Discussion croisée autour du travail communautaire en santé

« L’important c’est de continuer »

Crédits : Habitant·es des Images

Le Centre Exil est un centre de san­té men­tale pour vic­times de tor­tures et de vio­lences orga­ni­sées, créé il y a 40 ans par des réfugié·es latino-américain·es. L’équipe mul­ti­dis­ci­pli­naire et mul­ti­cul­tu­relle offre un sou­tien aux exilé·es et leur famille, un accom­pa­gne­ment tant indi­vi­duel que col­lec­tif. Depuis plu­sieurs années, les pro­jets artis­tiques et com­mu­nau­taires prennent place au côté des autres dis­po­si­tifs de soin et de pré­ven­tion. L’asbl Habitant·es des images mènent ain­si des ate­liers de créa­tion avec des usa­gères du lieu. Nous avons ren­con­tré ensemble l’artiste et ani­ma­trice Méla­nie Peduz­zi, Jas­mine Gou­lam qui fré­quentent le Centre depuis de nom­breuses années, Reza Kazem­za­deh qui le dirige, Maria Gla­dys Busse et Claire Vuyl­steke qui y tra­vaillent res­pec­ti­ve­ment en tant que psy­cho­logue et méde­cin géné­ra­liste. Ce fut l’occasion d’une dis­cus­sion en jan­vier 2022 sur les res­sorts de ces pro­jets col­lec­tifs et créa­tifs – leur tra­vail com­mu­nau­taire – qui les ras­semblent et la manière dont chacun·e se nour­rit per­son­nel­le­ment et pro­fes­sion­nel­le­ment de ces ren­contres et du tra­vail du soin. Bribes de dialogues.

Travail communautaire et pratique de soin

Reza Kazem­za­deh (direc­teur du Centre) Dès la fon­da­tion du centre, nous avons eu un inté­rêt pour ce que nous appe­lons le tra­vail com­mu­nau­taire. L’une des pro­blé­ma­tiques impor­tantes des per­sonnes qui viennent en Bel­gique, c’est qu’elles laissent der­rière elles leur famille, leur culture, leur socié­té et une série de repères, les rues, des images. Ici, uti­li­ser ce qui est de l’ordre de l’artistique per­met de créer des liens et de l’intérêt pour le pré­sent. L’activité artis­tique n’a pas de but pré­cis, c’est pour soi, pour nour­rir sa curio­si­té, son plai­sir. Une manière per­son­nelle mais moins directe de ren­trer en contact avec les autres. Les artistes ont une approche dif­fé­rente, pas la même logique ni com­pré­hen­sion de ce qui touche à nos patient·es. Lorsqu’on arrive à col­la­bo­rer, c’est riche.

Jas­mine Gou­lam (usa­gère du Centre) Je suis arri­vée en Bel­gique en 1998. Quand on arrive, on est malades, mais pas dans le sens de cloué·es au lit, mal dans notre tête. On est perdu·es d’avoir dû quit­ter notre pays, édu­quer les enfants dans un contexte dif­fé­rent. Ren­con­trer des groupes de femmes, de maman, d’ados, venant aus­si de dif­fé­rentes cultures, ayant dif­fé­rentes manières, ça nous aide sur ce che­min. Les camps et la pra­tique d’ac­ti­vi­tés artis­tiques aus­si. Je me rap­pelle une acti­vi­té. On devait créer des êtres humains : c’est un jeu qui est res­té dans la tête de mes enfants alors qu’ils ont main­te­nant plus de 30 ans. Ils devaient ensuite en prendre soin, sans agres­si­vi­té. Ils étaient heu­reux de fabri­quer quelque chose, de le faire en groupe. Ils ont fait une mai­son, des cabanes pour les humains, ils s’y sont ins­tal­lés, ensemble. Et ça a conti­nué, et continué.

Tu me demandes c’est quoi « l’inverse du tra­vail com­mu­nau­taire » ? Si on fait quelque chose, c’est bien de conti­nuer, deman­der l’avis si on est blo­qué, deman­der à quelqu’un, trou­ver les solu­tions, pas­ser le relais. L’important c’est de conti­nuer.

