Les philanthropes aux poches percées

Robert Tressell, Scarlett et Sophie Rickard 

Les phi­lan­thropes aux poches per­cées est un roman gra­phique dense (350 pages) et au gra­phisme léché qui vient sor­tir des oubliettes le roman-mani­feste du même nom publié en 1914 de l’écrivain irlan­dais Robert Tres­sell, éga­le­ment peintre et déco­ra­teur. Cette pépite de la lit­té­ra­ture pro­lé­ta­rienne, à la fois roman social sur la condi­tion ouvrière et essai phi­lo­so­phique sur les res­sorts du capi­ta­lisme, relate les heurs et mal­heurs de ceux qui n’ont d’autres choix que de tra­vailler pour des salaires indé­cents et à un rythme effré­né dans la petite cité de Mug­sbo­rough, en ce début de 20e siècle. Ces plus pauvres, ce sont pré­ci­sé­ment les « phi­lan­thropes aux poches per­cées » des ouvriers du bâti­ment, amou­reux du tra­vail bien fait. Lors des pauses méri­diennes, Owen, peintre de talent, cherche à éveiller la conscience poli­tique de ses com­pa­gnons d’infortune en pro­fes­sant un socia­lisme visant à expli­quer les racines de la pau­vre­té et la pos­si­bi­li­té de la mise en place d’un sys­tème alter­na­tif. Mais ses dis­cours ren­contrent le plus sou­vent incré­du­li­té, mépris ou las­si­tude, car, si les ouvriers sont domi­nés et spo­liés, ils sont par­fois les propres acteurs de leur exploi­ta­tion, refu­sant toute pos­si­bi­li­té de chan­ge­ment. Ain­si, ce récit phare du socia­lisme anglais, ren­du dans cette BD très acces­sible par le trait net et les choix scé­na­ris­tiques des deux des­si­na­trices, montre com­ment les classes diri­geantes mani­pulent l’opinion publique par la dif­fu­sion de fausses infor­ma­tions sur les causes de la pau­vre­té. Et com­ment ces bobards sont col­por­tés par les peintres en bâti­ment pour stig­ma­ti­ser les chô­meurs et les ouvriers moins qua­li­fiés. Une ren­gaine assu­ré­ment d’une actua­li­té brû­lante alors que de nom­breux dis­cours prônent chasse aux chô­meurs, res­pon­sa­bi­li­sa­tion des indi­vi­dus quant à leur des­ti­née sociale, et orga­nisent une concur­rence entre les pauvres. Tout cela visant tou­jours, plus de 100 ans après le récit de Tres­sel, à ne pas inter­ro­ger le sys­tème qui nour­rit pour­tant les inéga­li­tés et à dépo­li­ti­ser les milieux popu­laires. (OS)

Olivier Starquit

Les philanthropes aux poches percées
Robert Tressell, Scarlett et Sophie Rickard
Delcourt, 2023

 

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