Par le néologisme fémonationalisme, la sociologue anglaise Sara R. Farris désigne cette improbable convergence entre des positions défendues par certaines féministes et l’extrême droite nationaliste, conservatrice et patriarcale, au cours des dernières décennies. Cette convergence opère une différence de traitement entre les immigrés et les immigréEs non-occidentaux, cristallisant une rhétorique antimusulmane : si les hommes apparaissent comme des figures repoussoirs, les femmes, elles, sont à sauver, victimes présumées de cultures soi-disant particulièrement patriarcales. À travers l’étude des programmes dits « d’intégration » mis en œuvre en France, aux Pays-Base et en Italie, en application de directives européennes, doublée d’une analyse de paroles politiques, Sara R. Farris témoigne du fait que ces discours pseudo-émancipateurs sont en réalité pétris de contradictions et s’inscrivent dans la lignée des politiques coloniales prétendument civilisatrices. Le point fort de son développement est de montrer qu’il ne s’agit pas « simplement » de discours populistes ou d’idéologies racistes, mais que si tant certaines féministes (notamment celles qui ont accédé aux espaces de pouvoir) que l’extrême-droite se retrouvent aujourd’hui à vouloir « sauver » les femmes migrantes, c’est que celles-ci jouent un rôle essentiel dans le développement du néolibéralisme, dont la spécificité est de cacher « les inégalités structurelles derrière des conflits culturels ». « Le néolibéralisme n’est pas seulement le contexte du fémonationalisme, il en est constitutif » et il permet d’en comprendre les conséquences politico-économiques concrètes. Notamment le cantonnement de ces femmes aux espaces les plus dénigrés de la sphère sociale, ceux du travail domestique et du service à la personne, délaissés par celles qui auparavant s’en chargeaient gratuitement.
Valentine BonomoAu nom des femmes - « Fémonationalisme », les instrumentalisations racistes du féminisme
Sara R. Farris (trad. July Robert)
Syllepse, 2021