Reza C’est vrai. On parle d’un groupe de tra­vail, quand on fait à plu­sieurs mais si on uti­lise aus­si le mot de com­mu­nau­taire/com­mu­nau­té, c’est pour insis­ter sur l’idée d’une conti­nui­té, de créer quelque chose qui laisse des traces et conti­nue à exis­ter même si on est plus ensemble. Les enfants, les femmes les hommes, plu­sieurs géné­ra­tions : c’est com­plexe dans la plu­part des acti­vi­tés, mais ça per­met une forme de varié­té, une sorte de vivre-ensemble, une recons­ti­tu­tion sou­vent pro­vi­soire mais qui mar­quait les gens pour qui la famille n’est pas pré­sente. Ça per­met de se sen­tir dedans, avec les autres, comme on était dans le temps. On avait au départ des groupes de femmes et des enfants, puis après un cer­tain temps, on a invi­té des hommes qui, depuis qu’ils sont ici en Bel­gique, ne sont plus en pré­sence des enfants res­tés au pays, pour cer­tains c’étaient trau­ma­tique. Alors on recrée un envi­ron­ne­ment infor­mel, qui per­met de reprendre le jeu, de s’approcher des enfants, et ça leur appor­tait beau­coup. La plu­part des choses qu’on fait ne sont pas tout à fait cal­cu­lées à l’avance. On découvre en fai­sant et en dis­cu­tant avec les per­sonnes qui par­ti­cipent et nous racontent ce que ça pro­duit, et alors on a été convain­cu de conti­nuer tout ça.

Jas­mine Ici, on a créé une famille. Quand je suis arri­vée je connais­sais per­sonne, ma famille c’est les gens que j’ai ren­con­trés à Exil et dans le centre à Ivoire où je suis arri­vée au début. On s’est connu ici, mais on se voit ailleurs. C’est ici notre noyau, mais on amène le noyau ailleurs. Ici à Exil, les équipes font leur réunion, sans nous. Nous aus­si les mamans, on conti­nue entre nous, sans eux. On parle, on dit qu’on a peur, on dit des choses qu’on n’arrive pas à expri­mer avec eux. Moi je n’osais pas dire tout ce qui me fai­sait peur, ce que j’avais vécu, ce qui s’est vrai­ment pas­sé dans le pays. Mais avec plu­sieurs avis des autres, qui ont vécu aus­si des choses, ça donne plus confiance et alors on com­mence à pou­voir parler.

Méla­nie Peduz­zi (artiste et ani­ma­trice) En tant qu’artiste et ani­ma­trice, je peux évo­quer plus spé­ci­fi­que­ment le cadre des ate­liers qu’on pro­pose. On essaye de mettre en place une dimen­sion hori­zon­tale, d’effacer les rôles. On est là toute en tant que femme ayant vécu des expé­riences, avec des idées des reven­di­ca­tions, des sen­si­bi­li­tés par­ti­cu­lières, on se raconte des choses. On fabrique des choses en lais­sant émer­ger la volon­té de cha­cune. Cette année on a pro­je­té la créa­tion de masque, mais aus­si d’images et d’écrits. Avec le covid, les masques sont arri­vés dans nos vies sou­dai­ne­ment alors on a déci­dé cette année de s’emparer de cette forme mais d’ou­vrir le champ aux masques pré­sents dans nos cultures res­pec­tives, voir com­ment c’est aus­si un outil de trans­for­ma­tions, qui prend part à des rituels, qui nous pro­tège. Nous tra­vaillons la dimen­sion sym­bo­lique autant que ce qui touche à la san­té phy­sique. Nous abor­dons plein de ques­tions liées aux mieux-être, nous abor­dons la thé­ma­tique de la san­té mais pas de manière fron­tale. On fait des sor­ties, on va voir des expos. Nous en sommes encore à un stade inter­mé­diaire du pro­jet où beau­coup de choses res­tent à défi­nir. On par­tage des récits, on prend des notes pour aller vers la fabri­ca­tion. Pos­si­ble­ment un livre de recette sur com­ment vivre mieux et res­ter en vie, sur le rhume ou les soins de la peau ou les pro­prié­tés des pierres, beau­coup de choses héri­tées de nos familles. Les recettes peuvent être aus­si sym­bo­liques, pour pas­ser une épreuve par exemple.

La créa­tion du masque est un espace pré­texte qui n’est pas un espace de consul­ta­tion médi­cale mais un espace de liber­té qui per­met d’un peu effa­cer les rôles de cha­cune. C’est dans l’aspect com­mu­nau­taire qu’on se relie vrai­ment. Pas un but spé­ci­fique, par rap­port à une consul­ta­tion. Pour les ate­liers, nous venons avec des lignes direc­trices mais très flexibles, sans objec­tifs pré­cis ou quan­ti­fiés, des choses qui puissent déclen­cher la parole. C’est une démarche qui demande pour­tant beau­coup de pré­pa­ra­tion et de travail.

