BÁTHORY — La comtesse maudite

Anne-Perrine Couët

Eli­sa­beth Batho­ry : évo­quer son nom fait réson­ner des pans sombres de l’Histoire, tis­sés d’anecdotes de bar­ba­rie, d’actes cruels et de vio­lence. Sur­nom­mée la « com­tesse san­glante », celle qui fai­sait en effet par­tie d’une des familles prin­cières de Hon­grie, entre le 16 et 17e siècles, traine der­rière elle une sombre répu­ta­tion. Un de ses méfaits les plus connus aurait ain­si consis­té en l’enlèvement de jeunes filles afin d’alimenter des bains de jou­vence à par­tir de leur sang fraî­che­ment récol­té. Nous sommes aujourd’hui quatre siècles plus tard et, heu­reu­se­ment, cer­tains faits mis ensemble mettent tout de suite la puce à l’oreille : une femme avec du pou­voir et qu’on qua­li­fie­rait de tyran­nique, des rumeurs qui vise­raient dès lors à la décré­di­bi­li­ser, une jeu­nesse qu’il fau­drait à tout prix conser­ver… Euré­ka – comme dirait l’autre – cela sent le cock­tail par­fait d’une his­toire mon­tée de toutes pièces afin de pré­ser­ver l’ordre en place ! Trans­per­cer l’épaisse cara­pace de la sombre légende afin de convo­quer les faits his­to­riques ini­tiaux, c’est pré­ci­sé­ment ce que pro­pose avec beau­coup d’habilité Anne-Cathe­rine Couët, dans le roman gra­phique « Batho­ry, la com­tesse mau­dite ». Tout au long des 147 pages que com­posent l’ouvrage, doté de des­sins tous tein­tés d’ocre, de noir et de gris, l’autrice, illus­tra­trice et gra­phiste retisse l’histoire de cette femme au sang prin­cier qui pre­nait trop de place pour son temps. A la mort de son mari guer­rier, Batho­ry reprend le contrôle des terres de ses ancêtres et impose une ges­tion éco­no­mique stricte. La situa­tion devient alors tota­le­ment impen­sable pour le patriar­cat à l’époque. La suite est alors tra­gi­que­ment pré­vi­sible : accu­sa­tions calom­nieuses d’actes de vio­lence gra­tuite, rumeurs dif­fa­ma­toires de per­ver­sion de la socié­té, simu­lacre de pro­cès et mise aux oubliettes. Les domi­nants reprennent leur place sur le trône. Un siècle plus tard, celle qu’on a vou­lu faire taire mais qui a tou­jours tout réfu­té en bloc, renaît sous les mots de Lasz­lo Thu­roc­zi. Ce moine jésuite enten­dait alors écrire l’histoire de la Hon­grie. Il fera de la com­tesse une adepte de la magie noire et des bains de sang, extra­po­lant un tant soit peu les rumeurs d’époque afin d’en faire un monstre qu’il était néces­saire de mettre au ban de la socié­té. Mêlant sub­ti­le­ment des des­sins aux traits sombres et envou­tant à des faits his­to­riques avé­rés, Anne-Cathe­rine Couët nous plonge dans un néces­saire pro­ces­sus de réha­bi­li­ta­tion, qui ne peut que réson­ner avec d’autres his­toires bien plus contemporaines.

Pierre Vangilbergen

BÁTHORY - La comtesse maudite
Anne-Perrine Couët
Steinkis, 2022

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