou de mala­die simi­laire à celles des béné­fi­ciaires avec qui elles tra­vaillent NDLR]. C’est-à-dire que ce sont les béné­fi­ciaires de ces ser­vices, ceux-là mêmes qui subissent les inéga­li­tés, qui vont être employés, à moindre coût, pour mettre en place les gardes fous qui leur per­mettent de res­ter suf­fi­sam­ment calmes pour main­te­nir leur propre sta­tut de pauvre ! C’est comme si l’État s’était dit : « Tiens, et si on employait le lum­pen­pro­lé­ta­riat à des condi­tions de salaires les plus bas pos­sible pour qu’il s’occupe de sa propre sur­vie sociale dans le sys­tème néo­li­bé­ral ! ».

LZ : En France, le gou­ver­ne­ment a mis en place, en 2021, le Contrat d’En­ga­ge­ment Répu­bli­cain (CER). C’est un contrat que toute asso­cia­tion qui reçoit des sub­ven­tions publiques – même une sub­ven­tion de 500 euros – est désor­mais obli­gée de signer. L’association s’y engage à res­pec­ter « les valeurs de la Répu­blique ». C’est extrê­me­ment flou. Depuis quelques jours, une affaire fait grand bruit autour de ce CER et concerne l’association pour le cli­mat et la jus­tice sociale, Alter­na­ti­ba. Le pré­fet macro­niste de Vienne reproche à cette asso­cia­tion d’avoir orga­ni­sé, à Poi­tiers, un ate­lier sur la déso­béis­sance civile. Selon lui, et au nom de la loi Sépa­ra­tisme, ces ate­liers de déso­béis­sance civile sont jugés incom­pa­tibles avec le CER signé entre l’association et les col­lec­ti­vi­tés. Il exige que soient reti­rées à Alter­na­ti­ba cer­taines sub­ven­tions. Il y a aus­si eu des cas d’associations mena­cées pour avoir tenu des réunions en mixi­té choi­sie. D’un côté, on a l’en­ca­dre­ment éco­no­mique de l’État qui oblige les asso­cia­tions à répondre à des appels à pro­jets, et, de l’autre, l’en­ca­dre­ment poli­tique avec le CER.

Pensez-vous qu’on a une vision trop angélique de l’associatif ?

LZ : Quand on défend le mou­ve­ment asso­cia­tif, on se réfère sou­vent à l’État. On lui demande des sub­ven­tions et, donc oui, en toute logique, celui-ci légi­fère. Il pour­suit sa logique d’État : il a besoin d’ins­tru­ments pour mettre en place des poli­tiques et, il le fait, notam­ment, via les asso­cia­tions. S’il met de l’argent, il veut un retour sur inves­tis­se­ment. J’ai l’im­pres­sion qu’on a été pen­dant trop long­temps coin­cé dans une espèce de dis­cours moral par rap­port aux asso­cia­tions qui consiste à dire, en sub­stance, que celles-ci sont intrin­sè­que­ment du côté du bien et qu’il ne faut pas que l’État les rende mau­vaises. Mais il ne s’a­git ni d’être bon ou mau­vais. Je trouve que c’est impor­tant de « dé-mora­li­ser » ces ques­tions car c’est aus­si à cause de direc­tions asso­cia­tives qui disent qu’il faut défendre le sec­teur que tu te retrouves à bos­ser deux fois plus. Quand ton patron te dit « atten­tion, on est mena­cés par l’État », ton tra­vail devient qua­si­ment du mili­tan­tisme. Et, bien évi­dem­ment, tu ne comptes plus tes heures. Notre livre tente de démon­ter ce dis­cours. On avait envie de pen­ser ensemble la place des asso­cia­tions dans la socié­té, ce qu’elles pro­duisent comme condi­tions de tra­vail pour­ries et comme pré­ca­ri­té au nom de la « cause ».

En quoi la logique de financement par « projet » a des impacts négatifs, à la fois, sur les bénéficiaires et les travailleur·euses ?

SF : Pour leur sur­vie, les asso­cia­tions dépendent de plus en plus des appels à pro­jets pour les­quels elles vont pré­tendre mobi­li­ser des com­pé­tences et un réseau qu’elles n’ont pas. Par exemple, on a vu à Mar­seille une asso­cia­tion de réduc­tion des risques répondre à l’appel à pro­jet « #Lab­zé­ro », un labo­ra­toire d’innovation publique finan­cé par l’État et coor­don­né par la pré­fec­ture de région, cen­sé réduire la pré­sence des SDF sur Mar­seille ! Cette asso­cia­tion, qui n’avait aucune com­pé­tence en matière d’aide à l’accès au loge­ment ni sur la ques­tion des mineurs étran­gers non accom­pa­gnés, s’est retrou­vée à pla­cer des jeunes migrants dans des hôtels tenus par des mar­chands de som­meil ! Alors que les mineurs étran­gers non accom­pa­gnés ont droit à un héber­ge­ment. Non seule­ment les asso­cia­tions qui sont cen­sées faire le bou­lot de l’État, n’ont aucune com­pé­tence pour le faire. Mais en plus elles par­ti­cipent à pri­ver les usa­gers de leurs droits, plu­tôt que de pous­ser l’État à assu­mer ses responsabilités.

LZ : En interne, la consé­quence concrète des appels à pro­jets va consis­ter à faire bais­ser les salaires. Lorsque les asso­cia­tions répondent à un appel à pro­jet, la col­lec­ti­vi­té ter­ri­to­riale pren­dra la moins chère : la variable d’a­jus­te­ment, c’est le salaire. Cela signi­fie qu’une direc­tion va dire à un·e travailleur·euse : « réponds à cet appel à pro­jet car il finan­ce­ra ton poste ». On se retrouve à pro­duire son propre outil de tra­vail ! Et comme les asso­cia­tions ne sont pas des SCOP (Socié­té coopé­ra­tive et par­ti­ci­pa­tive), si tu gagnes plus d’appels à pro­jets, tu ne gagne­ras pas pour autant 20 % en plus sur ton salaire. C’est uni­que­ment la pro­duc­tion de ton propre salaire. Ce qui crée de l’é­pui­se­ment face à une mul­ti­pli­ca­tion de dossiers.