Moi, je suis artiste et ani­ma­trice mais je me posi­tionne aus­si en tant que femme et ça me fait du bien aus­si de livrer des choses de ma situa­tion, de réflé­chir sur moi-même, aux autres, à com­ment on est ensemble. On se voit quelques fois même en dehors des ate­liers, c’est ain­si que je vois cet aspect com­mu­nau­taire. Je pense que don­ner accès à son quo­ti­dien et son inti­mi­té per­met de mettre en place une vraie rela­tion de confiance et de par­tage. Ça nous ins­crit alors dans un échange plus hori­zon­tal où on apprend mutuel­le­ment les unes des autres et où on prend du plai­sir. On va aus­si beau­coup plus loin dans les sujets qu’on aborde.

Maria Gla­dys Busse (psy­cho­thé­ra­peute) Moi je suis donc psy­cho­logue, péru­vienne d’origine, et j’ai un inté­rêt par­ti­cu­lier pour le tra­vail avec les femmes et le tra­vail de groupe au sein de l’institution. Pour moi, la base de la san­té c’est la ren­contre avec les gens, être avec les autres.

Le tra­vail com­mu­nau­taire, c’est pour moi l’idée d’être à plu­sieurs, de créer ensemble, de valo­ri­ser le côté plus vivant, actif, créa­tif des per­sonnes, d’ouvrir un espace qui s’inscrive dans le temps, en fabri­quant des bons sou­ve­nirs à par­tir de rien.

Par rap­port à mon rôle dans le groupe : je par­tage les pro­pos de Méla­nie, mais je nuance. On est là en tant que per­sonne, mais j’ai un rôle de faci­li­ta­trice. Faci­li­ter cet espace, la rela­tion avec les autres, être alerte, je sens que j’ai une res­pon­sa­bi­li­té pour que les choses se passent bien pour le dire dans des termes très simples. S’il y a une dis­cus­sion, ou quelqu’un qui ne va pas bien, je dois spé­ci­fi­que­ment être là pour accueillir sou­te­nir, rebondir.

Circulation des savoirs et partage d’expérience

Méla­nie Oui, c’est aus­si une demande qu’on a faite. Nous ne sommes pas des pro­fes­sion­nelles de la san­té mais on aborde des sujets par­fois hyper pro­fonds et qui font res­sor­tir beau­coup de choses. Il y a quelques fois des pleurs. La psy­cho­logue ou l’assistante sociale peuvent alors sor­tir avec la per­sonne et prendre le temps avec elle. C’est impor­tant pour nous de tra­vailler dans le cadre d’une struc­ture comme Exil, parce qu’on n’a pas la for­ma­tion pour et qu’il y a des outils à connaitre. On ne peut pas tout gérer.

Claire Vuyl­steke (méde­cin géné­ra­liste) dans mon tra­vail, j’ai tou­jours abor­dé les patient·es de façon glo­bale, dans une approche psy­cho-médi­co-sociale mais je fais aus­si par­tie des pro­jets com­mu­nau­taires. J’ai par­ti­ci­pé aux camps, aux acti­vi­tés de groupe pour les­quelles les asso­cia­tions nous amènent des outils dont nous ne dis­po­sons pas. Avec Maria Gla­dys, nous devons être là car les patientes nous connaissent. Elles ont besoin d’un espace de sécu­ri­té et confiance alors qu’elles ont déjà beau­coup de dif­fi­cul­tés avec leur demande d’asile, etc. Notre pré­sence est alors impor­tante pour elle, mais le tra­vail com­mu­nau­taire est aus­si pour nous un espace d’observation, qui nous per­met de voir des choses qu’on ne voit pas en consul­ta­tion indi­vi­duelle, des choses à retra­vailler ensemble avec les patientes par la suite.

Maria Gla­dys On ne peut oublier com­plè­te­ment notre res­pon­sa­bi­li­té par­ti­cu­lière. On doit se deman­der com­ment se posi­tion­ner. Récem­ment, face aux ques­tions liées au covid et aux vac­cins, les posi­tions peuvent être très sen­sibles, très tran­chées et les opi­nions diver­ger beau­coup. Je dois réflé­chir avant d’ouvrir ma bouche, me deman­der com­ment pro­té­ger les per­sonnes, avoir conscience du poids de ma parole là-dedans, et lais­ser aus­si les per­sonnes s’exprimer. On réflé­chit en équipe là-des­sus, pour savoir ce qu’il est plus impor­tant de mettre en avant, en fonc­tion des situa­tions. Je dois faire atten­tion à ne pas adop­ter de paroles sur­plom­bantes, tout en don­nant mon avis et en assu­mant la res­pon­sa­bi­li­té que j’ai.

