Démocratie

Samuel Hayat

En un peu moins de cent pages et au for­mat ramas­sé, Démo­cra­tie pro­pose un réel exer­cice de décons­truc­tion. Qu’ont en com­mun les Gilets jaunes, les révoltes issues des Prin­temps arabes ou encore les mani­fes­ta­tions à Hong Kong ? Un sou­lè­ve­ment de popu­la­tions qui récla­maient ou réclament encore davan­tage de « démo­cra­tie ». Un objec­tif com­mun en appa­rence, mais qui recouvre pour­tant des réa­li­tés dif­fé­rentes. Cer­taines révoltes sont nées de l’oppression dic­ta­to­riale, d’autres émergent de démo­cra­ties dites éta­blies de longue date (mais qui pré­fèrent dès lors occul­ter leur pas­sé colo­nia­liste et escla­va­giste). Parle-t-on donc dès lors tou­jours de la même chose quand on reven­dique plus de démo­cra­tie ? À y regar­der donc de plus près, cette notion semble être à géo­mé­trie pour le moins variable. Les portes d’entrée pour l’aborder sont mul­tiples, mais Samuel Hayat, cher­cheur en sciences poli­tiques, a fini par choi­sir la sienne : que veut dire la démo­cra­tie si on prend au mot celles et ceux qui la reven­diquent ? L’ouvrage nous emmène dès lors dans une ses­sion de dis­sec­tion fine : cen­sée être le pou­voir (kra­tos) du peuple (demos), la démo­cra­tie est deve­nue, à de nom­breux endroits, un paravent intou­chable. Et ce der­nier, lorsqu’on l’observe de plus près, s’avère déchi­ré à de maints endroits, à force de vou­loir s’en ser­vir à des fins per­son­nelles et non pas dans l’intérêt de toutes et tous. Si l’institutionnalisation de la démo­cra­tie en a per­ver­ti le prin­cipe, il n’en reste pas moins que cer­tains méca­nismes peuvent tou­jours être appli­qués, tels que le réfé­ren­dum ou encore la par­ti­ci­pa­tion citoyenne à toutes les étapes de la prise de déci­sion poli­tique. Mais ils dérangent. Car ils viennent irré­mé­dia­ble­ment mettre mal à l’aise cer­taines oli­gar­chies en place. En fin d’ouvrage, l’auteur n’y va pas par quatre che­mins : cer­tains régimes en place ne méritent plus leur nom de démo­cra­tie. Une démons­tra­tion qui per­met au final à Samuel Hayat d’en pro­po­ser une nou­velle défi­ni­tion, peut-être un peu uto­pique : « une forme de gou­ver­ne­ment et de socié­té qui repose sur la capa­ci­té de n’importe qui à prendre par­ti, pour mettre en échec col­lec­ti­ve­ment les rela­tions de pou­voir qui nous enserrent. Là est le pari de la démo­cra­tie, la condi­tion pour que s’effectue, de manière tou­jours dif­fé­rente et inat­ten­due, le pou­voir du peuple ». Rien de tel que de se faire secouer les idées.

Pierre Vangilbergen

Démocratie
Samuel Hayat
Anamosa, 2020

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