Vous portez une attention particulière aux différents rapports de pouvoir qui s’exercent dans les associations afin de contrer cette idée d’un « nous » associatif.

LZ : Dans les entre­tiens, il y a une figure type du patron asso­cia­tif qui res­sort très régu­liè­re­ment. C’est celle d’un homme blanc, entre 40 et 50 ans, issu du milieu mili­tant, qui a mon­té l’asso à bout de bras et qui passe son temps à dire qu’il est comme les autres, que lui aus­si a démar­ré avec un bas salaire. Cette par­tie-là du livre était aus­si par­ti­cu­liè­re­ment impor­tante pour nous afin de mon­trer les inéga­li­tés entre salarié·es. Beau­coup de mes col­lègues ont régu­liè­re­ment pu me dire : « entre nous, il n’y a pas de dif­fé­rences ». Pour­tant, la seg­men­ta­tion genre/classe/race montre exac­te­ment l’inverse. Ces travailleur·euses qui pré­tendent ne pas voir les rap­ports de domi­na­tion sont, par ailleurs, très sou­vent bien doté·es en capi­tal cultu­rel, avec des hauts niveaux d’é­tudes. Iels ne se rendent pas du tout compte qu’iels ont les bons codes, le bon lan­gage. Iels passent pour des travailleur·euses très impliqué·es et le patron les laisse plu­tôt tran­quilles sous pré­texte qu’iels « com­prennent le sens des choses ». Cette ques­tion des diplômes, de qui a accès aux bons postes dans l’as­so­cia­tif, CDD ou CDI, de mi-temps ou temps plein est impor­tante à obser­ver afin de rele­ver les disparités.

Vous avez décidé de féminiser en grande partie votre texte car vous dites que les femmes dans les associations ont une existence sociale spécifique. Pouvez-vous nous la décrire ?

SF : D’une part, on observe qu’il y a prin­ci­pa­le­ment des femmes dans le médi­co-social et dans l’é­co­no­mie sociale et soli­daire : les emplois du care sont essen­tiel­le­ment fémi­nins. D’autre part, plus on aug­mente dans la hié­rar­chie, plus ça se masculinise.

LZ : Dans le tra­vail asso­cia­tif, on est bio­lo­gi­sée en tant que femme. Par exemple, s’il y a un conflit d’équipe, ce sont très sou­vent les femmes qui s’occupent d’al­ler voir les tra­vailleurs. Elles se mettent à faire du care de conflit. On pense que ce sont des gestes intrin­sèques et natu­rels à sa condi­tion de femme. C’est incroyable que ces ques­tions qui relèvent du care ne soient abso­lu­ment pas ques­tion­nées, même dans les asso­cia­tions qui raflent, par exemple, tous les appels à pro­jets sur les ques­tions d’é­du­ca­tion anti-sexiste. Des assos qui iront ensuite expli­quer aux gamins de quar­tier qu’ils doivent faire atten­tion à leur com­por­te­ment sexiste…

L” « idéologie du dévouement » que vous décrivez emprisonnerait encore davantage les femmes ?

LZ : Lorsqu’on se plai­gnait de devoir trop bos­ser, le pre­mier réflexe de mes col­lègues mas­cu­lins était de dire « mais per­sonne t’o­blige à faire ça ! ». On a sou­vent ten­dance à rétor­quer aux femmes qu’elles sont trop inves­ties émo­tion­nel­le­ment. Ton dévoue­ment, on le crée, on le recherche mais on te le reproche aus­si, et par­ti­cu­liè­re­ment si tu es une femme.

Vous ne vous prononcez pas sur des modèles de gouvernance qui pourraient améliorer les choses…

LZ : On n’avait pas envie de pro­po­ser un outil par­fait ou un mode de gou­ver­nance à suivre même si on peut quand même affir­mer qu’il est pri­mor­dial de faire exis­ter, au sein de la struc­ture, des espaces de parole pour tous·tes les salarié·es avec l’employeur. En fait, une mode inquié­tante sévit actuel­le­ment en France, celle du « dis­po­si­tif local d’ac­com­pa­gne­ment ». En gros, ce sont les asso­cia­tions qui s’oc­cupent des asso­cia­tions qui vont mal. C’est une espèce de milieu alter­na­tif qui fait payer des jour­nées de for­ma­tions très chères pour trou­ver des solu­tions pra­tiques et par­faites pour mettre fin à la souf­france au tra­vail… On avait très peur que le livre soit employé de cette manière-là. Or, je pense que c’est bien aux salarié·es de défi­nir les modes qui sont adap­tés et qui sont en rap­port avec leurs luttes, avec leurs situa­tions vécues, et non pas à un bou­quin ou une for­ma­tion de dire com­ment faire.

Il en va de même dans la défense de la liber­té asso­cia­tive qui ne doit pas être décon­nec­tée de la ques­tion du tra­vail. Il faut, certes, défendre ces liber­tés mais ça se fait avec les salarié·es. et les usager·es. Ne délé­guons pas la ques­tion des luttes asso­cia­tives à des repré­sen­tants hauts placés.

Lily Zalzett, Stella Fihn, Te plains pas, c’est pas l’usine - L’exploitation en milieu associatif, Niet, 2022 (rééditon enrichie d’une postface sur le travail associatif en temps de pandémie et des perspectives de lutte)

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