Par ailleurs, ma fille a aus­si par­ti­ci­pé aux stages pen­dant plu­sieurs années et mon mari par­ti­ci­pait à la der­nière jour­née qui était sou­vent fes­tive. Nos familles peuvent être impli­quées au même titre que celles de nos patient·es. Cette expé­rience a beau­coup enri­chi ma fille qui en parle encore en termes d’une expé­rience chouette, gaie, de décou­verte et par­tage. Pour moi, c’é­tait une manière de par­ta­ger mon monde avec elle et lui faire décou­vrir d’autres réalités.

Les stages rési­den­tiels per­met­taient de par­ta­ger la vie quo­ti­dienne avec nos patient·es et de nous retrou­ver dans les dif­fi­cul­tés com­munes aux heures du repas ou du coucher.

Pour mes patientes en par­ti­cu­lier, savoir qu’elles pou­vaient comp­ter sur les autres femmes et sur moi dans ces moments, repré­sen­tait un bon appui.

J’é­tais consciente que mes patientes me regar­daient mais je me disais que la pos­si­bi­li­té de consta­ter que tout le monde a des pro­blèmes, huma­nise la rela­tion et la rela­ti­vise. On a beau­coup par­lé de ces moments ensemble pen­dant le stage et aus­si plus tard, en consul­ta­tion pour désa­mor­cer la charge émo­tive, les com­prendre et cher­cher des alternatives.

Ces stages m’ont per­mis sur­tout de voir des aspects vitaux et la force de mes patient·es. Alors qu’en consul­ta­tion se sont les aspects fra­giles et les thèmes dou­lou­reux qui se tra­vaillent, en stage, c’est plu­tôt la joie, les pos­si­bi­li­tés, les res­sources qui se montrent plus clairement.

Jas­mine Ça m’a beau­coup aidé. Avant, par exemple, je n’avais jamais fait des exer­cices de relaxa­tion, j’ai com­men­cé ici en Bel­gique. Ça nous a vrai­ment beau­coup aidées. Les autres l’ont dit aus­si. On peut faire des mou­ve­ments, ça peut te libé­rer, t’es pas juste malade, ça peut allé­ger les sou­cis. Je viens ici faire des choses et j’aimerais bien conti­nuer quand j’arrive chez moi, pas vivre bru­ta­le­ment, écou­ter de la musique douce. Pas tou­jours dur, cou­rir, tel­le­ment on est habi­tué avec ce rythme, cou­rir, être pres­sées. Pen­ser à res­pi­rer, je me parle à moi-même car on vit avec l’angoisse tout le temps. À cause de ce qu’on a vécu. On a des cica­trices, qu’on a du mal à gom­mer. Comme si tu avais beau­coup des­si­né, tu gommes mais il y a encore des traces, il faut gom­mer longtemps.

Méla­nie Per­son­nel­le­ment, je pense que ce qui est très impor­tant, c’est d’être à l’écoute de soi-même. Ce qui nous appa­rait bon pour nous, sera bon pour nous. C’est la force du men­tal sur com­ment on est en san­té. Des choses qui me sont impo­sées, si pas claires pour moi dans ma tête, je ne l’accepterais pas avec mon corps. Ce qu’on pense qui est bien peut nous don­ner de la force pour aller mieux. S’écouter c’est impor­tant là-dedans et être active dans son pro­ces­sus de san­té. Je pense aus­si, qu’il y a une spé­ci­fi­ci­té du groupe avec lequel on tra­vaille ici. Ce sont des per­sonnes issues de l’immigration, d’origines très variées et de culture quelques fois plus tra­di­tion­nelles ou en tout cas, dif­fé­rentes dans les­quelles cer­tains savoirs se sont main­te­nus his­to­ri­que­ment, de géné­ra­tion en géné­ra­tion. J’ai l’impression qu’ici, notre méde­cine toute puis­sante a cas­sé beau­coup des savoir-faire, créant de grandes failles. C’est une richesse énorme qui appa­rait dans le par­tage entre les femmes. Pour moi c’est un enjeu du groupe et des ate­liers, de valo­ri­ser ça. Je ne dois pas effa­cer ma culture mais en être fière et elle peut ser­vir à tout le monde. C’est aus­si une manière d’être mieux.

Retour sur les pratiques et circulation des rapports de force

Claire Ça me fait pen­ser à la notion de patient-par­te­naire qu’on entend de plus en plus dans les hôpi­taux, et qui implique de se deman­der com­ment faire pour que le patient soit effec­ti­ve­ment plus actif dans son pro­ces­sus de san­té. Amé­lio­rer les pro­jets de soin, écou­ter les gens malades, écou­ter les gens qui encadrent, obser­ver ce qui s’est pas­sé, per­met de faire avan­cer les choses.

Jas­mine Moi vient de Mada­gas­car. On fait beau­coup avec des plantes. J’ai ame­né ça ici en Bel­gique ça avec moi et je trans­mets au gens. Si tu connais quelque chose, tu par­tages. Ma fille a été malade. Alors j’ai réflé­chi, com­ment faire ? Je trouve des solu­tions. Je cherche. Après la chi­mio, sa peau était bru­lée. Je sais que l’eau de coco a beau­coup de vita­mines. Je lui en ai don­né et au lieu de jeter le reste j’ai fabri­qué de l’huile. L’huile de coco, c’est la seule qui résiste à la cha­leur alors j’en ai appor­té. Le kiné vient et il y a plu­sieurs huiles. Je lui ai lais­sé le choix, « je fabrique moi-même ». Il a essayé et ça l’a aidé : il m’a dit « je tra­vaille moins, j’utilise moins ma force pour faire le mas­sage, puis ça sent bon, c’est par­fu­mé, agréable. » Ma fille, elle avait moins de tâches et la peau ne bru­lait plus. Même le méde­cin, constate que sa peau est mieux et elle est fière que sa mère ait fabri­qué cette huile. J’ai par­ta­gé les échan­tillons à d’autres kinés dans l’hôpital.

On a créé aus­si des familles à l’hôpital, quand on y est res­tées long­temps. Il y avait par exemple une dame qui était là, elle venait d’en dehors de Bruxelles, donc sa famille ne pou­vait pas trop venir. Comme il y avait une salle à côté, on a fait des crêpes avec l’ergothérapeute qu’on a par­ta­gé avec les patients malades. Grâce à Exil, je connais les tac­tiques – je vais bien­tôt prendre leur job ! – et on a par­ta­gé des feuilles et on a mis des notes pour les crêpes et ce qu’on devait amé­lio­rer. Les gens de l’hôpital s’en sou­viennent. Le par­tage joue un rôle impor­tant pour se sen­tir mieux.

Maria Gla­dys Dans cette his­toire, le kiné a accep­té d’expérimenter ceci ou cela, je ne sais pas si avant il y avait l’ouverture pour accep­ter des conseils de quelqu’un d’autre.

L’idée même de la san­té, et qu’on soit pro­fes­sion­nelle de la san­té, implique un poids dans la socié­té qu’on ne peut négli­ger, et dans nos rap­ports avec les patients, et aus­si nous-même comme patiente. Il y a ce rap­port de force, un rap­port dif­fé­rent. Le fait de pou­voir expli­quer, deman­der l’avis, c’est une façon de rééqui­li­brer ce rap­port de force qu’on ne peut gom­mer. Cer­taine essaye de réduire ce rap­port, d’autres le main­tiennent. Dans les hôpi­taux, qui sont des struc­tures plus lourdes, c’est une idée qui fait son che­min, dou­ce­ment. Ici on le tra­vaille beau­coup, grâce au fait qu’on est une plus petite struc­ture. Mais c’est socié­tal et très pré­sent. On ne peut pas le nier.

En même temps, moi quand je vais chez le méde­cin, je veux être une patiente, et rien d’autre. La spé­ci­fi­ci­té d’être patiente c’est qu’on est en bas de la hié­rar­chie. Alors j’attends une réponse du méde­cin, une solu­tion. Quand je doute je pose la ques­tion, par­fois il m’explique, par­fois on nuance. J’essaye d’être claire avec ce que je veux faire, ce qu’on va faire et je pose les ques­tions là-dessus.

Claire Moi aus­si je suis, j’ai été la patiente de quelqu’un, et en géné­ral j’ai eu de bonnes expé­riences, avec un rap­port plus hori­zon­tal. Mais j’aime ça aus­si, être juste patiente, car à ce moment j’ai besoin de juste rece­voir des soins, obte­nir des réponses des autres.

Jas­mine C’est comme je connais avec ma fille : mes enfants quand ils ont per­du leur papa, ils avaient du mal à en par­ler. Mais quand la copine de ma fille a per­du ses parents, elle est venue la voir, pour avoir de l’aide. « Tu es pas­sée par là, tu par­tages la dou­leur, est-ce que tu peux m’aider ? » Elles se rejoignent, car elles par­tagent un même vécu. C’est ce que je fais pour la confiance, on cherche des solu­tions. On toque à toutes les portes, dix portes : neuf sont fer­mées, la dixième est ouverte, il faut tout toquer partout.

Pour savoir plus sur les activités : des Habitant·es des images ou sur le Centre Exil.

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